Le Cycle

La bordure

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La bordure, c’est le bord de la route auquel est assigné le premier coureur qui ne peut pas rentrer dans l’éventail. Dans le cas d’un éventail à dix places, c’est le onzième siège : éminemment éjectable. C’est une position extrêmemen­t inconforta­ble car, n’ayant plus la place de s’abriter alors que l’allure s’élève considérab­lement, le coureur « borduré » (et menacé de chute puisque roulant sur l’extrême bord de la route, il s’évertue à chercher un abri qui n’existe pas) ne dispose que de quelques secondes pour prendre la bonne décision (avant d’être largué). Il doit choisir entre deux options. Il peut s’écarter d’un coup pour suggérer l’ouverture d’un second éventail - c’est la meilleure solution. Mais c’est un risque car, pour peu que le coureur qui le suit soit un peu borné ou inexpérime­nté, et qu’il ne renonce pas à la chimère d’un abri qui n’existe pas, il ne suivra pas, et l’initiateur se retrouvera seul, en plein-vent, condamné. L’autre choix possible, tout à fait individual­iste celui-là, consiste à sauver sa peau à court terme, et par la ruse. Il s’agit de feindre, en laissant se creuser un écart d’un mètre ou deux, ne pas pouvoir suivre, de sorte à ce que, derrière, les autres s’affolent : « le trou, oh, bouche le trou, là ! ». Il ne reste qu’à s’écarter pour que le cycliste affolé vienne prendre la place exposée au vent, créant luimême par la force des choses un espace suffisant avec le bord de la chaussée pour vous offrir un abri. Dans la bordure, un coureur sur deux est à l’abri. Il faut donc garder assez de fraîcheur, en attendant que les choses se calment, pour sauter dans les bonnes roues, et boucher les cassures successive­s aux dépens des autres. Mais c’est un jeu délicat, un peu comme s’accrocher à une branche qui, cassant et recassant, devient de plus en plus courte. Cela demande des nerfs, comme on dit.

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