Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)
Du nouveau sur les restes textiles et organiques celtique
De nouvelles analyses de laboratoire, menées sur un exceptionnel char celtique du VIe siècle av. J.-C., révèlent d’étonnantes pratiques funéraires de l’âge du Fer, qui consistent à habiller les objets du mort de plusieurs couches de tissus et de fourrures
On vient de découvrir d’étonnantes pratiques funéraires pratiquées à l’âge de Fer (VIIe – 1er siècles avant J.-C.) que l’on pourrait intituler : « Revêtu pour l’audelà ».
En effet, de nouvelles analyses de laboratoire, menées sur un exceptionnel char celtique du VIe s. av. J.-C., révèlent que pendant l’âge du Fer, on habillait les objets du mort de plusieurs couches de tissus et de fourrures.
Un tumulus géant de l’époque des « Princes celtes »
En octobre 1879, le géologue Eugène Perron ouvre un grand tumulus connu localement sous le nom de « Motte aux Fées ». Les fouilleurs progressent par tranchée dans le monticule, jusqu’à ce qu’ils butent sur l’emplacement d’une chambre funéraire en madriers de bois vers le centre du tertre. Elle contient les restes d’un char à quatre roues, écrasé par l’effondrement du plafond.
Les restes du mort, qui était allongé sur la caisse du char, ont entièrement disparu, en raison de l’acidité du sédiment. On ne retrouve de lui que le grand torque en tôle d’or qu’il portait au cou, avec un collier de perles d’ambre rouge, et les deux fibules en or qui fermaient son vêtement.
À ses côtés se trouvait un large chaudron en bronze d’origine grecque, d’une capacité de plusieurs centaines de litres de boisson, sur lequel avait été posée une petite coupe à boire en or. La tombe est assurément celle d’un souverain celtique de très haut rang, enterré là à la fin du VIe siècle av. J.-C.
Un char cérémoniel emmailloté pour l’au-delà
Les roues et la caisse du char sont entièrement recouvertes de fer ouvragé. Le véhicule est de construction très élaborée, produit sans doute dans un atelier spécialisé de la région du Haut Danube. Tracté par deux chevaux, il devait être utilisé lors des cérémonies conduites par les premiers souverains de l’âge du Fer. (VIIe – 1er siècles avant J.-C.)
Dès la découverte, l’attention des chercheurs est attirée par la présence de restes textiles, fossilisés dans la corrosion du fer. Une première étude, menée dans les années 1980, en dénombre sur plus de 300 pièces différentes. De nouvelles analyses, en cours, permettent de mieux comprendre comment ce véritable habillage du char a été mis en place.
La corrosion des pièces de char en fer a figé les étoffes qui en épousaient les reliefs. Peu à peu la matière minérale s’est substituée à la matière organique selon un processus que l’on nomme la minéralisation.
On comprend ainsi que plusieurs couches d’étoffes et de fourrures enveloppaient les roues et la caisse du char. Bien qu’aucune bordure ni lisière n’attestent l’utilisation de tissus travaillés ou taillés en bandes étroites, l’ajustement de la toile est tel qu’il ne saurait avoir été réalisé avec une pièce de grande envergure. Et comme en témoigne la distorsion des tissus, ils étaient ajustés en tension sur le support. L’enveloppement intentionnel et total des pièces métalliques ne fait ici aucun doute.
Si le processus de corrosion nous prive des couleurs originelles des tissus, l’excellente lisibilité des vestiges permet d’apprécier la qualité comme la diversité des tissages employés.
Prenons l’exemple du chapeau d’essieu présenté ici : plusieurs couches d’une étoffe tissée en armure sergé, probablement à motifs de chevrons ou de losanges, le recouvraient. Soigneusement sélectionnés pour créer des effets de surface, les fils alternent les sens de torsion (directions S et Z) et les épaisseurs (simples et retors).
Enfin, un micro-prélèvement examiné en microscopie électronique à balayage révèle l’utilisation de fibres de laine. En conséquence, il nous faut imaginer un chapeau d’essieu entièrement dissimulé sous plusieurs couches d’un même lainage étroit à chevrons ou à losanges ; par ailleurs, c’est bien l’ensemble du char qui était couvert de peaux, de fourrures et d’étoffes différentes et colorées.
Transformer le mort en ancêtre
L’étude des tissus archéologiques bouleverse nos connaissances sur les rituels funéraires celtiques. Bien que tributaire des conditions de conservation, le mobilier funéraire en fer d’autres tombes aristocratiques du premier âge du Fer (v. 800-450 av. J.-C.) apparaît presque systématiquement emballé de tissus.
Vaisselle, éléments de parure et de toilette, armement, mobilier et éléments de char, aucun dépôt n’échappe à ce rituel d’enveloppement. Cette pratique témoigne d’une remarquable unité culturelle dont l’interprétation nous questionne, plus encore en contexte funéraire où le mobilier dérobé au regard des vivants n’a plus valeur d’usage, ni de fortune. Il s’agirait alors de créer les conditions du passage entre le monde des vivants et celui des morts.
De telles pratiques, connues dans d’autres sociétés, visent à transformer le corps du mort et les objets qui l’accompagnent pour leur voyage vers l’au-delà. Il s’agit en somme de revêtir le mort et son cortège des habits qui lui permettront d’accéder au monde des ancêtres.