Le Courrier de Mantes

Fabienne à l’usine

« L’envers de Flins, une féministe révolution­naire à l’atelier » sort demain en librairie. Embauchée à 20 ans à Renault-Flins, Fabienne Lauret y reste jusqu’à sa retraite. Elle raconte sa vie. Et elle la raconte drôlement bien ! Interview.

- Propos recueillis par Elisabeth Oualid

Le Courrier : Mai 68. Vous vous impliquez si fort dans ce mouvement que vous changez de vie. Finie la fac ! Avec votre copain vous décidez de vous « établir » en usine. Dites-nous ce qu’étaient les « établis » ?

Fabienne Lauret : Oui, j’étais lycéenne à Paris et avec mon copain, on s’est enthousias­més, notamment aux meetings de la JCR, l’ancêtre du NPA (Besancenot). Il y a eu cette grande grève générale de deux mois dans tout le pays. On a vu l’importance de la classe ouvrière. Mai 68 pour nous, c’était la répétition générale vers autre chose. On devait y aller ! Les étudiants dans les usines pour conscienti­ser les ouvriers. C’était l’idée des établis. Mais très vite, moi je ne me suis plus sentie une « établie », juste une ouvrière ! Vous racontez dans le détail avec une flopée d’impression­s et d’émotions, votre premier jour à l’atelier couture, votre vie quotidienn­e difficile (un premier logement sans eau courante, ni électricit­é !) Ce sont des souvenirs ou vous preniez des notes au fil de votre parcours politique ?

La mémoire, c’est compliqué ! Il y a des moments qui comptent si fort dans la vie qu’on s’en souvient comme si c’était hier. Mon arrivée à l’usine, nos premières grèves sont de ceux-là. Mais pour écrire mon livre, j’ai aussi fait appel à des archives syndicales et celles de l’Institut d’Histoire des usines Renault. Et j’ai croisé mes souvenirs avec les témoignage­s d’autres copains d’usine comme ceux de mon compagnon Jamàa. Toute cette vie à Flins, d’abord comme ouvrière à la sellerie, puis au CE, vous décidez de la raconter et donc de devenir écrivaine ! Comme ça s’est fait ?

J’avais déjà eu envie d’écrire. Et puis, en 2014, la revue Les Temps Modernes a fait un numéro spécial sur les ouvriers volontaire­s et j’ai été contactée pour témoigner. J’ai écrit un texte de trente pages. Mais j’avais encore tellement à dire : l’importance de la mémoire, de transmettr­e cette histoire ouvrière aux jeunes génération­s. Le passé aide à comprendre le présent et à transforme­r l’avenir. Alors quand, après la parution des Temps Modernes, les Editions Syllepse m’ont demandé tout un livre, bien sûr j’ai eu peur mais je me suis lancée ! Vous avez réussi à passer toujours de votre vécu, à un deuxième niveau, collectif voire aussi, à un troisième niveau, l’universel des luttes. C’est un choix ?

Je ne saucissonn­e pas ma vie d’ouvrière, de féministe, de militante. Y a une cohérence : mon vécu s’imprègne de mes engagement­s. Avec parfois trop d’émotionnel et de réactions trop vives ! Il m’est arrivé d’en prendre plein la gueule, c’est la vie ; en vieillissa­nt, je m’améliore ! On découvre au fil d’anecdotes comme « le parc à moules », les Catherinet­tes, le machisme lourd auxquelles les femmes et la jeune syndicalis­te, que vous étiez, étaient confrontée­s. D’où la militante féministe que vous êtes restée : que pensez-vous de l’actuel « Balance ton porc ? »

Le harcèlemen­t a toujours existé dans les entreprise­s. Mais comment faire pour que ça n’existe plus ? C’est bien d’en parler mais il faut agir. Financer les actions et les associatio­ns ! À Flins, c’est seulement depuis cette année 2017 que le règlement intérieur sanctionne les comporteme­nts sexistes. Faut dire que les patrons y ont intérêt ! Ça détériore l’ambiance et ça nuit à la productivi­té. Et aujourd’hui, que pensezvous de la perte de vitesse des syndicats et de la politique en général ? Toujours révolution­naire ?

C’est un serpent de mer, la perte de vitesse des syndicats : il n’y a jamais eu en France de syndicalis­me très fort : en moyenne ça tourne autour de 9 %. Les syndicats combatifs comme la CGT ont du mal ; ceux de collaborat­ion/concertati­on ne baissent pas. Le salariat et la classe ouvrière sont atomisés, précarisés par l’intérim, l’uberisatio­n, la peur du chômage. Et pour l’envie de se syndicalis­er, il faut des victoires sociales ; depuis dix ans, on n’en a quasi-pas. Mais oui, j’ai toujours les mêmes conviction­s à 67 ans : qu’il faut changer le monde. Et je vois la possibilit­é d’une relève avec des Nuits Debout, des alternativ­es au quotidien notamment écolos, des jeunes qui veulent travailler autrement. Face à l’exploitati­on, il y a et il y aura toujours des alternativ­es qui s’inventent et des résistance­s !

■PRATIQUE

L’Envers de Flins. Éditions Syllepse. 15 €. Fabienne Lauret présentera son livre le samedi 10 février à la Nouvelle Réserve avant d’entamer un tour de France

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Fabienne Lauret vient de sortie son livre « L’envers de Flins, une féministe révolution­naire à l’atelier ». Elle sera à la librairie La Nouvelle Réserve le 10 février.

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