La Vie Querçynoise

Quelle peine pour avoir laissé un TRIBUNAL CORRECTION­NEL. homme blessé sur la route sans prévenir les secours ?

Le tribunal correction­nel de Cahors, a condamné trois personnes, pour non assistance à personne en danger : l’un d’eux avait percuté un homme sur la route et tous les trois étaient partis sans alerter les secours. « Dans des cas pareils, ce sont les minut

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Jeudi 21 mars 2024, trois jeunes hommes ont été condamnés par le tribunal correction­nel de Cahors pour répondre de leurs agissement­s, suite à l’accident grave de la circulatio­n survenu le 28 février 2020, sur la route D 656 reliant Villesèque à Sauzet, dans le Quercy blanc :

- B. 25 ans, célibatair­e, casier judiciaire vierge, en formation,

- H. 29 ans, marié, un enfant, casier judiciaire vierge, contrôleur technique,

- M. 32 ans, célibatair­e, sans enfant, 4 mentions au casier judiciaire, dont 2 pour alcoolémie au volant.

Le dossier est instruit à l’audience par une auditrice de justice, sous l’oeil du président Philippe Clarissou.

Un dossier sur fond d’excès de consommati­on d’alcool

Après une soirée passableme­nt arrosée, depuis l’apéritif avec plusieurs bières pour chacun, puis le restaurant avec vin rosé et encore de la bière, les trois compagnons d’infortune décident d’aller terminer la soirée chez l’un d’entre eux : M.

M. ( dont le permis de conduire a été suspendu) prend le volant d’une Citroën Xsara en compagnie de B. assis

côté passager. Quant à H., il utilise son propre véhicule et suit la voiture de M. Il s’agit de se rendre chez M. pour « finir la soirée » !

Au niveau d’un croisement, M. aperçoit les phares d’une voiture sur le bas- côté de la route, mais ne voit pas la personne qui se trouve au milieu de la chaussée et qui fait des signes de la main. Il percute cet homme, lui aussi passableme­nt alcoolisé. Il s’ensuit un court échange entre le chauffeur M. qui vient de renverser le piéton et B. son passager. Au final pas d’arrêt, le véhicule reprend sa course, laissant l’homme accidenté, gisant à terre.

Quant à H., le 3e larron qui suivait au volant de son véhicule, il n’aurait pas compris ce qui venait de se passer. Il suit le véhicule de M. en faisant des appels de phare pour l’inciter à s’arrêter. Quelques instants plus tard, les deux véhicules se rangent en bordure de route et s’engage alors une discussion entre les trois personnes. Il est décidé de revenir sur les lieux de l’accident. Cependant, dès l’instant où ils aperçoiven­t des « lumières », ils se ravisent et rebroussen­t chemin. Tel est le scénario de base à partir duquel le tribunal va chercher à démêler le vrai du faux, à travers les versions discordant­es entre les trois prévenus.

- B. le passager de la voiture conduite par M. est poursuivi pour non-assistance à personne en danger,

- H., au volant de sa voiture, qui suivait le véhicule conduit par M. est poursuivi pour nonassista­nce à personne en danger,

- M., conducteur du véhicule qui a percuté le piéton, est poursuivi pour non-assistance à personne en danger, délit de fuite, conduite avec un permis invalidé et blessures involontai­res ayant entraîné auprès du piéton, une incapacité totale de travail de plus de 3 mois.

Selon le rapport des enquêteurs, les sapeurs-pompiers ont été alertés par les automobili­stes de passage à 23 h 51 et leur arrivée est fixée à 0 h 20. Le piéton (2,9 gr d’alcool dans le sang) renversé par la voiture est allongé sur la chaussée dans un état grave, son véhicule est resté phares allumés et moteur en service. Polytrauma­tisé avec des blessures à la jambe et à la tête, son pronostic vital est engagé. Il est héliporté vers un centre hospitalie­r de Toulouse. Aujourd’hui son déficit corporel est fixé à 20%.

Il n’est pas relevé de marques de freinage. En revanche sont retrouvés des débris de verre provenant du pare-brise de la voiture qui a causé l’accident. Or, ce véhicule a disparu sans laisser de trace...

Les enquêteurs retrouvent l’auteur des faits et ses deux comparses

Durant la nuit de l’accident, une personne prend contact avec le centre hospitalie­r de Cahors, pour demander des nouvelles « d’un homme qui aurait été accidenté entre Cahors et Sauzet ». Cette personne ne décline pas son identité et appelle en ayant pris soin de masquer son numéro de téléphone. C’est ce coup de fil qu’ils croyaient passer de façon « anonyme » qui permettra aux enquêteurs de remonter jusqu’aux trois hommes. À la barre, comme c’est le cas la majeure partie du temps, les amitiés de beuverie volent en éclat, chacun cherchant à défendre sa peau.

- B. (le passager de la voiture de M.) explique au tribunal avoir vu dans la nuit, sur la route, un homme faisant des gestes. Il aurait alors crié à M. le conducteur de prêter attention. Il précise : « on discutait dans la voiture, tout en buvant une bière ! » Il continue : « M. me dit qu’on ne peut pas s’arrêter, sans me dire davantage ». Il reconnaît s’être rendu compte que le piéton est allongé au sol, sans bouger. J’étais paniqué et j’ai dit à M. « Trace ! ». Quant à H. qui est arrivé peu après, on lui a dit de continuer la route et qu’on lui expliquera­it après. Nous sommes partis, lorsque nous nous sommes arrêtés un peu plus tard, nous avons discuté et décidé de revenir sur les lieux de l’accident. Mais à partir du moment où nous avons vu des lumières, nous avons estimé que les secours avaient été appelés et nous sommes repartis. B. soutient qu’il n’est pas resté sur les lieux, car il avait peur de représaill­es s’il ne faisait pas comme le demandait M. Il considère avoir fait preuve d’inconscien­ce en ne prenant pas la mesure de la gravité de la situation.

- H. ( le conducteur de la voiture qui suivait celle qui a percuté le piéton) : « J’ai vu la lumière des freins de la voiture de M. s’actionner brusquemen­t, mais je ne savais pas ce qui se passait et j’ai continué à suivre le véhicule en faisant des appels de phare, mais il ne s’est pas arrêté tout de suite. Lorsque nous nous sommes retrouvés à l’arrêt, nous avons décidé de revenir sur les lieux, mais environ à 100 m du lieu de l’accident, j’ai vu un gyrophare bleu, nous nous sommes arrêtés et M. a fait part de son souci de permis de conduire... j’ai été pris de court. On s’est dit qu’il y avait les secours et j’ai commis l’erreur de faire demitour. Je regrette de ne pas être revenu sur les lieux de l’accident. Après on s’est retrouvé chez M. et il nous a servi un Whisky-Coca. Nous avons téléphoné à l’hôpital pour savoir si les secours étaient bien intervenus. Toute la nuit mon esprit a été torturé par cette situation. 4 jours après l’accident les gendarmes ont débarqué chez moi, car c’est avec mon téléphone que M. avait contacté l’hôpital. Si c’était aujourd’hui, je n’aurai jamais agi de la sorte, je reviendrai immédiatem­ent sur les lieux de l’accident. »

- M. ( le conducteur qui a percuté le véhicule) déclare : « Quand j’ai vu le piéton sur la route, j’étais à 3 m c’était trop tard ! J’ai essayé de l’éviter, mais je n’ai pas pu. J’ai freiné et j’ai demandé à B. : » Qu’est- ce qu’on fait ? « Il m’a répondu : » On part ! « J’ai paniqué. On a voulu revenir sur les lieux, mais comme on a constaté qu’il y avait des lumières on s’est retourné ».

Le président Clarissou prend la parole : « Le pronostic vital de la victime est resté engagé plusieurs jours et vous avez eu de la chance que des automobili­stes se soient arrêtés et aient alerté les secours ! Car dans des cas pareils, ce sont les minutes qui comptent ! C’est parfois ce qui fait la différence entre la vie et la mort ! »

« Vous êtes un chauffard ! Vous aviez la bière à la bouche »

L’avocate de la victime déplore que les trois prévenus n’aient pas eu un mot d’excuse pour celui qu’ils ont abandonné sur la route, marié, père de famille de deux enfants. Elle s’insurge contre la conduite de M. sous emprise de l’alcool. Elle insiste sur la violence de l’accident qui a vu son client resté près de deux semaines dans le coma, puis près de deux mois en centre de rééducatio­n. La victime a été jugée inapte à la reprise de son métier de charpentie­r-couvreur. Elle demande une réparation intégrale avec pour commencer une provision de 3000 €, avant un renvoi à une audience qui fixera le montant des dommages !

Alexandre Rossi, Procureur de la République, n’y va pas par quatre chemins. S’adressant à M. le conducteur qui a percuté le piéton, il déclare :

- « Vous êtes un chauffard ! Vous aviez la bière à la bouche au moment de l’accident, vous n’aviez pas le droit de conduire, pas d’assurance, vous vous êtes défilé d’où le délit de fuite. Pour B. il rappelle que la loi ne demande pas l’héroïsme, mais un coup de fil aux pompiers ! Puis, il s’élève contre une fausse allégation de H. prétendant avoir vu un gyrophare bleu, lorsqu’ils sont revenus vers les lieux de l’accident, un quart d’heure après le choc. L’argument ne tient pas dans la mesure où il apparaît que les secours ne sont arrivés qu’une demi-heure après avoir été contactés ». Pour B et pour H, il requiert 6 mois de prison avec sursis, un stage de sensibilis­ation à la sécurité routière. S’agissant de M., il demande 2 ans de prison, dont 15 mois avec sursis, avec annulation du permis de conduire et interdicti­on de le repasser pendant 2 ans.

Me Emilie Geffroy, avocate de H., fait valoir que son client n’a pas su ce qui s’est passé au moment du choc. Il s’est entendu dire « Trace ». Puis lorsque les deux voitures s’arrêtent, il apprend qu’une personne a été percutée. « Il a insisté pour revenir sur les lieux, il a eu la volonté de porter secours et ne s’est retourné que parce qu’il a compris que les secours arrivaient » assure-t-elle. D’où sa demande de relaxe.

Pour sa part, Me Christophe Bernabeu, avocat de B., met l’accent sur l’envahissem­ent émotionnel qui a saisi son client, un état de sidération, lui faisant revivre à travers cet accident une scène semblable au cours de laquelle son père est décédé. À ses yeux, c’est M. qui a mené la barque dissuadant ses deux camarades de s’arrêter, à cause des responsabi­lités qu’il encourait, notamment en raison de la suspension de son permis. En terminant, le bâtonnier évoque un partage de responsabi­lité, et rappelle que la victime était ellemême ivre, au point d’avoir raté le virage au croisement.

Enfin, M. qui comparaît sans avocat déclare n’avoir rien à rajouter pour sa défense.

H. et B. reviennent à la barre pour présenter leurs excuses.

• Jean-Claude BONNEMÈRE

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