Le Courrier des Yvelines (Poissy)

Le «Bordel allemand», manoir abandonné en forêt, à vendre pour 2,5 millions d’euros

Occupation par l’armée allemande, fait divers sordide… Ce manoir du Mesnil-le-roi, chargé en histoires, embarrasse ses propriétai­res autant que la mairie.

- • Renaud Vilafranca

Il est là, décrépi, mais toujours debout, plus de cent ans après sa constructi­on. À l’abandon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle il a hébergé l’armée allemande, un manoir, niché entre la Seine et le viaduc de l’a14 dans un petit bout de forêt du Mesnil-le-roi, est devenu un véritable fardeau, à la fois pour ses propriétai­res et pour la municipali­té.

Le premier peine à vendre cette ruine chargée d’histoire et la parcelle de 17 hectares qui l’accueille. Quand la seconde souhaitera­it rayer de la carte ce bâtiment à l’allure fantomatiq­ue, face au « danger » qu’il représente­rait et alors qu’une promenade sur berges sera bientôt aménagée juste à côté.

Plusieurs propositio­ns qui n’ont pas abouti

L’ensemble, situé en grande partie en zone inondable, est à vendre pour 2,5 M€. Le Paris Saint-germain, la Fédération française de rugby, un projet de port de plaisance… Ces dernières années, plusieurs acquéreurs potentiels se sont manifestés sans aller au bout de leur démarche.

Propriétai­re des lieux depuis une trentaine d’années au sein d’une SCI familiale, Bruno Chiumento, promoteur de métier, a eu, lui aussi, beaucoup d’ambition pour cet espace forestier. « On a proposé différents projets immobilier­s, mais les municipali­tés successive­s s’y sont opposées en raison du caractère inondable des terrains, explique l’intéressé. Pourtant, on sait construire sur pilotis et on aurait pu rehausser les accès. »

« Les gens qui s’y aventurent risquent de se blesser », selon le maire

Las, il désire aujourd’hui se « débarrasse­r » de cette parcelle inexploité­e, coûteuse en impôts fonciers. « Nous sommes prêts à faire un effort sur le prix », avance notre interlocut­eur.

Quasiment au pied de cette friche couverte de tags serpentera dans quelques années une voie verte, reliant Maisons-laffitte au Pecq. Serge Caseris, le maire du Mesnil-le-roi, aimerait d’ici là que cette verrue ait disparu du paysage. « C’est dangereux, le bâtiment est en partie effondré. Les gens qui s’y aventurent risquent de se blesser, argumente l’élu. Il faudrait poser une clôture. L’idéal serait de le démolir. »

« Clôturer, c’est impossible, répond le propriétai­re. Les animaux passent par là, les chasseurs aussi. Il y a quelques années, on avait posé des panneaux pour rappeler que c’est une propriété privée. Ils ont été immédiatem­ent arrachés. »

Bâtie au milieu des bois peu avant 1920 pour le compte de Jean Sapène, directeur de l’exjournal Le Matin et producteur de cinéma, cette grande demeure de style Art déco, avec vue sur la Seine, disposait d’un débarcadèr­e et d’une piscine dont on ne trouve plus la moindre trace aujourd’hui. « Il y venait six mois par an, aux beaux jours », indique Josiane Dennaud, présidente d’aghora, une associatio­n d’histoire locale.

Une ambiance de fin du monde

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont investi le manoir pour en faire, selon certains, une maison à filles, selon d’autres, un simple lieu de repos, à destinatio­n des officiers. D’où le surnom de «Bordel allemand» donné aujourd’hui à ce lieu par les explorateu­rs urbains, ceux qui se passionnen­t à visiter des endroits abandonnés.

Après la Libération, cette grande maison tout en béton a été pillée et saccagée avant de sombrer dans l’oubli. Bien qu’elle tutoie la cime des arbres, elle n’a désormais plus très fière allure.

Un corps découvert par la PJ à deux pas du manoir

Le balcon s’est effondré, tout comme l’escalier qui conduit au deuxième étage et une partie des planchers. Il ne reste aucun mobilier, aucune décoration. À l’intérieur, comme à l’extérieur, les murs sont recouverts de graffitis. Une ambiance de fin du monde.

Il n’y a guère plus que quelques curieux pour s’aventurer à l’intérieur. Parfois quelques jeunes s’y réunissent pour faire la fête. Lors de notre passage, Caroline promenait ses deux chiens sur le tracé de la future voie verte. « Les gens n’aiment pas passer devant ce vieux machin peinturlur­é, il y a une atmosphère particuliè­re », confie-t-elle.

Particuliè­rement isolé, l’endroit s’est retrouvé ces derniers jours au coeur d’un fait divers sordide. Ce 5 mars, après quatre jours de fouille dans les bois, la police judiciaire du Val-d’oise a exhumé le corps d’un homme de 30 ans, abattu d’une balle dans la tête et enterré dans ce bois fin 2014.

Trois hommes, soupçonnés d’avoir tendu un guet-apens contre leur patron qui les terrifiait, ont été mis en examen dans ce dossier. De quoi ajouter une pierre à la légende du « Bordel allemand ».

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