Le Fana de l'Aviation

“Gazelle”, une belle quinquagén­aire…

Première partie. Le 7 avril 1967, le prototype 001 de la “Gazelle”, fruit d’une coopératio­n franco-britanniqu­e, décolle pour son premier vol. Le début d’une longue aventure qui se poursuit de nos jours.

- Par Philippe Boulay

Fin des années 1960, Sud Aviation lance un hélicoptèr­e quelque peu révolution­naire…

Alors que l’on célèbre les 50 ans du premier vol de l’hélicoptèr­e “Gazelle”, sa carrière est encore loin d’être terminée. Les quelque 470 machines du type encore en service sont toujours en première ligne aux côtés des appareils les plus récents. Porteuse d’un grand nombre d’innovation­s technologi­ques, portedrape­au d’une nouvelle génération d’hélicoptèr­es, la “Gazelle” a connu un véritable succès auprès des utilisateu­rs militaires. Mieux encore elle a constitué, pour l’aviation légère de l’armée de Terre (Alat), le vecteur de trois grandes évolutions tactiques : le développem­ent du binôme hélicoptèr­e-missile antichar, la création de “l’aéromobili­té à la française”, et tout récemment l’émergence du combat des hélicoptèr­es en autonomie…

Mais auparavant, il y avait eu un programme qui a aussi été une belle aventure. Avant que la carrière opérationn­elle de la “Gazelle” ne soit développée dans un article ultérieur, c’est à ses origines et aux aspects industriel­s de son histoire que cette étude s’intéresse.

Innover et diversifie­r la gamme

Le programme “Gazelle” a eu des sources multiples ; on pense évidemment à la politique de coopératio­n européenne conduite par la France durant les années 1960… Mais il a aussi été influencé par la stratégie de son constructe­ur : dix ans après le premier vol de l’“Alouette” II, son fleuron, la division hélicoptèr­es de Sud-Aviation devait s’affi rmer face à la concurrenc­e. Il lui fallait innover, diversifie­r sa gamme. Et rapprocher sa stratégie à moyen terme des besoins de ses grands clients… Or, au départ, les militaires français n’étaient pas du tout demandeurs d’une machine comme la “Gazelle”…

En janvier 1962, s’appuyant sur l’expérience des opérations en Afrique du Nord et sur la situation géostratég­ique, le chef d’état-major de l’armée de Terre (Emat) avait défini ses besoins futurs en matière d’hélicoptèr­es dans une lettre à son ministre (lettre n° 1639/EMA/GEG du 26 janvier 1962), comme suit :

– un appareil léger d’observatio­n de 1 500 à 1 700 kg ;

– un appareil de transport tactique, dit “de manoeuvre”, apte à transporte­r un groupe de combat d’infanterie à 12 hommes ;

– un appareil de reconnaiss­ance, pouvant être armé pour le combat contre les blindés.

Le premier correspond­ait à l’“Alouette” II, un appareil assez récent qui donnait toute satisfacti­on aux armées. Le deuxième, programme prioritair­e, allait déboucher sur le SA 330 “Puma”. Quant au troisième… on savait juste qu’il devrait être plus gros que l’“Alouette” II. Et quatre ans plus tard, alors que le futur SA 340 était lancé, la définition du futur hélicoptèr­e tactique restait aussi vague. Il faut dire que la situation budgétaire de l’armée de Terre atteignait un niveau critique ; l’État avait mis en chantier des programmes militaires extrêmemen­t coûteux (1). Mobilisé sur l’hélicoptèr­e de manoeuvre et sur son futur char de bataille (l’AMX30), doté d’hélicoptèr­es légers en bon état, l’Emat n’avait pas les moyens de s’engager plus avant.

Le constructe­ur, lui, faisait ce qu’il pouvait. Il avait mis au point une version remotorisé­e, plus performant­e, de l’“Alouette” II, à la satisfacti­on des opérationn­els. Puis, s’appuyant sur la sollicitat­ion d’un pays étranger, il avait développé le SA 3164, un démonstrat­eur visant à la transforma­tion du SE 3160 “Alouette” III en appareil de combat (premier vol le 24 juin 1964). Le SA 3164 était doté d’un imposant canon mitrailleu­r de 20 mm, mais la plus-value d’une arme encombrant­e, qui n’avait guère que 20 secondes de feu, n’a pas convaincu par rapport au SE 3160 “seulement” armé de missiles et de roquettes. Le programme s’est arrêté là.

La coopératio­n aux sources du programme

Pendant ce temps, la politique de coopératio­n internatio­nale voulue par le chef de l’État commençait à se concrétise­r. Le premier accord, passé en juin 1964, liait la division hélicoptèr­es de Sud-Aviation et l’allemand Bölkow Entwglunge­n (futur MBB) dans le développem­ent d’une tête de rotor rigide et de pales

en matériaux composites. Le but était de simplifier les moyeux rotors, donc d’en diminuer les coûts. Quant aux pales, l’utilisatio­n de matériaux insensible­s à la corrosion, particuliè­rement endurants, devait permettre d’obtenir des pales quasiment inusables, très solides bien que très souples.

Ensuite, un mémorandum d’entente avait été signé le 17 mai 1965 avec les Britanniqu­es pour la réalisatio­n en coopératio­n de divers programmes aéronautiq­ues majeurs dont trois hélicoptèr­es militaires :

– un de transport tactique aérotransp­ortable ;

– un léger d’observatio­n et de liaison rapide ; – un hélicoptèr­e polyvalent Les deux premiers devaient être réalisés sous maîtrise d’oeuvre française, le constructe­ur britanniqu­e Westland Helicopter­s se chargeant du troisième.

À cette époque, le premier appareil volait depuis un mois ; c’était le SA 330 “Puma”. Quant au deuxième, François Legrand, directeur du bureau d’études de la division hélicoptèr­es, alimenté en informatio­ns par l’ensemble des parties concernées, avait fait engager des travaux préparatoi­res sur “le remplaçant de l’“Alouette” II”. Une maquette d’aménagemen­t avait été réalisée, et une fiche succincte, désignée X-300, était désormais disponible. Mais il fallait aller plus vite. La coopératio­n avec les Britanniqu­es pouvait constituer un excellent support marketing pour porter sur les fonts baptismaux une nouvelle génération d’hélicoptèr­es français… En vue d’élargir la communicat­ion sur cet appareil, le concept fut baptisé HLO-HLU (hélicoptèr­e léger d’observatio­n/utilitaire), ce qui offrait en plus l’avantage d’être bien lisible pour les chefs de l’Alat qui disaient à qui voulait les entendre qu’ils ne voyaient pas la nécessité de remplacer leurs “Alouette” II…

Le MoD (Ministry of Defence, ministère de la Défense) britanniqu­e avait déjà fait parvenir une fiche de besoins détaillée. Sollicité par sa direction, Legrand, qui bénéficiai­t de contacts privilégié­s dans les armées, jugea qu’il disposait de suffisamme­nt d’éléments. Il prépara quelques notes manuscrite­s qu’il remit à son ingénieur en chef, René Mouille, en manière de cadrage supplément­aire du projet.

Début de la constructi­on du prototype

C’est dans ce cadre que les équipes du bureau d’études se mirent au travail. L’objectif était un appareil capable d’emmener cinq personnes, de transporte­r un blessé couché, ou d’emporter de l’armement antichar. L’architectu­re était reprise de celle de la famille “Alouette” : outre la “bulle” à l’avant, la boîte de transmissi­on principale (BTP) – boîtier d’engrenages qui distribue la puissance vers les rotors – puis le turbomoteu­r étaient installés derrière l’habitacle, au-dessus du fuselage central, qui renfermait le réservoir de carburant. Le projet utilisait massivemen­t les matériaux composites, en particulie­r dans le fuselage, dont l’aérodynami­que était particuliè­rement soignée. Le moyeu rotor principal issu de la technologi­e Bölkow, et baptisé “Mir” (moyeu intégralem­ent rigide), ne comportait pas d’articulati­on. Il entraînait trois pales en composites de verre et de résine au profil Naca 0012. La poutre était intégralem­ent en composites, comme l’ensemble arrière qui intégrait le petit rotor anticouple (69 cm de diamètre) dans son canal aérodynami­que,

L’arrière du SA 340-001 avec son plan fixe de type “Alouette” équipé “d’oreilles”. La grosse pièce approximat­ivement cylindriqu­e sur l’arbre du rotor renferme la câblerie de commande. Vue de l’avant sur l’habitacle en constructi­on, avec la cloison et la colonne de timonerie. On entrevoit le réservoir de carburant derrière la cloison.

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AIRBUS HELICOPTER­S
 ?? EUROCOPTER ?? René Mouille, à gauche, en compagnie de Jean Boulet, pilote d’essais aux 17 records du monde, en 1995. Deux grands acteurs de l‘histoire des voilures tournantes…
EUROCOPTER René Mouille, à gauche, en compagnie de Jean Boulet, pilote d’essais aux 17 records du monde, en 1995. Deux grands acteurs de l‘histoire des voilures tournantes…
 ?? PHILIPPE BOULAY ?? Vue d’artiste du futur SA 340.
PHILIPPE BOULAY Vue d’artiste du futur SA 340.

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