Une journée « collège mort » pour s’opposer au choc des savoirs «
Des parents d’élèves, des professeurs et des élus étaient mobilisés jeudi 11 avril pour s’opposer à la mise en place des groupes de niveau au collège.
Nous refusons le tri des
élèves. » Le message s’affichait en grand devant l’entrée du collège Pierre Brossolette ce jeudi 11 avril dès le début de la journée à Brionne. L’association des parents d’élèves a été à l’initiative d’une opération « collège mort », comme dans beaucoup d’autres établissements en France ces dernières semaines, pour protester contre la réforme du «choc des savoirs» prévue en septembre prochain.
Parmi les mesures présentées en octobre dernier par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, dans l’objectif de rehausser les résultats des élèves, un changement suscite une large contestation : l’instauration, sur une partie des heures de cours, de trois groupes de niveau en français et en mathématiques pour les 6e et 5e à la rentrée 2024, puis pour les 4e et 3e un an plus tard. « Ces groupes de niveaux seront constitués en fonction des besoins identifiés par les professeurs ainsi que par les résultats aux tests de positionnement de début d’année et pourront évoluer en cours d’année pour tenir compte de la progression des élèves », précise le ministère de l’Éducation nationale sur son site internet.
Les parents, rencontrés à Brionne, y voient surtout une désorganisation du fonctionnement du collège et « une stigmatisation » des élèves les
plus en difficulté, ce qui leur parait contraire au principe de
mixité sociale. «Ils en parlent déjà entre eux, ils ont peur d’être moqués et c’est dur à entendre », raconte Céline Derly, la présidente de l’association, satisfaite du succès de la mobilisation puisque seulement 13 % de collégiens étaient présents ce jeudi, sur 620 au total. « Les parents ont joué le jeu en n’envoyant pas leurs enfants, ils montrent leur soutien », dit-elle.
Le manque de moyens
Les professeurs aussi se sont associés à cette action. Ils n’étaient pas en grève, mais ont tenu à manifester leur solidarité avec les parents, dont ils partagent les craintes. « Ces groupes de niveau vont se faire avec des moyens constants, voire des nonmoyens, ce qui va entraîner des suppressions de groupes ou d’options dans d’autres matières, comme pour les langues, expliquent-ils de manière collective. Et nous ne sommes pas certains qu’il y a aura suffisamment d’enseignants en français. »
Selon eux, cette réforme n’était pas celle qui était attendue en priorité, au regard des problématiques rencontrées au quotidien, par exemple sur la question des effectifs. « Il y a 31 élèves par classe en 5e cette année à Brionne, c’est du jamais vu. Il faudrait plutôt profiter de la baisse démographique pour avoir moins d’élèves dans les classes, confient les professeurs mobilisés. Certains ont besoin d’être accompagnés, notamment avec des assistants de vie scolaire, mais cela ne loge pas dans les salles. »
Le collège Pierre Brossolette avait opté l’année dernière pour des groupes réduits en 6e afin d’homogénéiser les acquis des élèves parfois très différents à la sortie de l’école. « Lorsqu’ils ne sont que 18 plutôt que 26 ou 27, c’est très profitable pour eux et cela leur garantit un parcours bien plus performant », constatent les professeurs. Mais à la rentrée 2023, « nous n’avons pas pu disposer de ces groupes et l’effet se fait déjà ressentir », regrettent-ils, en sachant que cette organisation ne sera pas non plus renouvelée en septembre 2024.
« Ces réformes successives nous donnent l’impression que nous ne faisons pas bien notre travail, que nous sommes culpabilisés alors que nous pensons beaucoup au bien-être et à la réussite de nos élèves », ajoutent-ils, eux qui déplorent qu’aucun bilan n’ait été fait de l’heure de soutien en français et en mathématiques, destinée aux 6e depuis septembre 2023.
« Une vision passéiste de l’Education nationale »
Quatre maires ont participé au mouvement jeudi. Lui-même enseignant, Valéry Beuriot observe que la communauté éducative est « vent debout » contre ce choc des savoirs, décrit comme « un saut en arrière de 50 ans », à une période précédant le collège unique institué par la loi Haby en 1975. «C’est une vision passéiste de l’Éducation nationale et c’est un tri social qui ne dit pas son nom, ce qui va être désastreux », cingle l’édile de Brionne, accompagné de ses collègues Jean Plénecassagne (Saint-Victor-d’Epine), Frédéric Scribot (Calleville) et Bruno Cottard (Livet-sur-Authou). « Les experts en sciences de l’éducation montrent, à travers leurs études, que ces groupes de niveau sont inefficaces. Ce sont les classes hétérogènes et la réduction des effectifs qui permettent le plus aux élèves en difficulté de progresser »,
insiste-t-il. Le regroupement par niveau, outre une complexification des emplois du temps, « nécessitera des professeurs supplémentaires, alors que nous avons déjà du mal à en avoir devant toutes les classes aujourd’hui. Faudra-t-il aller sur Le boncoin chercher des gens qui ne sont pas formés?», s’interroge le maire de Brionne.
Au mois de mars, Gabriel Attal a réaffirmé son souhait de voir les groupes de niveau être créés. Parents d’élèves, enseignants et élus formulent le même voeu : « Que le gouvernement réfléchisse et entende ce qui est dit ».