Mais qui se souvient de Claire Roman ?
Aussi célèbre dans les années 1930 qu’Hélène Boucher ou Maryse Hilsz, Claire Roman est tombée dans les oubliettes de l’histoire. La découverte récente des vestiges du Caudron “Goéland” dans lequel elle a disparu permet de retracer la vie d’une grande pilo
Le destin funeste de la première femme pilote de l’armée de l’Air.
En juillet 2016, l’opération de recherche des restes du Caudron “Goéland” dans lequel Claire Roman trouva la mort en 1941 a été couronnée de succès. Cette découverte permet d’évoquer la figure de cette femme exceptionnelle mais aussi d’exposer des fragments d’un avion d’un type aujourd’hui totalement disparu. La recherche historique en amont a été longue. À quel endroit le Caudron de Claire Roman était-il tombé ? Comment retrouver l’emplacement exact de ce site ?
La recherche de l’épave dans les montagnes
Le parcours administratif a été tout aussi contraignant : autorisation de la Préfecture, feu vert du propriétaire du terrain, des Eaux et forêts, etc. mais tous les retours ont été positifs et le dossier officiel est fin prêt.
Sur le terrain, la montagne est belle mais escarpée. En haut, les nuages nous entourent, la visibilité est quasi-nulle. Nous comprenons pourquoi le Goéland, dans lequel Claire Roman était passagère, a percuté ce pic. Heureusement, nous savons où aller, grâce aux témoignages locaux. Très vite, des pièces d’avion apparaissent. Elles sont réellement uniques, puisque le Caudron “Goéland” a totalement disparu de la planète… Pour cette raison, ces longerons et ces lisses tordus ont une vraie valeur historique. Nous trouvons de la structure de la cellule, et des éléments composant les systèmes avion, comme des équipements : l’altimètre, un phare d’atterrissage, une poignée de porte…
Des traces de peinture nous racontent l’histoire de ce Caudron “Goéland” immatriculé F-AOMR : il vola d’abord chez Air Bleu, puis fut repeint conformément aux instructions de Vichy, avec un jaune c canari vif, bien connu d des modélistes. Des petits morceaux d’entoilage portant les deux couleurs nous r racontent ce passé.
Une plaque nous confirme formellement le type avion : “C445” pour Caudron 445 et la date de fabrication : mars 1939. “VR” est le tamp pon du Bureau Véritas. Nous sommes face à un grand puzzle que nous rassemblons pour découvrir l’histoire complète de cet avion et de ses occupants.
Un vol de routine tourne au drame
Claire Roman a embarqué à bord d’un Caudron “Goéland” au départ de Vichy. Elle va visiter sa
mère malade à Pau. Ils sont trois à bord de l’avion : le pilote Max Rives, le radionavigant Jean-Marie Joly et Claire Roman, passagère. Durant le trajet, la météo se dégrade et, dans les Pyrénées audoises, l’avion est pris dans un orage. Le pilote ne peut pas voir le pic boisé devant lui et l’avion s’écrase, tuant ses trois occupants. Les habitants des environs ont bien entendu le bruit de moteurs, puis l’accident, mais il n’y a plus rien à faire quand ils arrivent sur les lieux. L’épave sera évacuée et les souvenirs de cet accident sont mis en veilleuse jusqu’à ce jour de juillet 2016.
Qui était Claire Roman ?
Claire Roman est originaire de Mulhouse et issue d’un milieu plutôt aisé. Jeune, elle voyage beaucoup avec son père, et fait des études à Paris puis à Londres. Elle se marie avec un héros de la guerre de 1914, Serge Roman, mais ce dernier, marqué par les événements qu’il a vécus, se suicide en mars 1932. Terriblement endeuillée par ce drame, Claire Roman décide de se consacrer aux autres : elle s’engage dans la Croix-Rouge, à Meknès, au Maroc, et c’est là pour la première fois qu’elle voit de près des avions. Intéressée et aidée en cachette par son infirmière en chef, elle réussit à voler, puis elle apprend à piloter. De retour à Paris à 1933, sa passion du pilotage se confirme et elle s’inscrit à l’aéro-club Roland Garros d’Orly puis à l’aéro- club Caudron basé à Guyancourt. En mai 1934, elle participe au rallye Paris-Deauville. Fin 1934, elle part en Angleterre pour découvrir d’autres types d’appareils : Avro “Avian”, Avro “Cadet” et De Havilland “Push Moth”.
Compétitions sur compétitions
Début 1935, elle s’initie à la voltige, puis participe à la première Coupe Hélène Boucher avec un Maillet. Elle se classe seconde alors que son moteur est moitié moins puissant que celui de la vainqueur, Maryse Hilsz. Tour de France des prototypes, vol
sans visibilité, les 12 heures d’Angers, Tour de Belgique, Claire Roman n’arrête pas et enchaîne compétition sur compétition. En parallèle, elle parfait ses connaissances et obtient son brevet de pilote et navigateur de transport, tout en suivant des cours de radio et de mécanique. En même temps que cette activité aéronautique débordante, elle continue à oeuvrer pour la Croix-Rouge.
Son savoir-faire exceptionnel se confi rme : courant 1937, avec son amie Alix Lucas-Naudin, elle réussit un raid Paris-Pondichery, avec un Salmson D2 “Phrygane”. Fin 1937, elle aligne le record féminin d’altitude et le record féminin de vitesse.
Première femme pilote de l’armée de l’Air
1939, la guerre est là. Claire Roman devient la première femme pilote de l’armée de l’Air. Elle a pour mission de convoyer des avions de tourisme réquisitionnés. Elle part en avion et rentre en train, avec sa combinaison de vol, et son parachute sous le bras. Puis, devant l’avancée allemande, elle ramène des appareils pour éviter qu’ils ne tombent dans les mains de l’armée allemande, souvent en rase-mottes pour éviter les chasseurs de la Luftwaffe.
En juin 1940, venant de Landes de Bussac, elle se pose à Rennes, mais les Allemands sont déjà là ! Surprise, elle est faite prisonnière. Sa pratique de la langue allemande facilite ses relations avec ses geôliers et elle profite d’un moment d’inattention pour s’évader, déguisée en civil avec un tablier de cuisine et un panier à provisions à la main.
Elle saute sur une bicyclette et roule sans interruption 80 km, jusqu’à l’aéroport de La Baule-Escoublac où les mécaniciens s’affairent, incons-
cients du danger qui s’approche. Elle les prévient puis monte dans un NA 57, appareil qu’elle n’a jamais piloté. Un bref “amphi-cabine” et la voilà qui décolle vers Bussac. Le commandant Leleu, son supérieur hiérarchique qui la croyait perdue, est stupéfait de la voir sortir d’un avion, trois jours après sa disparition. Pour cet exploit, elle reçoit une citation à
l’Ordre de l’armée avec remise de la Croix de guerre.
L’armistice signé, les avions restent au sol et Claire Roman ne peut plus voler. Elle se consacre autant qu’elle le peut au bien-être des soldats français et va de camps en camps pour tenter d’alléger leurs souffrances, avec l’aide de la Croix-Rouge. En août 1941, elle apprend que sa mère est malade, à Pau. Elle embarque à Vichy dans le “Goéland” n° 3/6/7267 et décolle vers son destin…
Une exposition à Aeroscopia
La découverte exceptionnelle de ces vestiges empreints d’histoire méritait une exposition à part entière, ce qui a été fait dans le musée Aeroscopia, à Blagnac, près de Toulouse. Jusque fin août, vous pouvez voir dans l’îlot “archéologie aéronautique” des fragments émouvants de l’avion de Claire Roman : un hublot, l’altimètre, une soupape. Dans cette vitrine, vous pourrez également admirer une maquette de “Goéland” au 1/72 de l’avion dans lequel la pilote a trouvé la mort : décoration et immatriculation de son appareil sont reproduites avec une fidélité absolue.
Remerciements à Stéphane Nicolaou et tous les acteurs locaux qui ont contribué à cette découverte.