Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)
Jean-frédéric Berçot : « Entre l’adjoint et le pote de 25 ans, Karl Olive a fait son choix »
Jean-frédéric Berçot, premier adjoint anciennement chargé des finances et des ressources humaines, est en conflit avec le maire après avoir dénoncé un conflit d’intérêts supposé au sein de la mairie. Le 26 septembre, le conseil municipal votera sa destitution.
Donnez-nous des précisions sur le conflit d’intérêts potentiel que vous avez dénoncé au procureur…
« Un agent municipal affecté à la direction générale est également président d’une très importante association de Poissy. Celle-ci perçoit chaque année plus de 100 000 euros de subvention de la part de la Ville. Donc il est demandeur de subventions en tant que responsable associatif, l’instruction s’effectue à la direction générale et trois membres de l’association en question, dont son fils, travaillent à la Ville au sein du service qui est consulté lors de l’instruction. Pourquoi cela pose-t-il problème ?
Le circuit est tel : le demandeur est le receveur. Le receveur est le contrôleur… Par rapport à l’emploi des fonds publics, il y a un problème. Comment assurer un contrôle correct de la part de gens qui cumulent les trois casquettes ? Ce n’est pas impossible de travailler à la Ville et d’avoir des responsabilités au sein d’une association. Mais il faut que ces deux choses soient complètement cloisonnées et ne pas faire dans le mélange des genres. Sinon, les citoyens peuvent nous reprocher de faire un usage des fonds publics qui n’est pas conforme à leurs attentes. Comment êtes-vous venu à vous intéresser à cette situation ?
Cet agent (celui de la direction générale) n’est jamais apparu à mes yeux durant la campagne. C’est au moment de l’installation de l’équipe municipale que j’ai pris connaissance de ses fonctions. Entre 2014 et 2015, l’association en question a fait une demande de prise en charge par la Ville pour l’organisation d’un événement. J’ai refusé de la signer. Cela s’est transformé en demande de subvention exceptionnelle. C’était déjà quelque chose de baroque, pour moi. Par la suite, le service des finances vous a-t-il alerté à ce sujet ?
Pour le contrôle des fonds et tout ce qui touche le maniement de l’argent public, je m’appuyais sur mon directeur des finances. Au printemps 2016, j’ai demandé à la direction des finances une note d’analyse sur les dix plus grosses associations de Poissy pour connaître l’état des risques éventuels, quel était leur situation et quels contrôles étaient effectués. Je ne l’ai pas obtenu. Les services m’ont renvoyé au dossier de subventions. Je ne suis pas un politique professionnel. J’ai un travail à côté, je suis haut fonctionnaire. C’est pourquoi je me suis plongé dedans cet été, pendant mes congés. Qu’avez-vous découvert ?
J’ai épluché les dossiers de 2015 et de 2016. Comme cela, si je constatais des erreurs, on pouvait toujours corriger le tir et ne pas être accusé de négligences. Et là, j’ai découvert des pièces que l’on ne m’avait jamais communiquées : un avis défavorable émis par le service des finances, concernant l’attribution d’une subvention pour l’association en question. La dite subvention a tout de même été versée. Qu’est-ce qui s’est passé entre cet avis défavorable et l’attribution ? Je doute que mes collègues élus aient eu l’information, sinon ils m’auraient alerté. J’ai également été intrigué par l’emploi d’une partie d’une subvention de 60 000 euros. Cet argent a servi à financer une action portée et mise en oeuvre par les trois agents de la Ville qui ont des fonctions au sein de l’association. Il faut faire attention aussi au fait que ces agents ne soient pas vacataires de l’association en question à cause de cette situation de conflit d’intérêts. Vous êtes-vous senti trahi par vos services ?
Mon directeur des finances aurait dû m’informer de cet avis défavorable. Il devait me dire : « Attention, sur cette association, il y a tel sujet de déficit, tel manque de fond de roulement, l’absence de prévisions budgétaires ». Et un contrôle sur factures aurait dû être effectué. Pour moi, il y a sans doute eu une négligence. La direction des finances devait faire office de verrou. Elle est installée au sein de la direction générale. Cela at-il eu une influence ? Depuis votre arrivée au pouvoir, le montant de ces subventions a-t-il augmenté ?
Oui. L’augmentation a été conséquente, dans un contexte financier qui n’est pas très favorable. Mais ce sont des choses qui peuvent être acceptables. Ce qui ne l’est pas, c’est que l’on attribue des fonds sans effectuer le minimum d’investigation. Avez-vous constaté d’autres irrégularités ?
Le directeur des ressources humaines m’a informé qu’un autre agent, également membre de l’association, n’avait pas de fiche de poste. C’est pourtant l’élément essentiel à tout recrutement, elle résume les tâches à effectuer. Dans la fonction publique, la moindre des choses, c’est de la publier. Surtout quand il y a un recrutement externe. Ce même agent, en deux ans, n’a apparemment jamais pris de congés. Et il me semble qu’il ne badge pas non plus. Ma responsabilité en tant qu’adjoint délégué aux ressources humaines, c’est de vérifier qu’il n’y a pas d’emplois fictifs. En tant qu’élu, comment avez-vous fait pour lutter contre cela ?
Dès mon arrivée, j’ai expliqué aux équipes qu’il fallait faire attention à la manière dont les processus de décision s’organisaient au sein de la mairie dans le domaine du contrôle des fonds publics et du contrôle de l’emploi public, c’est-à-dire la réalité des emplois. J’ai essayé de mettre en place un processus de contrôle des fonds qui soit opérant. J’ai demandé à revoir le processus de contrôle pour les associations qui perçoivent plus de 23 000 euros. Je n’ai pas été entendu. Pourquoi avoir dénoncé ces faits au procureur ?
Le 26 août, j’ai demandé au maire la fin immédiate de la situation de conflit d’intérêts. Pour le protéger, je lui ai demandé de se séparer de cet agent. Il a refusé. Avec cette situation de conflit d’intérêts apparent, on peut-être poursuivi pour concussion, trafic d’influence et détournement de fonds publics. Je lui ai dit que, sinon, je prendrais mes responsabilités. Le 27, j’ai formalisé par écrit ma demande. Cette lettre, qui résume toute la situation, a été envoyée par courriel à Karl Olive. Tous les élus en ont eu une copie le 29 août. Le dimanche 28 août, j’ai croisé les agents en question à la cérémonie de la Libération. J’ai senti que c’était tendu. Le lundi 29 août, ma décision étant mûre, j’ai décidé d’alerter le procureur et de faire un « article 40 » (voir page 19). Auriez-vous pu trouver un autre moyen que de passer par un signalement au parquet ?
Face à ces éléments, je n’avais pas l’intention de tergiverser pour savoir si je devais agir. En tant que fonctionnaire, je n’avais pas le choix. Mais ce n’est pas la peur d’avoir des problèmes qui me guidait, c’est l’intérêt général. J’estime avoir fait ce qui est juste : rendre des comptes à la collectivité et protéger le maire et les élus. Il faut contextualiser le sujet. Nous sommes à Poissy. En 2008, Jacques Masdeu-arus, l’ancien maire, du même bord politique que l’équipe actuelle, a été lourdement condamné dans une affaire de corruption et d’abus de biens sociaux. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. C’est tout de même l’argent des Pisciacais que nous gérons. À partir de quand avezvous commencé à mettre en garde le maire ?
Cela fait deux ans que je lui en parle régulièrement. À chaque fois, cela a généré des tensions. Vis-à-vis de l’agent de la direction générale, il était dans l’émotionnel. Il m’a dit « tu as un problème avec cet agent ». J’ai constaté le contraire. À chaque fois que j’ai essayé de mettre les choses au carré, la direction générale contournait mes initiatives. Le maire n’aurait pas dû faire entrer ses liens amicaux en ligne de compte. Entre l’adjoint et le pote de 25 ans, Karl Olive a fait son choix. Il aurait été préférable de sanctionner cette situation douteuse et de faire en sorte qu’elle ne se reproduise plus. Le maire est mal entouré. Justement, que pensezvous de votre éviction ?
Déjà, je m’inquiète pour la Ville car je ne sais pas qui dispose des compétences nécessaires pour gérer les finances et les ressources humaines. Être dans la gestion publique, ce n’est pas comme une entreprise. Ce ne sont pas les mêmes règles, pas les mêmes contraintes, pas les mêmes organismes de contrôle. Puis, si je n’ai pas eu de remontée d’informations sur cette association, je pense que les élus de tutelle non plus et le maire encore moins. Je n’ai fait que protéger la majorité face à la légèreté de l’administration. J’ai exposé la situation à mes collègues en bureau municipal. Ils ont voté à l’unanimité en faveur de mon retrait de délégation. Ils étaient dans la charge émotionnelle et ne voulaient pas aborder le fond, mais juste la forme. Je n’ai fait qu’effectuer un contrôle scrupuleux des deniers publics, j’étais dans mon rôle. Je suis allé dénoncer une situation car je disposais des délégations adéquates. Je n’avais pas à prévenir tout le monde. Je me devais de faire mon devoir. Après, on me parle d’esprit d’équipe, de confiance… J’ai tenté de nettoyer ce qu’il y avait à nettoyer. Je n’ai pas été écouté. Le 26 septembre, lors du conseil municipal, ils risquent de destituer leur premier adjoint qui n’a fait que défendre des valeurs d’honnêteté et d’intégrité par rapport à l’emploi de fonds publics. Êtes-vous surpris de la décision de Karl Olive ?
Je pensais qu’en bon politique et en homme responsable, il aurait été solidaire de cet article 40. Il est comptable de sa gestion. Il n’avait qu’à faire confiance à son premier adjoint, car je l’emmenais sur le bon chemin. Il m’a proposé de démissionner pour « partir la tête haute » C’est le monde à l’envers! Le maire affirme vous avoir convié à une réunion avant que vous vous rendiez devant le procureur…
C’est faux. Il m’a dit « on en parlera la semaine prochaine ». Je ne pouvais plus attendre. Karl Olive vous a reproché d’avoir été moins présent pour la Ville ces six derniers mois. Que répondezvous ?
Tous les lundis après-midi, j’étais en mairie pour travailler. La première année de notre prise de mandat, je ne connaissais pas la Ville, donc il fallait mettre la machine en route. J’ai préparé les budgets 2014, 2015 et 2016. J’ai toujours répondu présent aux convocations. Je me suis exempté de certains comités techniques car ma présence n’était pas indispensable. Le directeur des finances et le directeur des ressources humaines étaient là pour répondre aux questions du maire. »
« Ne pas faire dans le mélange des genres » « Il était dans l’émotionnel »