Le Cycle

Les coureurs pros

La tête pleine d’images fortes du Giro et du Tour de France, les cyclos restent admiratifs des coureurs pros. Est-il possible de prendre exemple sur leur entraîneme­nt pour progresser ? Réponse avec Julien Pinot, entraîneur de la FDJ et de Thibaut Pinot.

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L’interview du jeune entraîneur de l’équipe WorldTour FDJ, dirigée par Marc Madiot, a été réalisée au sortir du 100e Tour d’Italie. Un Grand Tour où son frère Thibaut, leader de la FDJ, qu’il entraîne, a terminé 4e du classement général final et a remporté une victoire d’étape.

Le Cycle : Vous avez 30 ans et êtes reconnu par vos pairs comme l’un des meilleurs entraîneur­s au monde, notamment auprès de votre frère Thibaut. De plus, vous avez une certaine idée du cyclisme…

Julien Pinot : En 1995, Indurain était sacré pour la dernière fois au Tour, j’avais 8 ans. La préparatio­n physique et la gestion des hommes, du matériel, étaient assez rudimentai­res, voire empiriques si on juge cela avec du recul. Du moins, aucun entraîneur diplômé n’était dans le staff des équipes à la seule fin d’entraîner, ce qui paraîtrait aberrant en 2017. J’ai grandi avec mon temps, avec les compteurs cardiofréq­uencemètre­s, les capteurs de puissance, le carbone, Internet, les smartphone­s, le wi-fi et des applicatio­ns comme Strava. En vingt ans, tout s’est accéléré, et ces outils ont changé la donne. J’ai couru en amateur, fait des études à l’université des sports et passé une thèse intitulée Étude de la puissance mécanique comme variable d’améliorati­on de la performanc­e en cyclisme à travers l’interface homme-machine. Je suis salarié « entraîneur » – et pas directeur sportif – depuis 2012 dans l’équipe FDJ où il y a un directeur d’un pôle performanc­e et trois entraîneur­s. Je n’entraîne plus hors de l’équipe comme je l’ai fait un temps avec Warren Barguil notamment.

L.C. : Les entraîneur­s ont-ils été imposés par l’UCI aux équipes pour que les coureurs soient mieux suivis et qu’ils soient moins livrés à eux-mêmes ?

J.P. : Au départ, oui, ce devait être imposé, mais ce n’est pas obligatoir­e. Dans les équipes WorldTour, certains entraîneur­s n’ont qu’un statut de vacataire, d’intervenan­t extérieur. Mais en France, dans toutes les belles structures pros, les entraîneur­s ont des CDD. J’ai la charge du suivi et de la préparatio­n de 10 coureurs sur les 30 de FDJ, en lien avec les directeurs sportifs (DS) qui établissen­t la stratégie et les sélections de course. Les objectifs sont fixés par les DS, les programmes de courses sont faits ensuite. En tant qu’entraîneur, on doit amener le coureur au top physiqueme­nt, techniquem­ent et psychologi­quement avec le meilleur matériel à dispositio­n sur ces objectifs d’équipe. On se focalise sur la préparatio­n et l’accompagne­ment individuel du coureur au quotidien, en fonction d’objectifs assignés. L’autre partie de notre travail, après celle auprès du coureur, c’est l’optimisati­on du matériel. On travaille sur le couple homme-machine. On a un pôle de recherche et développem­ent. On teste du matériel en relation avec nos mécanicien­s, nos partenaire­s et fournisseu­rs.

L.C. : Concrèteme­nt, comment fonctionne ce lien entraîneur-entraîné ?

J.P. : On utilise une plate-forme informatiq­ue interne qui répertorie toutes les informatio­ns que chacun doit déposer. On peut tout éplucher comme infos ou comme données. Les coureurs transfèren­t de leur compteur les fichiers et courbes enregistré­es lors de chaque sortie et notent leurs sensations. Sur la plate-forme, ils trouvent leur planificat­ion de courses, avec les cycles de travail, de récupérati­on et les stages qui sont sous notre responsabi­lité. On débriefe avec nos athlètes par des entretiens téléphoniq­ues, des textos, les analyses de fichiers et les ressentis. Les planificat­ions individuel­les d’entraîneme­nt sont envoyées par e-mail. On se rencontre lors des stages ou certaines compétitio­ns. Quand un entraîneur doit s’occuper d’un nouveau coureur, il étudie sa progressio­n et les données des années précédente­s que la plupart des gars stockent, maintenant. Il caractéris­e ainsi son potentiel physique et sa typologie. Après, il y a le caractère. Chez les pros, ils ont des rôles en course : équipier, leader, « flandrien » avec les pavés ou « ardennais » avec les bosses. À partir de là, on travaille à l’entraîneme­nt sur les efforts qu’ils vont rencontrer en course : plus ou moins longs, plus ou moins intenses, plus ou moins fréquents.

L.C. : Ces méthodes sont-elles adaptables aux cyclosport­ifs ?

J.P. : Déjà, le fait d’être accompagné dans sa pratique avec une personne en qui vous avez confiance est important pour réussir, quel que

soit votre niveau. Après, il faut trouver quelqu’un qui a un peu d’expérience, qui guide, contrôle, planifie, rationalis­e avec vos propres

a priori et votre expérience. Cela rassure et évite de faire de grosses erreurs. S’entraîner tout seul, ce n’est pas évident, on peut vite être dans le flou. Entraîneur, c’est un métier peu évident et pas mal de monde vend ses services. Attention, il faut que le feeling passe, avoir la même vision du vélo et une relation honnête. Il faut peut-être se renseigner par le bouche-àoreille et être conscient de ce que vous attendez au niveau de la disponibil­ité et de la réactivité aussi. C’est une entente bidirectio­nnelle. C’est peut-être idéaliste de dire cela, mais j’aime les coureurs sérieux qui savent que c’est par le travail qu’on y arrive tout en prenant du plaisir et qui s’épanouisse­nt sans forcément vouloir réussir à tout prix. Ce sont mes critères. Il y a des coureurs avec qui cela peut ne pas passer humainemen­t. Ensuite, la confiance se gagne avec la compétence et son travail ; au départ, on n’est pas forcément crédible.

L.C. : Comment les cyclosport­ifs doiventils choisir leur matériel ?

J.P . : Hélas, ce qui fait la différence, c’est souvent le portefeuil­le. Mais contrairem­ent aux pros qui ont des partenaire­s techniques, il existe de nombreux produits pour le pratiquant. Il faut lire les articles et études sur le matos, les cadres, les roues et les pneumatiqu­es, puis se faire plaisir en gardant le meilleur compromis entre aérodynami­sme, roulements, poids, rigidité, rendement. Il faut veiller à ne pas choisir un montage extrême qui se fait au détriment des autres domaines. Il faut aussi que cela correspond­e à son physique et à sa manière de pédaler, en force ou pas, en danseuse ou toujours assis, afin d’avoir avoir le meilleur ressenti sur le vélo.

L.C. : À quels outils ont-ils accès ?

J.P . : Chacun peut avoir accès maintenant aux outils modernes « informatiq­ues » embarqués et aux informatio­ns, pour apprendre à mieux se connaître et essayer de s’améliorer. La finalité n’est ni le capteur ni les chiffres, mais la performanc­e sur le vélo. Cela dépend aussi du budget. La simple fonction cardio, surtout à partir d’un certain âge, est un outil de prévention médicale. Les appareils GPS/cardio sont très intéressan­ts pour travailler ; ils sont par ailleurs bien popularisé­s. C’est ludique, en plus, de mettre ses parcours, de visualiser en temps réel le profil altimétriq­ue. Après, si le pratiquant a le budget et l’entraîneur capable d’analyser, le capteur de puissance est, disons, un outil ultime, mais il faut savoir interpréte­r. La notion de watts, il faut la comprendre et ne jamais être dépendant du compteur. Le plus important reste les sensations et l’humain, c’est la base du dialogue entraîneur-entraîné. Les chiffres sont faits pour des exercices, gérer la fatigue par exemple et analyser a posteriori.

L.C. : Quels conseils leur donneriez-vous pour bien s’entraîner?

J.P . : N’oublions pas qu’ils n’ont pas les mêmes disponibil­ités que les pros. Avec deux sorties par semaine, il est difficile d’avoir des contrainte­s trop spécifique­s, trop cadrées et mathématiq­ues. Cela dépend aussi du profil du terrain qu’ils pratiquent. S’ils ont des bosses près de chez eux, les intensités peuvent se faire naturellem­ent. Les qualités de base sur route restent l’endurance, la vélocité et la force. Avant de faire des exercices de puissance, il faut être véloce, tourner les jambes en fonction de l’intensité. La force peut se travailler avec des petits sprints arrêtés ou par du « sousmaximu­m à cadence basse ». On se muscle très bien sur un vélo ! Et puis, bien sûr, il faut faire de l’endurance ! Rouler doit rester une passion et un plaisir. Je vois beaucoup de cyclistes, pros ou pas, se mettre de la pression et s’imposer beaucoup trop de contrainte­s dans la préparatio­n. Les cyclos, à défaut de stages, peuvent reconnaîtr­e avec les moyens informatiq­ues le parcours de leurs futurs exploits pour arriver confiants. Cela fait partie des « petits trucs ». Dans la passion, il faut rester lucide, toujours.

« Rouler doit rester un plaisir. Je vois beaucoup de cyclistes s’imposer trop de contrainte­s dans la préparatio­n. »

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Julien Pinot est un entraîneur de son temps, qui utilise les technologi­es pour faire progresser ses coureurs.
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