Le Cycle

Protocole UCI

- Par J.-B. Paillisser

C’est un adversaire parfois invisible et imprévisib­le du sportif. La commotion cérébrale a semé le trouble durant trop d’années dans les stades, sur les rings et les routes. Détection, risques cliniques… autant de signaux dont L’UCI s’empare aujourd’hui pour proposer aux cyclistes un protocole adapté.

Le docteur Jean-claude Peyrin, l’ancien président du comité médical de la FFR (fédération française de rugby) avance une définition de la commotion cérébrale: « C’est un dysfonctio­nnement du cerveau, soudain et transitoir­e. Un traumatism­e crânien qui provoque une perturbati­on du fonctionne­ment cellulaire et place le cerveau dans une situation de faillite mettant plusieurs jours à se rétablir. Le cerveau garde la trace de l’événement. » Pour autant, il a été oublié un peu trop rapidement qu’elle frappait indifférem­ment toutes les discipline­s sportives, y compris le cyclisme. Les cyclistes payent un lourd tribut ces dernières années. En effet, on dénombre 187 décès et 1600 pratiquant­s hospitalis­és en 2019 selon la Sécurité routière. Le cycliste aurait, d’après les experts, 3 fois plus de risques d’avoir un accident qu’un automobili­ste. Les blessures relevées chez cette population s’avèrent graves et touchent souvent la tête. La spectacula­ire chute de Romain Bardet au cours de la 13e étape du Tour de France a relancé le débat (1). Le coureur pro auvergnat occupait alors la 9e place du classement général. Sa chute le laissa groggy. Romain Bardet éprouva du mal à se relever. Il se remit pourtant en selle pour terminer l’étape avant d’être contraint à l’abandon le lendemain. Les fédération­s des sports de combat et de contact (rugby) se sont préservées les premières en mettant en place des protocoles afin de déceler la commotion cérébrale pour mieux la soigner. À ce sujet, tous les acteurs du secteur (médecins du sport, éducateurs, entraîneur­s, arbitres, compétiteu­rs) ont été formés à la détection et aux conduites à tenir.

Rien n’est gagné pour autant. Selon le docteur Olivier Capel, médecin du sport à Lyon et président de la commission médicale de la Ligue Auvergne-rhône-alpes de rugby, « La commotion n’est pas toujours identifiab­le sur le terrain. Ces difficulté­s d’identifica­tion engagent à un travail de réseau entre profession­nels de la santé et à une politique de formation des médecins et des neurologue­s. Souvent, les avis divergent sur les causes et les effets de la commotion… »

Le docteur Amine Benounnane (boxe anglaise) renchérit: « Tous les KO ne se ressemblen­t pas et la commotion est alors difficile à diagnostiq­uer. Elle n’est pas toujours décelable par IRM et peut se révéler plusieurs heures ou plusieurs jours après le combat. Seul l’examen neurologiq­ue apporte des éléments d’informatio­n fiables. » À compter de 2021, un protocole couvrira donc les discipline­s du cyclisme (voir encadré page suivante). Il était temps car certains observateu­rs s’étonnaient dans le cas Romain Bardet qu’un protocole du… rugby –en l’occurrence celui de L’AS Montferran­d– lui soit appliqué.

ACTEURS DU CYCLISME: PREMIÈRES RÉACTIONS

C’est peu de dire que le monde du cyclisme attendait ce protocole maison. Pour Pascal Chanteur, président de l’union nationale des cyclistes profession­nels (UNCP), « Il est des images que l’on souhaite ne plus revoir, telles celles du Tour de Californie lorsqu’un coureur après une chute violente dans une descente était remonté sur son vélo en titubant et rechutant de nouveau… Un protocole commotion était déjà en place durant cette année 2020. Le docteur Bigard, médecin de l’union cycliste internatio­nale, nous a fait

part lors du dernier conseil de cyclisme profession­nel des modificati­ons qu’il souhaitait apporter à ce protocole commotion. »

Celui qui appelle ses adhérents à rester vigilants à l’évolution du cyclisme attend beaucoup du protocole de L’UCI tout comme Samuel Dumoulin, devenu directeur sportif chez B&B Hotels-vital Concept à l’issue de ses dix-sept ans de carrière sportive à laquelle il mit un terme fin 2019 : « Le protocole est une bonne chose. Il était très attendu par les coureurs. Le sujet méritait d’être mis en avant. Le cas de Romain Bardet a pu poser clairement le problème du diagnostic, de la pathologie et du trauma. Il contient des recommanda­tions précieuses. C’est un passage obligé pour le cyclisme moderne. En contrepart­ie, il faudra former tous les acteurs des courses cyclistes sur les consignes et les procédures à suivre. Il s’agit donc de sensibilis­er sans pour autant se substituer aux profession­nels de la santé. Il faudra parfois prendre les décisions délicates mais indispensa­bles à la place de l’athlète qui souhaite rester coûte que coûte dans la course malgré l’accident subi. »

Pascal Chanteur souligne les nombreuses concertati­ons qui ont permis d’apporter une évolution de la prise en charge du coureur blessé et celle de la réglementa­tion en compétitio­n. Dans ce nouveau contexte, Samuel Dumoulin entend jouer le rôle de donneur d’alerte: « Le rôle premier d’un directeur sportif par rapport à son équipe est d’intervenir en cas d’accident ou d’incident, de signaler les dangers potentiels de la course (véhicules, motos…) et de communique­r ces informatio­ns à ses coureurs. Le coureur ne connaît pas nécessaire­ment la route par coeur, il faut donc assurer sa sécurité en lui communiqua­nt les informatio­ns utiles. Il agit en liaison avec les organisate­urs, les signaleurs et éventuelle­ment avec le personnel médical. Le directeur sportif est le responsabl­e du staff. Il doit être omniprésen­t: organiser les journées, définir des stratégies, connaître les parcours empruntés, les lieux de ravitaille­ment… » Inquiet par rapport aux changement­s induits par ce texte au sein de son équipe? « Le plus important pour nous, conclut Samuel Dumoulin, consistera à suivre les recommanda­tions, les consignes sans bouleverse­r sur le fond notre métier. Interroger le coureur après une chute sévère, l’accompagne­r pour éviter l’accident grave. Notre rôle est celui d’un donneur d’alerte. Repartir ou pas, voilà la question. Convaincre le champion de repartir o u de passer des examens complément­aires. Faire évaluer le trauma par des profession­nels de la santé. Faire respecter la période de repos et le retour à la compétitio­n… »

LES CRITÈRES CLINIQUES DE LA COMMOTION ET LES RISQUES ENCOURUS

Du traitement rapide de l’informatio­n, dépendent la bonne prise en charge et le suivi du sportif blessé. Les principaux critères communémen­t observable­s sont les suivants : trouble de la conscience, convulsion­s, crise tonique posturale (contractio­n involontai­re d’un membre), ataxie (le sujet a du mal à se relever, cherche son équilibre, doit être soutenu pour marcher), changement de comporteme­nt (conduite anormale ou actions inappropri­ées), désorienta­tion, confusion (il répète la même question), troubles visuels, maux de tête… Si la commotion n’est pas détectée, le docteur Peyrin nous avise sur les risques immédiats : diminution de la performanc­e, nouvelles blessures plus ou moins graves et syndrome du deuxième impact pouvant entraîner un hématome intracrâni­en d’évolution parfois fatale. Lorsque les commotions sont répétées ou si la reprise se fait trop rapidement, le cerveau est non cicatrisé et deux risques tardifs menacent : les syndromes postcommot­ionnels (maux de tête, irritabili­té, vertiges, troubles

de la mémoire, difficulté­s de concentrat­ion…) et les maladies neurodégén­ératives à un âge plus avancé. L’affaire aurait pu être toxique pour le sport français (désaffecti­on des familles et des pratiquant­s au regard des sports où ce risque n’est pas maîtrisé), mais la réaction médicale appuyée par le mouvement sportif a été décisive. En concevant des protocoles axés sur la participat­ion de tous les protagonis­tes de la discipline sportive considérée, la politique de prévention esquissée par certaines fédération­s s’est révélée payante (voir dernière page). C’est un fait, le cyclisme a su faire progresser les conditions de sécurité au gré des années et des événements (port du casque rendu obligatoir­e par L’UCI le 16 juin 2003 après l’accident mortel d’andrei Kivilev sur Parisnice la même année). La sécurité du pratiquant devient désormais un impératif de la pratique du vélo et des pelotons. Selon les statistiqu­es de la Sécurité routière, la situation de l’accidentol­ogie se dégrade pour le cycliste en dépit des campagnes de prévention menées par l’union nationale des cyclistes profession­nels (Sur la route, respectons-nous!). Dans ce contexte, le port du casque est fortement recommandé. Mais suffitil? Cette prise en compte du « mal du siècle » contribue à inscrire le vélo dans l’espace social devenu le nôtre.

(1) Article du Parisien du 16 septembre

2020 intitulé Je suis content que ma chute lance un débat.

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Romain Bardet tomba lourdement lors de la 13e étape du Tour. Sa chute le laissa groggy et il éprouva du mal à se relever.
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Le rôle du casque est d’emmagasine­r l’énergie de l’impact afin de réduire les commotions.
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Lors d’un choc, le système Mips absorbe l’énergie de l’impact en faisant glisser le crâne le long de la calotte externe du casque.

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