Interview avec…
Deux facteurs priment donc pour le bon confort et la performance à vélo: la qualité de la selle et son réglage. Si le prix et le niveau de gamme sont bien évidemment un facteur supplémentaire à prendre en compte, il doit être dissocié du choix du modèle.
« Pour 90% des problèmes, cela est dû à une mauvaise horizontalité de la selle. »
Basés à Rouen et à Caen, les centres Orthodynamica regroupent des experts de la posturologie et de l’orthopédie. Le directeur de la recherche et du développement, Camille Pouliquen, nous explique l’importance du positionnement de la selle pour un pédalage économique et efficace.
Le Cycle: Selon vous, comment faut-il choisir sa selle?
Camille Pouliquen: Il y a des grandes différences entre les coureurs experts du contre-la-montre et les cyclistes du dimanche. Et donc, de modèles de selles. Nous arrivons à gérer les problèmes pour toutes les pratiques. Pour 90% des cyclistes qui ont des douleurs de l’assise, cela est dû à une mauvaise horizontalité de la selle. Quand les gens ont des problèmes d’assise et qu’ils sont perdus sur l’offre du marché, nous revenons à l’essentiel et constatons qu’elle est juste mal réglée. Habituellement, nous tenons compte du milieu de selle, à 8 cm du bec [représenté notamment chez Specialized et Pro, ndlr]. Nous prenons en considération l’horizontalité de la selle en prenant en avant de ces 8 cm et pas sur toute la selle. Du coup, la selle est plate ou légèrement inclinée. On peut alors caler les ischions du patient, que nous avons mesurés au préalable, sur l’arrière.
Aussi, la plupart des douleurs sur le vélo proviennent en général d’un recul de selle trop important. C’est souvent négligé chez les cyclistes. Ce n’est pas le tout de bien choisir sa selle, mais il est surtout important de bien la régler. Il faut aussi regarder la souplesse du patient, sa pratique. Lui faire comprendre qu’utiliser ses bras permet d’alléger le poids sur la selle et qu’il n’est donc pas nécessaire de disposer d’une selle épaisse et évidée. Ensuite vient la position de la potence: hauteur et longueur.
LC: Que conseillez-vous comme type de selles?
CP: Pour le moment, nous recommandons 4 selles plutôt communes. Mais nous ne jurons que par la largeur et l’horizontalité de la selle, bien plus que pour le modèle en lui-même. Pour le confort et la performance, la qualité du cuissard entre en jeu également. C’est un point souvent négligé par les coureurs. Comme chez les vélocistes et de nombreux ergonomes, nous mesurons la largeur des ischions du patient. Il est communément défini que cette largeur est à environ 7 cm, un peu plus pour les femmes. Pour le moment, dans notre base de données, notre moyenne se situe plutôt entre
8,8 et 11.
LC: Quel est votre point de départ pour une étude avec un patient?
CP: Nous étudions tout d’abord le pourquoi de la venue du patient. Douleurs, recherches de performances ou de confort. Nous commençons une étude 3D et utilisons nos instruments. Nous partons de l’inclinaison du tronc par rapport au bassin, puis la rotation des hanches, des genoux, des chevilles. Nous prenons en compte également le positionnement de la selle sur le chariot et son incidence sur le centre de gravité. Cela peut influer dans la taille du cadre. Le souci, c’est que le vélo est un travail en chaîne fermée. Tout réglage impacte le reste. L’assise, puis les pieds, les mains, etc.
LC: Quelles sont donc les données les plus importantes pour choisir correctement sa selle?
CP: L’horizontalité en tout premier lieu. Souvent les cyclistes règlent leur selle de +1 à +3° [bec trop relevé, ndlr]. Nous baissons cette valeur, surtout pour la performance. Mais pas totalement puisque pour les pros qui souhaitent, par exemple, une selle très avancée et penchée pour obtenir une phase de poussée optimale, cela peut s’avérer limité si l’on n’est pas assez gainé. Tout peut lâcher. Pour des triathlètes qui varient entre la courte et la longue distances, le principe est le même. Dans le premier cas, leur selle sera inclinée vers le bas et avancée; dans le deuxième, elle sera à l’horizontale et un peu plus reculée pour gagner en confort et en relâchement. Ensuite de nombreux paramètres pour le choix d’une selle restent conditionnés par le marketing, comme les selles évidées selon nous. Cela peut soulager certaines pathologies mais pas dans tous les cas. L’avenir réside dans la fabrication d’une selle sur mesure en 3D. Comme les semelles podologiques. Une étude basée sur les données anthropométriques et les souhaits des consommateurs, comme le confort et la sportivité.
Pour gagner du poids et du style, de nombreux fabricants avaient cédé dans les années 2000 à la mode des selles full carbone, sans revêtement. Le principe de confort ne tenait que sur le réglage et la flexibilité du plateau, le gainage et le niveau du coureur, puis la longueur de la sortie à vélo donnait le ton du reste. Nous en sommes revenus et nous constatons qu’il est tout de même préférable de bénéficier d’une partie en mousse sous le fessier.
Les cuissards ont aussi énormément progressé et jouent un rôle très important dans le confort passif. Mais comme la selle, leur épaisseur ne détermine pas cette donnée. On parle de confort ici suivant l’alchimie de plusieurs données, comme la qualité de l’insert, sa texture et son maintien pour limiter les frottements. Le choix de ce périphérique suit les mêmes codes. Inutile d’acheter une selle trop rembourrée si l’on s’enfonce littéralement dans les mousses et si ce composant est mal réglé orienté.
ÉTUDIER SA PRATIQUE
L’idéal est de faire appel à un ergonome dans un premier temps. Il pourra déterminer avec précision, via les mesures anthropométriques, le modèle adapté à votre pratique et à vous seul. Mais en l’absence d’étude, il est indispensable de déterminer votre niveau de pratique, votre souplesse, votre style de pédalage et vos objectifs. Il ne s’agit pas de changer de modèle de selle uniquement sur un coup de tête, si les choses se passent bien dans l’ensemble, sans douleur et sans problème sur la performance, il vaut mieux poursuivre avec le même modèle.
Si ce dernier ne change pas au catalogue du fabricant (forme et dimensions), il suffit d’opter pour un échange standard quand votre selle arrive en bout de course. En général, on parle d’une dizaine de milliers de kilomètres pour une utilisation intensive. Il est conseillé de vérifier l’état de la densité des mousses, la bonne tenue du plateau et si les rails ne sont pas endommagés. Malheureusement, de nombreuses marques changent leurs modèles assez souvent. Soit en les faisant évoluer (gain de poids, changement de mousses ou de rails), soit en les occultant du catalogue (produits impopulaires par exemple). Pour retrouver des sensations similaires entre deux modèles, de deux marques différentes parfois, intéressez-vous à la largeur du croissant, à la distance entre le bec de selle et la zone des 7 cm, ainsi qu’au creux de selle. Ces trois paramètres permettent, en théorie, de rapprocher deux modèles. Mais tout ceci reste dans « les lignes », car le revêtement de ce périphérique (plus ou moins abrasif) et la densité des mousses peuvent également influer sur le ressenti au pédalage. L’idéal est de tester un produit sur plusieurs centaines de kilomètres. Si certains fabricants comme fi’zi:k, Selle Italia ou San Marco proposent parfois des modèles de tests dans les magasins, la réalité est tout autre sur le terrain et il est aussi hasardeux de rouler avec une selle employée par un précédent utilisateur… Hélas, tant que les constructeurs ne se seront pas penchés sérieusement sur le surmesure, trouver la perfection à son séant ne sera que long et fastidieux.