Fabienne à l’usine
« L’envers de Flins, une féministe révolutionnaire à l’atelier » sort demain en librairie. Embauchée à 20 ans à Renault-Flins, Fabienne Lauret y reste jusqu’à sa retraite. Elle raconte sa vie. Et elle la raconte drôlement bien ! Interview.
Le Courrier : Mai 68. Vous vous impliquez si fort dans ce mouvement que vous changez de vie. Finie la fac ! Avec votre copain vous décidez de vous « établir » en usine. Dites-nous ce qu’étaient les « établis » ?
Fabienne Lauret : Oui, j’étais lycéenne à Paris et avec mon copain, on s’est enthousiasmés, notamment aux meetings de la JCR, l’ancêtre du NPA (Besancenot). Il y a eu cette grande grève générale de deux mois dans tout le pays. On a vu l’importance de la classe ouvrière. Mai 68 pour nous, c’était la répétition générale vers autre chose. On devait y aller ! Les étudiants dans les usines pour conscientiser les ouvriers. C’était l’idée des établis. Mais très vite, moi je ne me suis plus sentie une « établie », juste une ouvrière ! Vous racontez dans le détail avec une flopée d’impressions et d’émotions, votre premier jour à l’atelier couture, votre vie quotidienne difficile (un premier logement sans eau courante, ni électricité !) Ce sont des souvenirs ou vous preniez des notes au fil de votre parcours politique ?
La mémoire, c’est compliqué ! Il y a des moments qui comptent si fort dans la vie qu’on s’en souvient comme si c’était hier. Mon arrivée à l’usine, nos premières grèves sont de ceux-là. Mais pour écrire mon livre, j’ai aussi fait appel à des archives syndicales et celles de l’Institut d’Histoire des usines Renault. Et j’ai croisé mes souvenirs avec les témoignages d’autres copains d’usine comme ceux de mon compagnon Jamàa. Toute cette vie à Flins, d’abord comme ouvrière à la sellerie, puis au CE, vous décidez de la raconter et donc de devenir écrivaine ! Comme ça s’est fait ?
J’avais déjà eu envie d’écrire. Et puis, en 2014, la revue Les Temps Modernes a fait un numéro spécial sur les ouvriers volontaires et j’ai été contactée pour témoigner. J’ai écrit un texte de trente pages. Mais j’avais encore tellement à dire : l’importance de la mémoire, de transmettre cette histoire ouvrière aux jeunes générations. Le passé aide à comprendre le présent et à transformer l’avenir. Alors quand, après la parution des Temps Modernes, les Editions Syllepse m’ont demandé tout un livre, bien sûr j’ai eu peur mais je me suis lancée ! Vous avez réussi à passer toujours de votre vécu, à un deuxième niveau, collectif voire aussi, à un troisième niveau, l’universel des luttes. C’est un choix ?
Je ne saucissonne pas ma vie d’ouvrière, de féministe, de militante. Y a une cohérence : mon vécu s’imprègne de mes engagements. Avec parfois trop d’émotionnel et de réactions trop vives ! Il m’est arrivé d’en prendre plein la gueule, c’est la vie ; en vieillissant, je m’améliore ! On découvre au fil d’anecdotes comme « le parc à moules », les Catherinettes, le machisme lourd auxquelles les femmes et la jeune syndicaliste, que vous étiez, étaient confrontées. D’où la militante féministe que vous êtes restée : que pensez-vous de l’actuel « Balance ton porc ? »
Le harcèlement a toujours existé dans les entreprises. Mais comment faire pour que ça n’existe plus ? C’est bien d’en parler mais il faut agir. Financer les actions et les associations ! À Flins, c’est seulement depuis cette année 2017 que le règlement intérieur sanctionne les comportements sexistes. Faut dire que les patrons y ont intérêt ! Ça détériore l’ambiance et ça nuit à la productivité. Et aujourd’hui, que pensezvous de la perte de vitesse des syndicats et de la politique en général ? Toujours révolutionnaire ?
C’est un serpent de mer, la perte de vitesse des syndicats : il n’y a jamais eu en France de syndicalisme très fort : en moyenne ça tourne autour de 9 %. Les syndicats combatifs comme la CGT ont du mal ; ceux de collaboration/concertation ne baissent pas. Le salariat et la classe ouvrière sont atomisés, précarisés par l’intérim, l’uberisation, la peur du chômage. Et pour l’envie de se syndicaliser, il faut des victoires sociales ; depuis dix ans, on n’en a quasi-pas. Mais oui, j’ai toujours les mêmes convictions à 67 ans : qu’il faut changer le monde. Et je vois la possibilité d’une relève avec des Nuits Debout, des alternatives au quotidien notamment écolos, des jeunes qui veulent travailler autrement. Face à l’exploitation, il y a et il y aura toujours des alternatives qui s’inventent et des résistances !
■PRATIQUE
L’Envers de Flins. Éditions Syllepse. 15 €. Fabienne Lauret présentera son livre le samedi 10 février à la Nouvelle Réserve avant d’entamer un tour de France