La Vie Querçynoise

Mémoire et Histoire

- Serge Fraysse

Il est ambitieux de poser un tel titre en ouverture d’un papier de plus ou moins 3 000 signes quand d’autres traitent et retraitent ce sujet dans des livres de plusieurs centaines de pages. Mais, dans la France d’aujourd’hui, il est impossible d’ignorer les commémorat­ions, les dates anniversai­res, les célébratio­ns auxquelles s’ajoutent par exemple les passages par le monument des Invalides ou bien par le Panthéon. Il est vrai que compte-tenu de notre Histoire agitée, de nos divisions et d’un passé politique qui fut plus ou moins limpide, il est compréhens­ible de chercher à fédérer la mémoire des habitants et de ce pays qui en a tant besoin. Pour autant, il y a parfois dans ces cérémonies des raccourcis, des omissions, voire des contre-vérités que celui qui aime l’histoire ne peut regarder qu’avec prudence. En d’autres termes, si nous pouvons nous réjouir que de nombreuses cérémonies existent aujourd’hui puisqu’elles ravivent notre mémoire, nous pouvons aussi ne pas considérer ces épisodes historique­s comme étant figés.

En fait, l’Histoire dominante est écrite par les vainqueurs, nous savons cela ici depuis Jules César et son livre sur La guerre des Gaules où il met en scène une « supériorit­é » romaine morale et technique et, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, son génie. Néanmoins, pour nous prouver que l’Histoire doit toujours être discutée, rappelons ici quelques prouesses matérielle­s gauloises : si le bois demeure le matériau essentiel pour les bâtiments, les remparts, la vaisselle, des outils, des peuples gaulois ont aussi inventé la moissonneu­se pour les travaux agricoles (alors que les Romains utilisaien­t la faucille). Habiles métallurgi­stes, ils ont perfection­né le travail du bronze et du fer et fabriquent des clous, fibules, couteaux, ciseaux, haches, casques et armes, mais aussi des cottes de maille, des tonneaux en bois cerclés de métal ou des chars. Soigneux au plan corporel et vestimenta­ire, les Gaulois utilisent un savon fabriqué à partir de cendres et de suif avec lequel ils lustrent leurs cheveux (d’où leur blondeur) et s’habillent de vêtements originaux, braies, chemises, capuches. Enfin, orfèvres créatifs, ils élaborent des parures, des bijoux et des pièces de monnaie insolites. Mais le domaine dans lequel les Gaulois excellent particuliè­rement est celui du transport. La meilleure preuve en est le terme « lieue » - leuga - mot d’origine gauloise utilisé aussi bien par les peuples latins que nordiques et qui détermine la mesure des distances sur terre et sur mer. César, pour lequel le déplacemen­t des troupes a constitué une épreuve majeure lors de sa conquête, convient que les Gaulois circulent « avec de nombreux chars et beaucoup de bagages » selon leur habitude, ce qui implique que les routes empruntées étaient carrossabl­es, les ponts entretenus et, donc, les distances maîtrisées. Les Romains ont d’ailleurs repris des mots gaulois afin de désigner des véhicules à traction animale : carros, en latin sous la forme carrus, « char » ; carruca, « char à deux roues » ; edsedon esseda, char où le conducteur est assis ; carbanton, « char à deux roues en bois » et carpentus (qui donna ensuite charpente). La diversité des régions et des terrains parcourus, montagnes, collines, vallées plus ou moins encaissées et le climat souvent humide expliquent la diversité de ces attelages. Saurions-nous commémorer aussi cela et ne pas rejeter de notre mémoire cette part essentiell­e de notre Histoire ?

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