Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)
Le pharmacien a bien escroqué la CPAM… mais pour une raison qui reste un mystère
Plus de 485000 euros. C’est la somme que la Caisse primaire d’assurance maladie est venue réclamer à un pharmacien de Saint-Germain-en-Laye. L’homme de 45 ans a été jugé et condamné par le tribunal de Versailles, le mardi 30 janvier 2024.
Sur le papier, les faits reprochés portent le terme d’escroquerie. Une fraude commise entre le 1er janvier 2018 et le 31 juillet 2022. Mais elle n’en a pas la finalité.
Le pharmacien, un grand homme sec aux cheveux grisonnants, n’en a tiré aucun bénéfice. L’intégralité de la somme est restée sur le compte courant de son officine.
❝ « Il n’a pas de voiture de luxe. Il roule dans une simple Ford Fiesta. Il vit chez son père âgé de 80 ans. Il dort dans une chambre de jeune homme, avec des meubles simples, au milieu des cartons » SON AVOCAT.
Mais alors… Quel motif a poussé ce quadragénaire sans histoire à arnaquer la CPAM? La question, à l’issue du procès, reste un mystère.
400 factures, 485 149 euros
La Caisse s’est intéressée à lui en décembre 2021. Elle pense que le pharmacien n’est pas au carré sur ses déclarations. Il facturerait des médicaments non prescrits, des quantités différentes de celles réellement vendues. L’enquête évoquera plus de 700 boîtes de médicaments concernées mais qui n’ont jamais été achetées aux laboratoires. Des boîtes qui n’existent donc pas.
Il y a aussi eu la note d’un lit médicalisé pour 8 ans et 5 mois. En réalité, le patient en a bénéficié 2 ans et 7 mois. « Un médecin a même déclaré qu’il avait dépassé le délai de prescription d’un antidépresseur», précise une source judiciaire.
Au total, les enquêteurs vont éplucher plus de 400 factures et aboutir à la somme de 485 149 euros.
« Je ne suis pas là pour me défausser »
Confondu, le pharmacien s’est d’abord vu proposer une reconnaissance de culpabilité. Loin du procès public. Mais au dernier moment, il a fait volteface, certainement inquiet par la possibilité de se voir interdire l’exercice de sa profession.
C’est donc en comparution immédiate qu’il a choisi de se défendre. « Je ne suis pas là pour me défausser. Je ne conteste pas les faits, mais la somme totale. Je n’ai pas pu la vérifier et cela me paraît énorme. »
Le quadragénaire explique ses difficultés. Au décès de sa mère, fin 2007, il a repris l’activité. Il a perdu du personnel. «Et en face, il y avait la Sécu qui me renvoyait des rejets de paiements pour des raisons X ou Y. Les explications de la Sécu ne sont pas simples. Pour trouver une solution, ça peut prendre du temps… Leur hotline? Elle est ouverte de 8 h 30 à 17 h. Il faut compter en moyenne 30 minutes par appel… Comment je pouvais faire alors que j’étais seul et que je devais servir mes clients ? Je me suis laissé dépasser par ces rejets. »
«Pas plus que la moyenne nationale ou départementale », assure le Conseil national de l’ordre des pharmaciens.
L’homme a donc décidé de passer dans la formule de l’autocompensation. « Je me suis dit que si je rajoutais une boîte, ça ne se verrait pas. Et que ça compenserait le rejet. »
Et pourtant, les comptes de la pharmacie n’étaient pas dans le rouge
Une démarche d’autant plus surprenante que les finances de sa pharmacie affichent une santé de fer. En faisant la soustraction des 485 000 euros, il reste un bon million d’euros sur le compte courant. Il n’y avait donc aucun intérêt à faire de fausses déclarations. «Le fisc est même venu. Toute la compatibilité était OK. Il ne faisait même pas d’optimisation fiscale.
Il payait les impôts plein pot », assure son conseil.
Cette somme va être rendue à la CPAM, sur décision de justice. «La situation a changé. J’ai retrouvé du personnel. On a mis des protocoles en place. Tout va mieux se passer. Et je suis prêt à collaborer si d’autres problèmes étaient évoqués », assure le pharmacien.
Des réquisitions sévères
Cette confession publique est entendue. Mais elle ne suffit pas au parquet qui demande une pénitence exemplaire.
« On demande une mort professionnelle ! »
De quoi faire bondir la défense. «C’est une mort professionnelle que l’on demande ! Ça ne mérite pas ça. D’autant que l’argent est déjà rendu. »
Et le prévenu de poursuivre : « Cette pharmacie, c’est ma vie. Si vous me la retirez, je n’ai plus rien. »
Après en avoir délibéré, le tribunal prononce une peine de 12 mois, sous bracelet électronique. La pharmacie devra payer 50 000 euros d’amende. L’homme pourra toujours exercer sa profession mais ne pourra plus gérer sa SARL pendant 5 ans. «Vous devez trouver un gérant, et pas un gérant de paille», précise la juge.
Pour l’heure, l’avocat de la défense n’envisage pas de faire appel.
❝ « Ces faits sont graves pour un pharmacien
ayant prêté serment. Je réclame 2 ans de prison, dont une année avec sursis, 50 000 euros d’amende pour l’entreprise. Et une interdiction de gérer et d’exercer la profession de pharmacien pendant 5 ans. » LA PROCUREURE DE LA RÉPUBLIQUE.