Le Courrier Vendéen

Les vertes-velles

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Corvou était d’une famille de sorciers qui vivaient du côté de l’Epine sur l’île de Noirmoutie­r. Les Corvou passaient leur temps à faire du mal aux autres. Quand un Corvou t’avait ensorcelé, tu ne pêchais plus rien, ton bateau talonnait sur un rocher un jour de tempête. Ce dernier des Corvou dont je veux parler, en plus d’être sorcier, prêtait de l’argent à des taux d’usurier aux pauvres gens qu’il avait ensorcelés. Eh bien, ce soir-là, un soir de l’Avent, on disait dans le bourg de l’Epine que Corvou, le dernier des Corvou, de la famille des sorciers, que Corvou « battait sa faux », que Corvou était à l’agonie. Plus d’un, dans son for intérieur, n’en était pas mécontent.

Ce soir-là, il était bien onze heures minuit, le jeune Jacquet revenait de la veillée. Passant devant la cour de Corvou, il entendit comme des bruits de pas. Ce ne pouvait tout de même pas être Corvou qui marchait puisqu’il agonisait dans son lit. Des sabots claquaient sur le sol de la cour. Et encore des moyeux de charrette grinçaient sur leur essieu. Que diable cela pouvait-il être ? se dit Jacquet. Soudain, deux volets heurtèrent le mur en s’ouvrant et un être grimpait à la fenêtre, puis un autre, tous les deux pas plus hauts que des petits enfants. Au même instant, Jacquet vit sur la cour une charrette toute noire et à côté un nain qui attendait. Un nain maigre, dont la tête encapuchon­née était percée de deux grands yeux qui brillaient comme des charbons ardents. Jacquet, stupéfait, n’osait pas bouger. Par la fenêtre ouverte, on entendait des soupirs, des jurons, des bruits de pas. Le nain de la cour impatient :

-Frères, dit-il en s’approchant de la fenêtre, il faudra se hâter avant que la nuit se termine et que chante le coq.

Il était donc deux heures du matin. Les deux autres nains apparurent à la fenêtre, deux nains maigres comme celui de la cour. L’un des deux enjamba la fenêtre, portant à deux bras un fardeau plus gros que lui, qu’il chargea sur la charrette. C’était le Corvou, ce fardeau, le Corvou mort, avec son nez en bec d’épervier, sa bouche ricanant jusque dans la mort. Les nains dressèrent le cadavre debout en le fixant avec des câbles à la fourragère. Les nains s’attelèrent à la charrette, et les voilà partis au galop ! Le cadavre oscillait, les roues grinçaient, les six sabots claquaient comme sur un chemin gelé. Puis soudain, plus rien.

Jacquet courut frapper à la porte du curé. Il raconta tout ce qu’il avait vu et entendu. Ils passèrent chez le sacristain, le vieux Mathelin. Au long du chemin, Jacquet lui raconta, raconta encore. A la maison du Corvou, dont les fenêtres et la porte étaient fermées, ils trouvèrent le mort sur son lit, à sa place de mort. Tandis que le curé murmurait une prière, le vieux sacristain expliqua à Jacquet que c’étaient les Vertes-Velles qu’il avait vues.

Les nains et leur charrette noire avaient emmené l’âme maudite du sorcier Corvou, avant que le jour ne se lève, dans des lieux que nous ne connaisson­s pas, des lieux où il fait toujours nuit.

D’après Edmond Bocquier qui a recueilli ce récit sur l’île de Noirmoutie­r en août 1902, son article de 1906, p 319.

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