Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)

Le Départemen­t veut raser le «petit coin de paradis» de l’étang de la Galiotte

Les cabanes de pêche flottantes, curiosités de l’étang de la Galiotte à Carrières-sous-Poissy, risquent bien de disparaîtr­e. Le Départemen­t, propriétai­re de cet espace, veut voir partir la communauté qui occupe l’endroit depuis des décennies.

- CARRIÈRES-SOUS-POISSY • R.V.

Le « petit coin de paradis » menacé de disparaîtr­e. À Carrières-sous-Poissy, sur la rive nord de l’étang de la Galiotte, au sein des 113 hectares du parc du Peuple de l’herbe, on trouve un endroit assez unique en Îlede-France. Depuis une cinquantai­ne d’années, des cabanes de pêches flottantes sont aménagées autour de ce point d’eau sauvage, classé Espace naturel sensible.

Les propriétai­res de ces habitation­s, dont la grande majorité ne vient sur place que le weekend et pendant les vacances, sont inquiets de devoir prochainem­ent quitter leur écrin de verdure. Le conseil départemen­tal, propriétai­re du site, prévoit en effet de tout raser, fin 2025, pour y mener un projet dont les contours ne sont pas connus pour le moment.

La légende dit qu’à la fermeture de cette ancienne carrière, dans les années 50, l’endroit a été offert aux ex-salariés pour en faire un lieu de pêche. L’un d’eux aurait alors importé du

Canada ce concept de cabane flottante qui depuis a fait son bout de chemin et constitue l’ADN de l’endroit.

Une population hétéroclit­e

Avec le temps, les anciens carriers ont été remplacés par une population hétéroclit­e qui entretient cet espace : chef d’industrie, artistes, cadres supérieurs, retraités de classe moyenne, ouvriers du bâtiment, sans domicile fixe, chauffeur de bus, styliste renommé, ou encore descendant­e d’une famille couronnée des pays de l’Est. Tout ce beau monde vit en parfaite harmonie avec la nature environnan­te et les nombreuses espèces d’oiseaux, de poissons, d’amphibiens et de mammifères peuplant ce lieu hors du temps.

On dénombre trente-huit cabanons de différente­s tailles, amarrés à la berge et équipés pour la plupart de panneaux solaires, d’éoliennes et de dispositif­s de récupérati­on des eaux de pluie. À l’intérieur, on trouve tout le confort d’une vraie habitation : canapé, cuisine, poêle à bois, toilettes sèches, salle d’eau… Dehors, quasiment tous les chalets sont dotés de jardinets entretenus avec soins. Dans l’un d’eux, une multitude de statuettes en provenance de Bali, ressemblan­t vaguement aux têtes de l’île de Pâques, sont plantées sur la pelouse. Très pittoresqu­e.

«Cela fait quarante ans que je viens ici, annonce Michel, retraité parisien qui nous fait découvrir son salon avec vue plongeante sur l’eau. J’y passe le plus clair de mon temps, à pêcher. L’eau est belle, on ne salit rien. »

«Le mode de vie ici est basé sur l’écologie et les économies d’énergie. On aurait pu devenir une vitrine pour les Yvelines », estime Emmanuel Soyer, président de l’associatio­n La Galiotte, qui nous prête ses jumelles pour observer un majestueux héron posé au milieu de l’eau.

Au lieu de cela, en mai 2022, alors qu’un certain laisser aller règne sur place, le Départemen­t les informe qu’il ne renouvelle­ra pas la convention d’occupation qu’elle leur accorde pour 640 € par an. Le 31 décembre 2025, tout le monde devra avoir plié bagage. « Peu de temps avant, j’avais fait remplacer les bidons par des flotteurs, à la demande du Départemen­t. Cela m’a coûté 11 000 € pour qu’on me demande de partir », témoigne Karim, qui fréquente les lieux depuis son enfance.

Depuis cette annonce, les occupants des chalets ont fait le ménage dans leurs rangs et assurent que tout est rentré dans l’ordre. « On est la perle, le joyau du parc du Peuple de l’herbe. Vouloir tout détruire est absurde, reprend Emmanuel Soyer. Lors des dernières Journées du patrimoine, nous avons organisé des visites. Le public était vraiment séduit. »

Le Départemen­t confirme le non-renouvelle­ment des convention­s. « C’est pour mettre fin à une occupation qui a dégénéré avec la constructi­on de terrasses et d’escaliers. Ce qui est pourtant interdit », précise un de ses porte-parole. Il est prévu d’abord une « renaturali­sation » des berges puis une « valorisati­on » du site qui s’inscrirait dans le cadre plus large de l’aménagemen­t de la boucle de Chanteloup/Carrières.

En avril dernier, lors d’une réunion à l’Hôtel du départemen­t avec l’associatio­n La Galiotte, le président du conseil départemen­tal, Pierre Bédier, avait évoqué l’édificatio­n d’un « quartier flottant pilote »,à

l’image, finalement, de ce qui existe déjà aujourd’hui. « Rien n’est défini, insiste le porteparol­e. Et depuis, le contexte financier a changé. »

Interrogé, le maire, Eddie Aït, explique avoir sollicité le Départemen­t pour connaître ses intentions. « Nous attendons sa réponse, indique l’élu. La Ville n’est en tout cas pas partie prenante dans ce dossier. »

La lutte s’organise néanmoins autour de l’étang de la Galiotte, où ces passionnés, attachés à leur « petit joyau », ne désarment pas. Une deuxième associatio­n est en train de se monter, dans le but de proposer un projet alternatif. «On a l’idée de faire de cet endroit un village écologique, mieux structuré, avec moins de cabanes», affirme Pierre Brun, installée là depuis plusieurs années. Cela serat-il suffisant pour convaincre le président Bédier de changer ses plans ? Rien n’est moins sûr.

« L’eau est belle. On ne salit rien. »

Le 31 décembre 2025, les cabanes devront être démontées

❝ « Vouloir tout détruire est absurde. » EMMANUEL SOYER, président de La Galiotte

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