Le Courrier de Mantes

Le plus beau métier du monde

Ksenia Bolchakova, prix Albert-Londres en 2022 pour son film sur le groupe de mercenaire­s Wagner, est venue raconter au centre culturel Le Chaplin son métier de journalist­e aux élèves de la ville.

- • Régis Blondel

Si l’on a un peu craint l’annulation de cet événement — en raison des menaces terroriste­s générées sur internet —, ce sont finalement moins d’élèves que prévu qui sont venus assister à la rencontre avec Ksenia Bolchakova, journalist­e d’origine russe qui a notamment couvert l’actualité sur la guerre en Ukraine.

C’était d’ailleurs le thème de l’événement, coorganisé par le Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’informatio­n) et l’associatio­n du prix AlbertLond­res, à savoir « l’informatio­n sur tous les fronts ».

Les quelque cent élèves du collège Clemenceau et des lycées Saint-Exupéry et Rostand ont donc durant deux heures posé leurs questions à Ksenia Bolchakova et, sans éviter aucun sujet, elle leur en a appris un peu plus sur la réalité du métier de journalist­e.

La Corée du Nord, meilleur voyage

Sur ses avantages, que Ksenia Bolchakova estime plus importants que les — nombreux — inconvénie­nts : « Hier, j’étais sur les bords du Danube, et aujourd’hui je suis ici avec vous. C’est quelque chose que permet le journalism­e, de voyager là où on n’aurait jamais pensé aller, de rencontrer des personnes qu’on n’aurait jamais croisées normalemen­t », confie-t-elle. On apprend d’ailleurs que le pays « hypersympa » et le plus dépaysant qu’elle a visité n’est autre que la Corée du Nord.

Pour les désagrémen­ts, et les questions des élèves ont été légion, la femme a fait face, racontant jusqu’au moins ragoûtant.

« Émotionnel­lement impliquée » en tant que Russe d’origine lorsqu’elle a couvert la guerre en Ukraine, Ksenia Bolchakova avoue être minée par la question de l’identité : « Qu’estce que j’ai en commun, moi journalist­e qui a enquêté pendant deux ans sur les crimes de guerre de la Russie sur la population ukrainienn­e, avec un soldat venu de l’Oural ? »

Elle s’estime en tout cas « extrêmemen­t pessimiste » quant à la suite du conflit entre l’Ukraine et la Russie, ce « pays toujours un peu malade ».

Kidnapping

Journalist­e sur les zones de guerre, et parfois sur les zones de combat, Ksenia Bolchakova a dû se confronter à des choses « choquantes » ou « effrayante­s », la mort, l’injustice, les dangers du quotidien… « On réfléchit à ce danger quand on est sorti, pas trop sur l’instant », note-t-elle.

Des formations sont d’ailleurs désormais proposées — par le ministère de la Défense ou les organes de presse — pour que les journalist­es soient mieux préparés. Des cellules d’aide psychologi­ques sont également monnaie courante pour ceux qui auraient vécu des expérience­s potentiell­ement traumatisa­ntes. Sans parler de l’indispensa­ble matériel de base, gilet pare-balles, casque, trousse de premier secours, à avoir sur soi en permanence. « On travaille également avec des téléphones satellites et des balises GPS sur nous, au cas où l’on se ferait kidnapper. Cela laisse quelques heures ou quelques jours pour le ministère de la Défense pour localiser l’endroit ou l’on a été enlevé. »

Tabassage en Inde

Interrogée sur certains aspects de son travail — est-il compliqué d’obtenir des témoignage­s, reçoit-elle des menaces, des pressions — elle n’a pas tu les abus qu’elle a subis. Tabassée par cinq hommes en Inde « qui m’ont fait très mal », arrêtée en Lybie, suivie par des mercenaire­s en République Centrafric­aine « qui ont mis des trucs dans nos verres, ce qui aurait pu très mal finir pour nous », elle a aussi vu la voiture d’une collaborat­rice exploser sous les fenêtres de son hôtel.

Bref, du moins bon mais, incommensu­rable dans sa vision du métier, Ksenia Bolchakova voit les petites joies, les motifs d’espoir incessants venir contrebala­ncer cela : « Il y a toujours des moments ou l’on se dit : je sais pourquoi je fais ce métier », avance-t-elle.

Brad Pitt en dating

❝ 116 000 prisonnier­s politiques en Russie, cela souligne la brutalité de la répression du gouverneme­nt russe » KSENIA BOLCHAKOVA

Et puis, quel autre métier lui aurait permis de rencontrer Brad Pitt ? Elle a raconté, amusée et narquoise, aux élèves son interview avec l’acteur, « le seul pour qui j’ai fait un brushing juste avant ! »

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