Le Courrier de Mantes

Fabienne Lauret : de Renault Flins aux Temps modernes

- Propose recueillis par Elisabeth Oualid

Fabienne a 22 ans en 1972 quand elle entre comme ouvrière à l’usine. Elle y restera jusqu’à sa retraite en 2008. Sa vie « d’établie », elle la raconte dans le dernier numéro des Temps Modernes, la mythique revue de Sartre et Beauvoir.

Le Courrier : C’est l’après 68. Vous êtes étudiante. Qu’est-ce qui se passe dans votre tête ?

Fabienne Lauret : J’avais commencé des études d’histoire et de philo mais j’étais avant tout militante révolution­naire. Avec Nicolas Dubost, mon compagnon de l’époque et avec tout un tas de copains, profs, etc, on se disait que 68 n’avait été que la répétition générale de la révolution. Comme le moteur, c’était la classe ouvrière, on a décidé d’aller s’installer là où elle avait été la plus combative comme à Flins. (NDLR : de là est venue l’expression « établi ».)

Vous racontez dans les Temps Modernes, votre arrivée à l’usine. Comme OS à la sellerie, seul atelier de femmes dans un monde d’hommes. En quoi consistait votre travail ? Qu’est ce qui a été le plus dur ?

Oui, on était un îlot de 500 femmes au milieu de 20 000 salariés hommes, à l’époque. Le plus dur ? Se lever le matin à 4 h 30. Dans l’automobile, c’est pas les 3X8 mais les 2X8. Une semaine on était de matin, la suivante du soir. Oh oui, c’était très dur. Mon travail ? Je devais coudre des pièces de tissu sur des bandes de carton, 800 par jour. Mais comme pour être embauchée à Flins, j’avais dû me constituer un passé d’ouvrière, j’étais passée par l’usine de Biscottes Gringoire ; là le travail était beaucoup plus pénible !

Vous vous êtes fait des copines ? Elles savaient que vous étiez « établie ». Comment elles le prenaient ?

Oui, j’ai eu de vraies amies. Quand Nicolas Dubost a sorti son livre « Flins sans fin », en 78, ça s’est davantage su mais bon… elles ont réagi entre l’incompréhe­nsion ou l’admiration. Et la révolution dans tout ça ? Très vite ça a pris la forme syndicale, la CFDT en l’occurrence, beaucoup plus radicale à l’époque. Avec des gens formidable­s comme Paul Rousselin. C’est quand la CFDT est passée majoritair­e que j’ai entamé ma seconde carrière, au comité d’entreprise. Mais j’insiste sur l’aventure collective : on était plusieurs établis dans l’usine. Trois autres témoignent dans la revue. Mais il y avait tous ceux de l’extérieur installés au Val Fourré et dans les cités qui nous soutenaien­t. Et la Librairie « La Réserve ! Et puis, en 94, avec la montée du FN, il y a eu une repolitisa­tion à l’usine

Flins, ça finalement été toute votre vie ? Vos meilleurs souvenirs ? Des regrets ?

Oui, toute ma vie puisque j’y ai rencontré l’homme de ma vie, lui aussi ouvrier, avec qui j’ai eu un fils. On habite aussi à Flins ! Non, aucun regret… Mes plus grands souvenirs ? Les grèves…

Et toujours militante aujourd’hui !

Oui, à ATTAC, Solidaires, et les associatio­ns locales antiTafta, grands projets inutiles, etc…

Et pour les Temps Modernes, comment ça s’est passé ?

On a été contacté sûrement via le livre de Nicolas. A moi, on a demandé juste un témoignage en 30 000 signes mais sans analyse ce qui m’a frustrée, c’est vrai. On est dans la 4e partie des « récits d’ex-établis » ; après « l’histoire de l’établissem­ent », « En Europe et aux Etats Unis » et « les Précédents historique­s ».

Revue Les Temps Modernes. N°684 Ouvriers volontaire­s, les années 68 : l’établissem­ent en usine. 28,50 euros

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