Auto-organisation
Devant l’incertitude de savoir si les événements et autres cyclosportives programmés d’ici à l’été pourront avoir lieu, les pratiquants ne vont-ils pas privilégier les organisations privées pour être sûrs de pouvoir pédaler comme ils le souhaitent sans craindre d’annulations ? Par F. Pondevie
E ncore privés de randonnées et de cyclosportives dans les prochaines semaines, après une année 2020 déjà très maigrelette en matière d’événements, les milliers de pratiquants continuent de ronger leur frein sur leur home trainer et petites boucles autour de la maison en rêvant à des jours meilleurs et surtout de pouvoir aller pédaler ailleurs. Entre annulations et reports de toutes les cyclosportives, difficile de se fixer un objectif tangible et donc de garder la motivation pour continuer l’entraînement. Qui plus est, beaucoup ont été échaudés par 2020 avec des sommes versées à des épreuves qui n’ont pas pu avoir lieu, dont le montant a été reporté pour l’édition 2021… en espérant qu’elles puissent se dérouler! Pour certains, il est clair qu’ils ne retenteront pas l’expérience sans être sûrs de pouvoir se déplacer et s’inscriront à la dernière minute. D’autres vont faire le choix de partir sur tout ou autre chose et de s’organiser un défi ou un séjour entre amis pour quand même pouvoir rouler et avoir un objectif en vue sans être tributaires d’une organisation extérieure. Si l’auto-organisation peut se poser depuis un an, il ne faut quand même pas oublier que la pratique du vélo, qui fut longtemps axée sur deux disciplines majeures que sont la route et le VTT durant les années 1990 et 2000, connaît une profonde révolution depuis une dizaine d’années. Les aspirations des cyclistes changent, on le voit avec l’apparition de nouveaux domaines comme le gravel et le bikepacking qui sont déjà une envie de sortir des sentiers (et structures) classiques. On le retrouve aussi dans le succès d’une pratique comme l’ultradistance, désormais démocratisée et qui n’est plus considérée comme réservée à une élite de cyclistes extrêmes.
DES OUTILS POUR L’AUTO-ORGANISATION
Mais ce développement n’aurait pas pu se faire non plus sans l’émergence, en parallèle, de tout un arsenal d’outils technologiques permettant de mettre en place relativement facilement des défis personnels, ou de rejoindre des groupes ou communautés pour partager un événement commun. On pense bien sûr à Strava qui met à disposition des outils simples pour se créer des parcours mais aussi qui joue beaucoup sur le côté social avec la multiplication des Challenges qui stimule la pratique chez les membres et de donner de nouvelles idées de défis. Il en existe plein, mais on pense notamment au Rapha Festive Challenge qui repose sur le fait de réaliser 500 km entre Noël et le jour de l’an, ou encore à l’everest Challenge qui consiste à escalader, aussi rapidement que possible, une pente pour atteindre ou dépasser l’équivalent de la hauteur de la montagne située dans la chaîne de l’himalaya, soit 8848 m. Ces deux exemples de défis, de plus en plus populaires, peuvent se faire à tout moment et échappent à toute structure organisatrice. Ce développement annonce-t-il cependant la fin des organisations bien rodées? Même si depuis un an la pandémie pourrait être considérée comme un « accélérateur » de cette tendance, >>
la réponse est quand même loin d’être évidente. Parmi les organisateurs, on ne perçoit pas du tout le même pessimisme, comme chez Ludovic Valentin, créateur de cyclosportives et d’événements gravel regroupés au sein du Cycling Challenge (les Copains Cyfac, la Trilogie de Maurienne, l’alpinbike lac d’annecy…). Bien sûr, il a dû s’adapter aux nouvelles règles et décaler le lancement de sa saison. « On ne pourra pas organiser la Lozérienne début mai et on a préféré l’annuler pour 2021. On a également reporté trois autres épreuves comme la Cyclo Sud-bourgogne en août, les 100 Ans de la Vache qui Rit fin septembre et le Raid des Alpilles qui se tiendra en octobre. C’est sûr qu’il faut composer avec les règles et on a dû mal à voir un calendrier à moyen terme. Toutefois, je reste optimiste pour la suite, et nous allons tout faire pour que la saison soit belle. »
OPTIMISTE POUR LA REPRISE Craint-il une désaffection des participants face à l’incertitude? « Non, pas du tout. Effectivement, je le vois autour de moi, beaucoup de gens sont à la recherche de défis personnels et les organisations privées se développent. Il y a tous les outils pour le faire. Mais dans le même temps, on remarque aussi une véritable attente et un engouement pour des événements à venir. » La dimension des épreuves qu’organise Ludovic Valentin, qui fluctue entre 500 et 2000 personnes selon les rendez-vous, l’encourage à penser qu’il sera plus simple de repartir rapidement que sur de gros événements à la logistique plus lourde. Pour peu aussi que les autorités administratives soient au diapason, ce qui est souvent un écueil pour beaucoup de structures. « Il faut déposer les dossiers en préfecture deux mois avant la date prévue, mais vu la conjoncture où l’on édicte des règles sanitaires à 4 ou 6 semaines, ce n’est pas possible. Donc je comprends que la plupart jettent l’éponge. L’an passé, après le premier confinement, et la confirmation que nous pouvions de nouveau organiser des épreuves, nous avons pu faire passer des dossiers en seulement 3 semaines. Espérons que ce sera la même chose cette année. » Car comme le dit en conclusion Ludovic Valentin, « si vous êtes en capacité d’organiser et de mettre en place une cyclosportive en quelques semaines, vous êtes sûr de faire le plein vu l’attente. Nous avons constaté cet engouement l’an passé, début août, lorsqu’on a été le premier événement du calendrier avec la tenue de la Trilogie de Maurienne. Ce sera la même chose cette année, les cyclistes n’attendent que ça ». Autre son de cloche, et moins en phase avec celui de Ludovic Valentin, du côté de Golazo, un important organisateur de cyclosportives (Lepape Marmotte Granfondo, les Trois Ballons, le Tour du mont Blanc…). L’incertitude est de mise et l’optimisme qui pouvait encore prévaloir durant l’hiver n’a plus vraiment cours comme l’explique Pierre-henri Prost, directeur de Golazo Lyon: « Je pense qu’il y a un mois, participants comme organisateurs étaient encore très optimistes pour une reprise courant du mois de juin et juillet. Là, ce n’est plus le cas. Du coup, il est clair qu’ils vont faire du off. Moi le premier, je vais me faire le Tour du mont Blanc sur plusieurs jours avec des amis en juillet. C’est une pratique qui, à mon avis, va se développer. Malgré tout, nous sentons une attente et par rapport aux retours que nous avons, je peux ainsi faire quelques remarques: les participants dans des clubs ou dans les Teams nous sollicitent beaucoup et attendent avec impatience la reprise. Ce n’est pas étonnant car ce sont les plus axés sur la compétition. Pour les participants hors clubs ou autres, il est plus difficile de dégager une tendance, ils sont aussi dans l’expectative. En revanche, côté inscriptions, on voit que les participants se risquent moins à s’inscrire sans aucune visibilité. D’autant plus que de notre côté, on a fait le choix de ne pas communiquer des messages d’optimisme alors que tout
« C’est sûr qu’il faut composer avec les règles et on a dû mal à voir un calendrier à moyen terme. »
reste incertain. Donc, nous n’encourageons pas les inscriptions et restons très réservés dans notre communication. »
L’APPEL À DE PETITES STRUCTURES PRIVÉES
La taille des épreuves organisées par Gozalo, la Marmotte des Alpes attirant par exemple chaque année plus de 7000 participants, en grande majorité étrangère puisque venant des Pays-bas, est aussi un « frein » à un redémarrage serein et dans de bonnes conditions. L’alternative, à mi-chemin entre ces deux tendances de l’auto-organisation pure et simple et la confiance en des structures organisatrices de grands événements, se trouve dans le développement de services à destination de particuliers pour mettre sur pied un projet mais sans nécessairement s’occuper de la logistique. Lancée en 2013, Trip Adékua (https://cyclo.voyagesadekua.fr) se démarque d’une agence classique de tourisme en proposant de mettre directement en relation un potentiel client avec un guide qui est présent sur place afin de mettre en place le projet du voyage. En quelques clics, après avoir exposé vos souhaits, vous recevrez un devis personnalisé avec le coût estimé du voyage. Ensuite, une fois arrivée sur le lieu du séjour, le guide local avec qui vous avez échangé s’occupera de vous encadrer durant toute la durée du voyage.
DES ENVIES MULTIFORMES Sébastien Gremel, qui travaille depuis quatre ans pour Cyclo Trip Adékua, nous donne sa vision des choses. Souplesse et adaptabilité sont les maîtres mots de la structure qui propose de nombreux séjours dans l’hexagone (et à l’étranger) encadrés par un guide local qui connaît très bien les routes et saura adapter les groupes selon les niveaux de chacun. « L’an passé, après le premier confinement, on a constaté une forte hausse des demandes effectivement. Cela venait de groupes d’amis ou de familles qui avaient envie de découvrir une région et de se faire une semaine de vélo ensemble. Nous n’étions présents que sur la route jusqu’en 2020, mais nous avons ouvert nos séjours à la pratique VTT et gravel. Et c’est vrai que dans ce domaine aussi, la demande a été forte. L’appel de la nature a été important. Pour 2021, difficile de se projeter pour l’instant tant que les règles de déconfinement n’auront pas été clairement établies. Mais on peut penser que le mouvement engendré l’an passé sera à l’identique cette année. Et la France est d’une richesse infinie permettant de découvrir toujours plus de nouveaux territoires. Les personnes qui nous contactent ont envie de faire quelque chose en petit comité mais pas nécessairement de devoir s’occuper de la logistique. Réserver des hôtels, restaurants, s’occuper des bagages, tracer des parcours harmonieux… c’est faisable en solo mais c’est fastidieux, et on peut se tromper si l’on ne connaît pas le coin. Le confort d’être encadré, c’est appréciable. » En conclusion, on ne peut pas véritablement trancher entre ces différentes tendances. Même si la pandémie influe fortement sur les choix actuels, par défaut souvent, le développement de la pratique cycliste, qui est désormais multiforme et qui se régénère avec l’arrivée de nouveaux pratiquants, rejaillit aussi sur les envies de chacun. On peut très bien passer d’une participation à l’étape du Tour à un défi en solitaire en bikepacking sans vouloir préférer l’un ou l’autre mais bien l’un et l’autre. Et ce qui ne changera probablement jamais comme le dit bien Ludovic Valentin, « l’envie de se retrouver ensemble et de participer à quelque chose de commun est toujours un sentiment fort chez les pratiquants ».