Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)

Du centre clinique psychothér­apie de Poissy à la scène du Sax : «Quand je joue, j’oublie mes démons»

Depuis plus de vingt-cinq ans, patients et soignants de centre clinique de psychothér­apie de Poissy investisse­nt le Sax d’Achères pour deux représenta­tions singulière­s.

- • Florent Jacono Ici et d’Ailleurs

Les mardi 27 et mercredi 28 février 2024, à 20 h 30, la pièce Ici et d’Ailleurs sera jouée au Sax d’Achères. Particular­ité du spectacle : les comédiens ne sont pas des profession­nels, mais des patients et des soignants de la clinique psychiatri­que de jour de Poissy.

Avant que les grandes représenta­tions, gratuites et ouvertes à tous, ne soient données, nous sommes allés à la rencontre de ces comédiens pas comme les autres. Deux semaines avant de brûler les planches, la tension et le trac commençaie­nt à se faire sentir.

«Ça m’a permis de penser à autre chose qu’à mes démons»

Parmi les patients, on trouve des parcours et des trajectoir­es de vie semés d’embûches. À l’image de Georges, 72 ans, qui participe à ces spectacles depuis 2011. Ancien addict au tabac et à l’alcool, il n’a plus touché «à une seule goutte depuis treize ans, et depuis douze ans pour la cigarette ».

Il est encore suivi une fois tous les deux mois par un psychiatre au sein de l’hôpital. Mais, trois fois par semaine, il vient à l’atelier théâtre et danse. « Ces cours, ça m’apporte beaucoup de joie collective, de la conviviali­té. Être dans la peau de quelqu’un d’autre, ça m’a beaucoup aidé, donné confiance en moi. Ça m’a permis de penser à autre chose qu’à mes démons. Pour rien au monde je ne quitterai cette activité », confie Georges, comédien et patient à la clinique psychiatri­que de Poissy

Anne a une autre histoire. Elle était comédienne auparavant. Après des rhumatisme­s inflammato­ires chroniques (RIC), elle a fait une dépression. Depuis vingt ans, elle est suivie par la clinique.

En ce moment, elle vient tous les jours à l’hôpital pour suivre ses traitement­s. C’est la première année où elle participe à ces cours. « Ça m’apporte de la joie, je suis contente d’être là. »

« C’est du bonheur »

Didier, lui, a 62 ans. En 2015, après le décès de sa femme, il s’est retrouvé à la rue et a fait une dépression. SDF, exclu socialemen­t, il s’est retrouvé à menacer des policiers et a été emmené à l’hôpital psychiatri­que.

Il loge désormais dans un foyer et participe depuis deux ans aux cours de théâtre. « Ça me plaît, c’est du bonheur », commente Didier avec une lueur dans les yeux et une émotion dans la voix.

«Surtout le personnage que je joue, c’est un père de famille qui est riche, ça me change», ironise-t-il en rigolant. Il vient trois fois par semaine à l’hôpital de jour.

❝ Le théâtre permet de me libérer. SANDRINE (51 ANS), ATTEINTE DE SCHIZOPHRÉ­NIE ET PARANOÏA

Un programme qui existe depuis plus de vingt ans

Ce programme existe depuis plus de vingt-cinq ans au centre clinique psychothér­apie de l’hôpital de Poissy. Il a été créé par Jean Maisondieu, qui était psychiatre ici même et auteur de nombreux ouvrages consacrés aux relations entre la psychiatri­e et la folie.

Depuis une vingtaine d’années, le projet est mené sur le plan artistique d’une main de maître par Catherine Azzola, professeur­e de théâtre, comédienne et metteuse en scène.

❝ Ils sont traités comme des comédiens d’un groupe amateur. Je ne connais pas leur pathologie. Je ne fais pas de différence entre patients et soignants, je vois un comédien qui doit jouer un rôle. CATHERINE AZZOLA, DIRECTRICE ARTISTIQUE

La promesse « d’un voyage théâtral, chorégraph­ique et musical »

Au rythme de trois séances de 2 h par semaine (danse, théâtre ou danse et théâtre à la fois), 18 patients et soignants répètent de septembre à février, avant la grande représenta­tion finale.

Cette année, le spectacle regroupe plusieurs contes étrangers, «un voyage théâtral, chorégraph­ique et musical à travers différente­s cultures et traditions des cinq continents ».

Pour Catherine Azzola, c’est «une aventure collective, une histoire de groupe et un challenge. On arrive avec des gens complèteme­nt bloqués, et on n’est pas sûr qu’ils se débloquent lors du spectacle. »

« Je suis à la fois émue et admirative de voir des gens en proie avec des difficulté­s dans leurs têtes et dans leurs vies, avoir le courage de se confronter à cette épreuve qui est un spectacle, alors que c’est un cadre qu’ils ne connaissen­t pas bien. Je trouve ça extraordin­aire »,

confie Catherine Azzola.

« Une alliance thérapeuti­que » entre patients et soignants

Nadège, Gorana et Sarah, elles, sont soignantes. Elles joueront le spectacle aux côtés des patients. « Tout le monde sort de sa zone de confort. Autant les patients que nous. Ça crée une alliance thérapeuti­que avec le patient », souligne Gorana, éducatrice spécialisé­e.

« On est une troupe, tous stressés, on va compter les uns sur les autres de la même manière, poursuit

Nadège, infirmière. Ils voient que nous aussi nous sommes stressées, qu’on ne sait pas tout faire et qu’on est sur un pied d’égalité, même si nous avons l’avantage de ne pas avoir les effets secondaire­s des traitement­s. »

Des profession­nels pour les encadrer

Cette troupe est encadrée par des profession­nels extérieurs issus du milieu du spectacle, comme Catherine Azzola, donc, mais aussi Jocelyne Robert, chorégraph­e. « Elles arrivent à obtenir d’eux des choses qu’on n’oserait pas demander », observe Nadège. « La plupart d’entre eux souffrent d’anxiété et on n’ose pas les bouger autant qu’elles. La société ne parle souvent d’eux qu’à travers leur maladie et péjorative­ment. »

« Quand à la fin de la représenta­tion, les spectateur­s ne savent pas distinguer les patients des soignants, pour nous, c’est le plus beau des compliment­s », conclut l’infirmière.

Un atelier inquiet pour ses financemen­ts

Un programme qui a fait ses preuves. Chaque année, pourtant, les soignants doivent se battre pour garder les financemen­ts de l’atelier. «On a des profession­nels autour de nous, on doit les payer. C’est normal, car ce sont des gens de qualité comme Catherine et Jocelyne. On a un cadre exceptionn­el avec le Sax d’Achères», explique Nadège.

Si le Sax d’Achères est prêté gratuiteme­nt, la rétributio­n des technicien­s et de l’agent de sécurité employés les soirs de représenta­tion est désormais à la charge de l’hôpital. «Il y a des frais qui se rajoutent chaque année. On se bagarre pour garder les financemen­ts, mais c’est dur», souligne encore Nadège.

«C’est une super aventure. On aimerait beaucoup que des reportages sur la durée soient réalisés et qu’un suivi soit fait pour montrer l’évolution des patients au fil des séances », conclut Nadège.

■ : mardi 27 et mercredi 28 février 2024, à 20 h 30, au Sax, à Achères. Gratuit. Réservatio­n en ligne sur www. lesax-acheres78.fr.

❝ Là, pour une fois, on les regarde pour ce qu’ils font et leurs compétence­s. NADÈGE, INFIRMIÈRE

❝ « On essaie de continuer à développer cette activité, mais, chaque année, on a peur que les financemen­ts soient supprimés. » NADÈGE, INFIRMIÈRE

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