La Voix - Le Bocage

La fin du croissant au beurre ?

Depuis plusieurs années, les artisans du Bocage sont confrontés à un problème de taille, la hausse des matières premières. Bruno Moulinet, pâtissier installé à Villers-Bocage et président des pâtissiers du Calvados, tire la sonnette d’alarme.

- Paul Le Meur

« On est en souffrance. » Une phrase prononcée par le pâtissier Villersois qui est symptomati­que des difficulté­s rencontrée­s par la profession depuis deux ans maintenant. Installé il y a 10 ans à Villers-Bocage, le pâtissier est confronté à la hausse de prix des matières premières, notamment en ce qui concerne le beurre. « Depuis plus de 3 mois, le beurre a connu une augmentati­on de plus de 50 %. Le beurre qu’on achetait 5 € le kilogramme coûte désormais 8 €, voir plus. C’est à cause d’une pénurie de lait qui est assez dure à accepter. » Oui, une pénurie de lait en Normandie c’est possible. La faute selon Bruno Moulinet, à une demande trop forte des pays asiatiques, que les grands groupes laitiers cherchent à combler. C’est le cas par exemple de Lactalis, qui depuis 2011 perce sur le marché chinois en commercial­isant du lait en poudre pour bébé. Conséquenc­e, le marché français ne dispose plus d’assez de lait, notamment en ce qui concerne les produits dérivés, comme le beurre : « Les agriculteu­rs souffrent car ils ont du mal à vendre leurs produits, et nous qui sommes en bout de chaîne on est sanctionné » , ajoute le pâtissier.

Des produits profession­nels

Dans ce cas, pourquoi ne pas se tourner vers les circuits courts ? « C’est déjà ce que je fais pour le lait, explique Bruno Moulinet. Mais en pâtisserie on a besoin de produits spécifique­s, notamment en ce qui concerne le beurre, avec des points de fusion différents. Ce genre de produits, on ne peut les trouver que chez des distribute­urs profession­nels. » Pas le choix donc, pour continuer de proposer ses pâtisserie­s aux clients, Bruno Moulinet est contraint de suivre la hausse, même si ce dernier essaie de réduire quand il le peut, la part de certains ingrédient­s dans ces recettes.

C’est le cas de la Vanille, un produit dont le prix a quadruplé en seulement deux ans. « On est désormais à un prix moyen de 600 € le kilogramme. » Une hausse qui s’explique par un contexte difficile en ce qui concerne la production de vanille, notamment à Madagascar. L’île possède 80 % de la production mondiale, mais a connu plusieurs événements climatique­s entraînant de faibles récoltes. Résultat, la production a chuté, passant ainsi de 1 800 tonnes en 2014 à 1 200 en 2016. Un drame pour l’industrie agroalimen­taire, quand on sait que la demande mondiale est estimée à 2 500 tonnes. Pour les pâtissiers comme Bruno Moulinet qui se refuse à utiliser de la vanille artificiel­le, la hausse est difficilem­ent supportabl­e. « On est obligé de réduire la quantité de vanille dans les recettes, et surtout on fait très attention. J’explique à mes apprentis que c’est un produit précieux qui doit être manipulé avec une extrême précaution. Chaque gramme compte. »

Éduquer la clientèle

Après le beurre et la vanille, un autre produit devient problémati­que pour Bruno Moulinet, il s’agit des fraises. Là encore, difficile de savoir pourquoi, mais le prix des fraises s’envole. « Il y a un mois, le prix d’achat de fraise de qualité supérieur était autour de 15 € le kilogramme. On nous explique que la hausse viendrait de la chaleur au mois de juin qui aurait fait du mal à la récolte. Même en catégorie B, il y a très peu de choix » Et pourtant, difficile de faire l’impasse sur ce fruit star de la pâtisserie. D’autant que du côté du consommate­ur, on a du mal à comprendre qu’il n’y ait pas de fraise toute l’année. « Je n’utilise que des fruits de saison, alors quand on me demande des fraisiers alors que la saison des fraises est passée, j’explique pourquoi je n’en fais pas. Il faut aussi éduquer les consommate­urs pour éviter des demandes contrenatu­re qui viennent perturber le marché ensuite. » Une situation problémati­que pour tout une part de l’artisanat, qui ne peut pas augmenter le prix de ses produits en suivant les hausses, sous peine de se voir sanctionne­r sur le plan commercial. D’autant que les fluctuatio­ns sont très dures à prévoir. « On ne sait jamais ce qui va nous tomber dessus. » Pour le moment, pas de solution à l’horizon, si ce n’est prendre son mal en patience du côté des artisans, mais pour combien de temps encore ?

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Dans les mains de Bruno Moulinet, 250 € de vanille.

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