Nous sommes tous paysans
Plus de 80 % des Français soutiennent cette France rurale
organisation journalière face aux contraintes d’une entreprise. Ce qui n’est pas négligeable dans l’attractivité du métier. Et au fil des mois, j’ai trouvé que travailler dans ce secteur donnait du sens. Ce qui est l’une des clés pour surmonter les moments difficiles.
➜ Comment vous définiriez-vous ?
J’élève des vaches laitières. Au mot d’agriculteur, j’ai un faible pour le mot de paysan qui prend en compte les notions de paysages et de pays. Tous « les pays » de France ont leur spécificité et je suis très bien partout.
Chaque jour davantage, au lieu d’oeuvrer dans un monde bureautique, je m’inscris dans « mon bureau de prairies » de 80 hectares où je veux continuer d’exercer ce métier d’éleveur. Travailler dans ces conditions devient même un plaisir.
➜ Votre vie professionnelle est de plus en plus difficile. Quel en est pour vous le point noir ?
C’est bien qu’on parle des agriculteurs 24 h/24 pendant les journées de manifestations, mais travailler pour nourrir la France devient de plus en plus compliqué. Même s’il faut que chacun garde en mémoire qu’un agriculteur fait vivre dix autres Français.
La technicité augmente. L’agriculteur doit aussi être mécanicien, comptable, conseiller stratégique, paysagiste et surtout gestionnaire. Ce dernier gros morceau est dû aux normes administratives exigées par l’environnement.
➜ « Vos vaches polluent. Il faut manger moins de viande » entendez-vous. Comment lutter face à pareilles critiques ?
Arrêtons d’abord d’importer des vaches du Brésil avant de critiquer l’élevage français ! Si l’on veut entretenir les paysages, il faut que des bovins broutent. Et j’aime bien cette maxime personnelle : la vache est l’avenir de l’homme. Elle valorise l’herbe et les prairies qui construisent nos paysages.
La vache a toute sa place dans la lutte climatique. L’écologie a besoin des ruminants.
➜ Les politiques sont moins sensibles à vos problèmes. Pourquoi portentils moins d’intérêt aux agriculteurs ?
Les agriculteurs, étant moins nombreux qu’il y a 20 ou 30 ans, on pèse beaucoup moins électoralement parlant sur ceux qui nous gouvernent. Même si les Français nous comprennent, nous soutiennent ou manifestent toujours un attachement à la terre.
➜ Avez-vous connu des agriculteurs qui dans la solitude, en sont arrivés au désespoir ?
Quand un paysan n’y arrive pas, il le vit très mal. Pas loin d’ici, un éleveur-laitier s’est suicidé à cause des contraintes qui l’étouffaient par une surcharge de travail et sans possibilité de pause. À cause d’une trésorerie trop fragile. L’épouse qui a dû prendre la suite pour vivre, a enduré de lourdes souffrances.
➜ Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
L’homme travaille la terre depuis 15 000 ans. Demain, on sera en capacité de s’adapter par des installations hors-cadres. Je veux dire par des venues de familles non-issues du monde agricole.
S’installer agriculteur n’est pas possible pour tout le monde.
➜ L’atout de votre vie est la proximité de la nature, l’air pur et le calme. En reconnaissez-vous les bienfaits ?
C’est vrai, la proximité avec la nature est notre chance. Tout le monde ne peut pas avoir un cadre de vie de 80 hectares ! Je trouve du plaisir à m’occuper chaque jour de mes bêtes.
Devant un beau lever du soleil même à moins 8 degrés (nous sommes à 800 m d’altitude) je suis bien. Je ne peux rester insensible devant une nuit étoilée remplie de lumière. Comme je suis heureux après la naissance de chaque petit veau.
➜ On sent que tous les deux vous aimez votre métier. Comment l’exprimeriez-vous ?
Si on n’a pas de passion pour un métier comme le nôtre, on ne le choisit pas. Nourrir les autres, c’est même une vocation. Il faut que l’agriculteur soit fier de ce qu’il fait pour les autres. Ce qui devrait entraîner quelque reconnaissance mise à mal aujourd’hui par le consommateur et surtout par la grande distribution.
• André DÉCUP