Le Cycle

Croire en Bardet

Deuxième en 2016, troisième en 2017, Romain Bardet peut espérer le meilleur en 2018, malgré les carences du Français en contre-la-montre et les risques de l’étape des pavés.

- Par J. Pessac

Et si c’était son année ? Et si Romain Bardet gagnait le Tour de France ? Cela fait tellement longtemps que le maillot jaune n’est pas français, depuis Bernard Hinault en 1985, que cette question n’est plus à l’ordre du jour depuis les fameuses 8 s qui ont privé Laurent Fignon d’un troisième Tour en 1989. La progressio­n – parlons même de transforma­tion – de Laurent Jalabert au fil des années 1990 laissa entrevoir cette possibilit­é, vite éteinte. Il y a quelques années, l’hypothèse d’un Français vainqueur du Tour paraissait encore incongrue face à la constituti­on de l’armada Sky et sa fulgurante montée en puissance préfiguran­t une hégémonie anglo-saxonne. Or, pendant ces quatre dernières éditions, trois coureurs tricolores sont montés sur le podium à Paris : Jean- Christophe Péraud (2e en 2014), Thibaut Pinot (3e en 2014) et Romain Bardet (2e en 2016 et 3e en 2017). Le premier est retraité depuis deux ans, mais il pourrait continuer à rendre des services au cyclisme hexagonal puisqu’il est chargé de débusquer d’éventuels tricheurs en qualité de manager matériel et lutte contre la fraude technologi­que à l’Union cycliste internatio­nale. Le deuxième est en froid avec le Tour qu’il a abandonné à trois reprises (dont 2016 et 2017) en six participat­ions. Le troisième y pense jour et nuit, avec tous les sacrifices que cela implique, un socle physique et une préparatio­n mentale forgés au fi l des mois. Oui, et si c’était le Tour de Bardet ? Le leader d’AG2R La Mondiale entre, en principe, dans ses meilleures années (27 ans). Il possède des conviction­s de plus en plus solides et une équipe toujours plus forte (Latour, Vuillermoz, Naesen, et les recrues Gallopin et Dillier). Souvenez-vous, elle avait tenté de mettre en difficulté Chris Froome et les Sky, l’été dernier, sur les routes de Bardet en Haute-Loire, par le col de Peyra Taillade. Ce n’était qu’un coup d’épée dans l’eau qui déclencha des sourires ironiques chez une poignée d’observateu­rs. Pourtant, il s’agissait là d’un test grandeur nature, d’une situation qui pourrait se reproduire car Froome, comme tous les champions avant lui, n’est pas infaillibl­e. Depuis la fin des années 1950, le palmarès du Tour obéit à la suprématie des « monstres » : cinq pour Jacques Anquetil, cinq pour Eddy Merckx, cinq pour Bernard Hinault, cinq pour Miguel Indurain, sept (annulés) pour Lance Armstrong. Certains ont réussi à passer entre les gouttes du déluge comme Lucien Aimar et Roger Pingeon (entre Anquetil et Merckx), Lucien Van Impe et Joop Zoetemelk (entre Merckx et Hinault)… Pourquoi ce Bardet à la confiance accrue, au sens de l’offensive aigu, à son aise dans les descentes, ne les rejoindrai­til pas ? Malgré ses carences en contre-la-montre et les risques inhérents au passage des pavés pour un poids plume comme lui.

BARGUIL VEUT GARDER SON MAILLOT À POIS ROUGES

Très montagneux et réduit en contre-lamontre, le parcours convient au grimpeur. Ces deux tendances sont clairement dans l’air du temps. Il y a quarante ans (lire le récit de la vic

toire de Bernard Hinault en 1978 pages 20-21), la part importante accordée au chrono lui aurait interdit d’espérer un top 10 ! Bardet aurait visé exclusivem­ent des étapes et le classement de la montagne… C’est à nouveau l’objectif de son détenteur, Warren Barguil. En 2017, les performanc­es du Breton ont d’autant plus enthousias­mé qu’elles sont portées par un jeune homme habile à transmettr­e le message de ses émotions à la télévision et qu’elles ont été chargées de symboles (victoire dans l’univers lunaire de l’Izoard, maillot à pois sur les Champs-Élysées). Par tous ces aspects, il y a du Virenque dans les veines de Barguil. Avec tout de même cette différence notable : le Varois ne refusait pas la pénibilité qu’exige le classement général. À 26 ans, Barguil dit ne pas être encore prêt à l’aff ronter. C’est dommage, mais après tout, la faiblesse de son équipe Fortuneo-Samsic (toujours aucune victoire après quatre mois de compétitio­n) ne lui donne-t-elle pas temporaire­ment raison ? Quant à Thibaut Pinot, il doit résoudre l’équation suivante : essayer de briller au Tour après un Giro éprouvant durant lequel le chef de fi le de Groupama-FDJ a été performant. Pinot a abandonné à deux jours seulement de l’arrivée alors qu’il était 3e au classement. Il n’y était pas parvenu l’année passée en partie parce que lui et son frère et entraîneur Julien n’avaient pas réussi à gérer la récupérati­on entre les deux événements. Comme la leçon a été retenue, le Franc- Comtois devrait aborder la Grande Boucle avec de vrais atouts. S’il dépasse ses réticences mentales, il sera servi par le profil montagneux de la seconde partie de l’épreuve. Derrière ce trio BardetPino­t-Barguil perce un talentueux rouleur grimpeur de 24 ans, Pierre Latour. Chez AG2R La Mondiale, il aura pour mission d’épauler Bardet dans la montagne, plus qu’il ne l’a fait au Tour 2017 (mais il découvrait…). Avec une caisse renforcée (3e du Tour de Catalogne, 8e du Tour de Romandie), il doit certaineme­nt pouvoir assumer ce rôle. Dans les cols, il côtoiera certaineme­nt l’un de ses aînés (31 ans), Pierre Rolland (EF Education First-Drapac), dont les succès commencent à dater ( l’Alpe d’Huez en 2011 et La Toussuire en 2012). Julian Alaphilipp­e (Quick-Step) revient avec un gros appétit après avoir été privé du Tour l’an dernier en raison d’une blessure à un genou. Lors de son unique première participat­ion, en

2016, le Montluçonn­ais avait été privé d’une victoire à Cherbourg et du maillot jaune à la fois par Peter Sagan ! Ce seront les objectifs du lauréat de la Flèche wallonne. Lilian Calmejane (Direct Energie) évolue lui aussi dans le registre des puncheurs. C’est en partant de loin, et en résistant à ses poursuivan­ts, qu’il avait gagné aux Rousses l’an dernier.

TROIS ÉQUIPES INVITÉES

Chez les sprinteurs, Arnaud Démare (Groupama-FDJ) joue gros. Il est sans nul doute capable d’ajouter une nouvelle victoire d’étape à celle obtenue à Vittel en 2017 (sa première). Mais est- il en mesure d’encaisser trois semaines d’efforts, surtout si la chaleur s’invite, un élément que le Picard supporte mal ? La situation de Nacer Bouhanni a été longtemps précaire cette saison. Sa commotion cérébrale en mai 2017 dans le Yorkshire l’a longtemps handicapé, et il a été déstabilis­é par l’arrivée d’une nouvelle direction chez Cofidis qui lui demande plus que la précédente. Pendant que Bouhanni peinait à retrouver son niveau (il a débloqué son compteur seulement le 10 mai aux Quatre Jours de Dunkerque), Christophe Laporte (25 ans) se révélait (4 victoires). Sauf pépin de dernière minute, le Varois est certain d’être au départ de la Vendée. Le manager Cédric Vasseur tentera-t-il une cohabitati­on entre les deux sprinteurs ? Certains pensent au Tour depuis plusieurs mois. D’autres ont fait une croix dessus depuis janvier. L’équipe Vital Concept nouvelleme­nt créée par Jérôme Pineau n’a pas reçu l’invitation espérée, car la formation belge Wanty- Groupe Gobert (avec le Normand Guillaume Martin, 23e en 2017) lui a été préférée. Elle doit passer par une période probatoire avant d’obtenir le sésame accordé chaque année à quatre équipes de 2e division. Trois structures françaises figurent parmi les heureux bénéficiai­res : Cofidis (qui a renouvelé son contrat jusqu’en 2022), Direct Energie et Fortuneo- Samsic. D’une certaine manière, Vital Concept est victime de la richesse du cyclisme tricolore (2 équipes en 1re division, 5 en 2e division). Pour Bryan Coquard, qui a fait le choix (risqué) de la rejoindre après avoir quitté Direct Energie, ce n’est sans doute que partie remise. Mais, en attendant, c’est une nouvelle opportunit­é qui est perdue pour le sprinteur, déjà privé du Tour il y a un an. Pour Sylvain Chavanel, c’est au contraire un été de rab, une 18e participat­ion. La dernière.

 ??  ??
 ??  ?? Le leader d’AG2R La Mondiale entre dans ses meilleures années et dispose d’une équipe plus forte. En outre, l’édition 2018, très montagneus­e, lui convient.
Le leader d’AG2R La Mondiale entre dans ses meilleures années et dispose d’une équipe plus forte. En outre, l’édition 2018, très montagneus­e, lui convient.

Newspapers in French

Newspapers from France