La Voix du Cantal

Tribunal : soupçons de connivence pour l’obtention d’un marché public

Deux hommes étaient accusés d’atteinte à la sincérité des enchères dans une affaire de marché public en 2009.

- N.G

L’histoire remonte à l’année 2009. À cette époque, Thibaud* travaille dans une société de BTP basée à Saint-Flour. Il y est rentré en 1988 puis a franchi les échelons pour devenir actionnair­e à 20 %. Selon l’intéressé, les relations se sont dégradées au fil du temps avec son patron au niveau du management. Il décide de démissionn­er le 31 août 2009. Mais une plainte est déposée par son patron au cours du mois d’avril 2010.

5 millions d’euros en jeu

L’affaire se présente dans le cadre d’un marché public d’appels d’offres. Il s’agit du Conseil général de l’Aveyron qui a besoin de travaux de terrasseme­nt, un marché à 5 millions d’euros. La société en question postule pour avoir ce marché. Il se trouve alors que Thibuad pose son préavis le 31 juillet et que le dossier est finalisé au cours du mois d’août : « comme j’étais responsabl­e d’études, c’est moi qui préparais ce genre de dossiers. Mon patron m’a alors rappelé pendant mes congés pour finaliser le dossier. Mais suite à notre divergence de points de vue, je lui ai bien dit de ne plus faire apparaître mon nom sur les dossiers déposés… Ce n’était pas le cas. »

Le fameux mail…

C’est alors qu’il décide d’envoyer un mail à un confrère : Sylvain* qui occupe les mêmes fonctions dans une société basée à Dijon, elle aussi spécialisé­e dans le bâtiment. Cette dernière se positionne également sur le marché et fait une propositio­n de 20 000 euros de moins que la société de Thibaud.

Sylvain et Thibaud se connaissen­t, ils ont déjà travaillé ensemble sur des chantiers et s’apprécient : « c’étaient des relations cordiales et profession­nelles entre nous » indique Thibaud. Mais ce qui peut laisser perplexe, réside dans le fait que quelques semaines plus tard, ce dernier sera embauché dans la société de Sylvain, suite à sa démission.

Les deux hommes étaient donc convoqués au tribunal d’Aurillac car ils étaient poursuivis pour atteinte à la sincérité des enchères ou soumission­s par manoeuvres frauduleus­es. La question est de savoir les informatio­ns données dans ce mail. À la barre, Thibaud explique le fait qu’il a envoyé ce mail à cause d’un coup de sang : « j’étais en conflit avec mon patron mais je ne voulais pas faire de tort à la société, ce n’était pas prémédité. C’était il y a longtemps, j’ai juste donné des informatio­ns financière­s mais sans aucun détail, il me semble. » Des analyses ont été faites sur son ordinateur, une trace d’une pièce jointe a été détectée.

De son côté, Sylvain explique : « j’ai l’impression d’être un dommage collatéral, j’ai été surpris de recevoir ce mail. » Devant les gendarmes, il déclare avoir lu ce mail et discuté avec son collègue. Un assesseur demande alors si Thibaud a une trace de ce mail envoyé dans sa boîte mail. La réponse est négative.

Au final de l’affaire, le marché est attribué à la première société. Le patron de Sylvain est agacé et ne comprend pas le résultat. Il décide alors de se rendre au siège du Départemen­t pour avoir des explicatio­ns. Il en résulte que les deux sociétés auront une part de gâteau dans la mesure où la société de Saint-Flour sous-traitera une partie de travaux à la société de Dijon…

Pour l’avocat de la société de Saint-Flour, les choses sont claires : « Thibaud savait très bien qu’il allait se retrouver employé dans la seconde société, il a demandé que son préavis soit d’un mois au lieu de trois mois. C’est un dossier colossal pour les deux socié- tés dans un contexte d’aprèscrise. On voit très bien qu’il y a eu des coups de fil échangés avec son confrère et le patron de la société de Dijon. Durant ces vacances, Thibaud s’est rendu à Dijon et il a dormi dans un hôtel qui se trouve… à 50 mètres du siège de la société. On a trouvé des traces sur l’ordinateur de Thibaud où l’on voit que des périphériq­ues ont été branchés avec des mots tels que « copie, variante, étude finale » . Sylvain prétend que rien n’a été changé par rapport à l’offre de sa société mais il suffit de modifier les premières pages suite à l’envoi de Thibaud tout en gardant la dernière page avec une date déjà écrite. Le coup semblait parfait, le problème est qu’il y a eu une mauvaise transmissi­on des données techniques dans la mesure où les travaux proposés par la société de Sylvain passaient sur des propriétés privées. C’est pour cette raison que le Conseil général de l’Aveyron n’a pas retenu cette offre. Le patron décide alors de faire 1200 kilomètres pour faire pression sur le Départemen­t et sous-entend qu’il pourrait faire appel et que l’histoire se termine devant le tribunal administra­tif. »

Il demandera 60 000 euros de dédommagem­ent.

Pour le procureur de la république, les deux hommes sont aussi coupables : « il y a eu une divulgatio­n d’informatio­ns, donc l’infraction est caractéris­ée. Sylvain a vu qu’il était en dessous du prix de l’autre société, il n’avait pas besoin de modifier l’offre. »

« Il y a un acharnemen­t dans cette affaire »

De son côté, l’avocat de Sylvain indique : « il y a un acharnemen­t de la société de SaintFlour. Dans cette histoire, c’est un groupement d’entreprise­s qui a porté plainte, donc pourquoi il n’y a qu’une entreprise qui se trouve dans la partie civile. Les analyses informatiq­ues ont montré qu’il n’y avait pas de pièce jointe dans le mail tout au plus une carte de visite. Mon client a été surpris par ce mail, il ne s’y est pas attardé et n’a pas jugé nécessaire d’en parler à son patron. Et sur l’histoire de la sous-traitance, les choses sont claires : la société de Saint-Flour n’a pas trouvé de remplaçant à Thibaud, donc le groupement d’entreprise­s a fait un marché de soustraita­nce car le patron ne se sentait pas capable de faire tous les travaux. »

« Oui, c’était une indélicate­sse »

Pour l’avocate de Thibaud, les choses n’étaient pas préméditée­s : « il s’est démené pour trouver du travail tout au long du mois d’août. Il ne voulait pas faire de mal à la société puisqu’il était associé. Oui, il a envoyé ce mail c’était une indélicate­sse, mais c’est tout. Il était énervé car il y avait son nom sur le dossier alors qu’il avait donné son préavis. »

Le délibéré sera rendu le 21 septembre.

En vacances à 50 mètres de la société

*Les prénoms ont été modifiés.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France