La Shoah à Mantes, une histoire occultée refait surface
L’ancien cheminot Roger Colombier publie familles englouties dans les camps nazis. Il reconstitue la trajectoire de trois
On a longtemps imaginé qu’il n’y avait eu que les enfants Salomon, dont une rue de Mantesla-Jolie porte le nom. L’année dernière, des recherches historiques entreprises avec ses élèves par un professeur du collège de Magnanville, Thierry Andro, ont rendu aux Salomon leur vrai nom : Schimianski. Roger Colombier avait participé à ces travaux. Le livre qu’il fait paraître s’intéresse essentiellement aux Schimianski et à deux autres familles, les Zolty et les Mittelchtein.
Roger Colombier y insiste : les Juifs de Mantes constituaient une population Les Schimianski étaient des chapeliers prospères, des notables. Colombier possède une photo d’Albert Schimianski en chapeau haut de forme devant sa boutique. Peut-être les Schimianski ont-ils cru que leur statut social les protégerait du pire. La famille, originaire de Pologne, était installée à Mantes-Gassicourt depuis le début du XXe siècle.
« plurielle ». Le périple des Zolty
Les Zolty sont arrivés à Mantes par hasard en 1940 (lire ci-dessous), au terme d’un périple qui les avaient fait passer, après l’évacuation de Strasbourg, par Sedan, le Périgord et la ville du Havre. Le père de famille Moszek Zolty, né en 1894 dans une partie de la Pologne alors sous domination de la Russie tsariste, était un ouvrier athée.
Les Mittelchtein tenaient un petit commerce de confection place Saint-Maclou. Lui était originaire de Roumanie, sa femme de Pologne.
Roger Colombier raconte comment les biens des Schimianski et des Mittelchtein ont été et comment leurs commerces ont été occupés par des officines fascistes, le Mouvement révolutionnaire français et le Rassemblement national populaire. L’historien a eu accès à des actes notariés. Il a brassé quantité de documents au Mémorial de la Shoah, aux archives municipales et départementales.
Talic Mittelchtein perdra femme et enfants, arrêtés à Nice, transportés à Drancy et déportés à Auschwitz où ils seront gazés dès leur arrivée. Il s’engagera dans la 2e DB, et reviendra à Mantes après la guerre. Quel destin !
Que dit Roger Colombier
« aryanisés »,
de l’attitude des habitants de Mantes à l’égard des Juifs sous l’occupation ? Il y a d’un côté une ville qui
« acquiesce à la politique antisémite de l’État français » « Eugène Roquelin, administrateur de biens juifs fait son entrée à l’Assemblée communale de Mantes-Gassicourt »
1943 (spoliés, ndlr),
quand en
sur proposition du préfet. Le député Gaston Bergery, élu député en 1936 sous l’étiquette Front populaire, avait voté, lui, les pleins pouvoirs à Philippe Pétain en 1940. Après la guerre, il ne sera guère inquiété et participera à la fondation de l’Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain. Roger Colombier signale que la presse mantaise de l’époque, qu’il a dépouillée, salue chacune des lois antijuives promulguées par Vichy.
De l’autre côté, il y a les attitudes individuelles, celle du curé de Guerville Désiré Brimbeuf, un résistant qui fournira des faux papiers aux enfants Zolty. Ou celle de l’artisan bourrelier Émile Plard - dont la boutique existe toujours rue Henri-Rivière - qui, apprenant l’arrestation de son employé Moszek Zolty,
« se rend immédiatement au commissariat pour en demander la libération et le reprendre à son service ».
Il fut évidemment éconduit. Moszek Zolty est mort au camp de concentration de Gusen II, en Autriche.
Les Juifs oubliés de Mantes-la-Jolie (1940-1944), éditions L’Harmattan, 180 pp. Préface de Michel Sevin et de Muriel Klein-Zolty. 19,50 €.