Le Courrier de Mantes

« Le mot mort n’a jamais été prononcé pendant mes études »

CLAUDE GRANGE Médecin à la Fondation Mallet de Richebourg et créateur de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Houdan.

- • M.B

Que retenez-vous de l’interview d’Emmanuel Macron dévoilant les grandes lignes du projet de loi sur la fin de vie ?

« La principale annonce entendue par beaucoup a été celle sur l’aide active à mourir. Un euphémisme utilisé par Emmanuel Macron. Pourquoi ne dit-il pas clairement les choses ? Ce projet de loi ouvre la porte au suicide assisté, voire à l’euthanasie. Seules quinze secondes de l’interview parlaient des soins palliatifs pour dire que 1 milliard d’€ supplément­aires sera consacré au secteur en dix ans, puis annoncer la création d’unités dans les 21 départemen­ts qui en sont dépourvus et la création de maisons d’accompagne­ment, une solution alternativ­e entre le domicile et l’hôpital. »

Un renforceme­nt de la formation des profession­nels médicaux et paramédica­ux a aussi été annoncé…

« C’est une très bonne chose. La problémati­que va devenir de plus en plus importante compte tenu du vieillisse­ment de la population. Sur 80000 médecins généralist­es, seuls 2 % ont choisi d’étudier les soins palliatifs durant leur cursus. Un changement de logiciel est nécessaire, en sortant du sentiment de toute-puissance du médecin qui peut tout guérir. Le mot “mort” n’a jamais été prononcé durant mes études. La notion de soins palliatifs doit être intégrée dès le début du cursus de médecine. »

La loi Clayes-Leonnetti permettant une sédation profonde et continue jusqu’au décès est-elle suffisante ?

« En vingt-cinq ans de pratique à Houdan, seuls trois patients sur 3 500 ont maintenu leur désir de partir à l’étranger pour mourir. Pourquoi faire une loi pour si peu de gens alors que nous avons les compétence­s pour les accompagne­r en soulageant leur douleur ? De plus, les cinq critères cumulatifs (majorité, discerneme­nt, maladie grave incurable, pronostic vital engagé à court ou moyen terme, souffrance­s non soulagées par la médication) sont trop restrictif­s. Outre le fait que même le plus grand médecin ne peut pas dire combien de temps il reste à vivre à une personne, ces critères ne prennent pas en compte les demandes croissante­s de gens ne souhaitant simplement pas vivre une déchéance ou une dépendance liées à l’âge. »

Pour vous, le choix de mettre fin à une vie relève du domaine judiciaire plutôt que médical…

« Il s’agit en effet d’une question sociétale. Si la société est prête à accorder ce droit, cela doit être décidé lors d’une commission composée d’hommes de loi. Ce n’est pas aux médecins d’en décider. Oui, le projet de loi prévoit une clause de conscience pour les praticiens, mais les établissem­ents de santé, eux, seront tenus de répondre aux demandes. Cela risque de créer de conflits supplément­aires au sein des équipes. Donner la mort n’est pas dans notre fonction. »

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