1937, l’année charnière
Troisième partie. Début 1937, hormis quelques Bloch 220, les avions d’Air France sont majoritairement de conception ancienne. Leur remplacement par de nouveaux appareils plus performants et plus rentables est une nécessité urgente. Mais les choix de 1934
Troisième partie. Air France confrontée à des choix délicats pour ses avions de ligne.
Les récentes productions américaines ont bouleversé l’Europe. KLM, la première, avait adopté en 1934 le Douglas DC-2. Une véritable révolution. À plus de 250 km/h, il achemine, par étapes, 14 passagers vers les lointaines colonies bataves de l’océan Indien. D’autres, comme Swissair, ont succombé aux attraits du bimoteur californien et menacent désormais la suprématie franco-britannique sur une destination phare du maillage européen, Londres !
Pour défendre son pré carré, Air France comptait sur les nouveaux programmes élaborés dès sa création. Mais avait-elle fait les bons choix ? La régie jouait son avenir sur une formule. N’accordant qu’une confiance relative aux propulseurs de l’époque et jugeant la plupart des bimoteurs commerciaux incapables de voler en sécurité sur un seul moteur, elle avait retenu l’option du “trimoteur rapide” estimé aussi fiable et surtout plus économique que le quadrimoteur.
Le choix de la formule, annoncé le 14 février 1934, relevait de son comité technique, mais celui des avions revenait au ministère de l’Air qui avait tranché en faveur de deux avionneurs, Émile Dewoitine et Marcel Bloch (futur Marcel Dassault), qui présentaient la particularité de ne pas appartenir au tour de table de la compagnie aérienne ! (lire Le Fana de l’Aviation n° 572). Il est vrai qu’en matière de trimoteurs, les “industriels historiques” présents au sein du conseil d’administration de la régie (25 % de l’actionnariat) n’avaient pas grand-chose à proposer…
Deux prototypes – trop hâtivement promis pour juin 1935 (1) – avaient été retenus : le Dewoitine D.620 et le Bloch MB. 300. Il leur était demandé une vitesse de 300 km/ h, une distance franchissable de 1 400 km, une capacité d’emport de 30 passagers sur les lignes continentales et d’environ la moitié sur les lignes intercontinentales “terrestres”.
Afi n d’encourager Dewoitine et Bloch à accélérer la mise au point de leurs prototypes, Air France s’était engagée à leur verser des primes par jour d’avance sur le calendrier contractuel, à concurrence de 300 000 francs. Peine perdue. Huit mois après la signature des marchés à l’été 1934, ni le D.620 ni le MB.300 n’avaient encore volé. Pire, ils avaient pris un tel surpoids qu’on allait devoir se contenter de 24 places au lieu des 30 réclamées, le tout sans garantie de livraison avant 1937 !
Air France ne pouvait attendre. Il lui fallait dès à présent un moyencourrier performant pour remplacer les Wibault sur le Nord de l’Europe et redéployer les plus récents Potez vers l’Afrique et l’Orient. À l’encontre des recommandations officielles, une solution de “transition” s’offrait à elle : le bimoteur.
Depuis avril 1935, un Douglas DC-2 (numéro constructeur 13333) acheté par l’État était en évaluation au Centre d’essais du matériel aérien (Cema). Quatre mois durant, sous l’oeil intéressé des techniciens d’Air France et des industriels, l’appareil avait fait l’objet d’essais intensifs à Villacoublay. Officieusement baptisé Pegasus et porteur de l’immatriculation F-AKHD, la régie l’avait même discrètement testé du 3 au 10 octobre sur Paris-Alger.
Mais, nonobstant ses maladies de jeunesse, le bimoteur de Douglas souffrait d’un mal rédhibitoire : il n’était pas français ! Autant pour le
général Victor Denain (1880-1952), qui avait succédé à Pierre Cot, que pour Louis Allègre, directeur d’Air France, “voir flotter le pavillon tricolore sur des avions étrangers aurait été comme le symbole d’une faillite de l’industrie aéronautique française”.
La solution vint de Marcel Bloch. Confiant dans la formule, il parvint à convaincre Air France des possibilités d’un avion pour partie dérivé – comme le MB.300 – de son bombardier MB. 210 à voilure basse et train rentrant. En dépit du scepticisme des services officiels, un marché d’État (n° 1266/5) fut passé le 21 juin 1935 pour “un bimoteur commercial pouvant transporter 14 à 16 passagers et voler à près de 300 km/ h sur une distance de 1 000 km”. Le prototype prit la désignation MB. 220 et décolla moins d’un an plus tard, le 11 juin 1936.
Le Bloch 220, une réussite française
Les premiers essais furent suffisamment prometteurs pour que, sans attendre, Air France passe commande de 14 puis 16 exemplaires dont cinq à livrer avant juillet 1937 au prix unitaire d’environ 800 000 francs (621 000 euros actuels). Un prix “raisonnable” au regard des délais imposés à l’usine de Bordeaux-Mérignac.
Réceptionné fin 1936, le MB.220-01 (F-AOHA) entreprend ses tests d’endurance aux couleurs de la régie en avril 1937. Un premier avion de série, le F-AOHB Gascogne, arrivé en mai au Bourget, est affecté à la Section civile des liaisons aériennes métropolitaines (Sclam) en charge des déplacements officiels. Appelés de noms de provinces françaises, quatre autres sont réceptionnés dans le courant de l’année : le MB.220 n° 03 F-AOHC Guyenne en juillet ; le n° 04 F-AOHD Auvergne ; le n° 05 F-AOHE Aunis en octobre et le n° 06 F-AOHF Saintonge en décembre.
Le Gascogne effectue le premier voyage inaugural avec passagers le 20 juillet 1937 sur Paris-LyonMarseille à une vitesse moyenne de près de 290 km/ h avant d’être rétrocédé à la Sclam. Au fur et à mesure de leurs livraisons, les ap- pareils suivants prennent le relais sur ce même parcours, prolongé en période estivale jusqu’à Cannes. Ces nouveaux bimoteurs se révèlent performants et fiables. En dépit de l’attention particulière que requièrent les capricieux Gnome et Rhône 14N-16/17 de 890 ch, les équipages portent un jugement positif sur l’avion : “Stable par mauvais temps, d’un pilotage agréable et même aisé sur un seul moteur.”
L’aménagement intérieur fait l’unanimité. L’insonorisation des deux cabines capitonnées, leur chauffage et leur ventilation (étudiés et mis au point par Air France) ont fait l’objet de soins attentifs. Chaque passager dispose d’une grande fenêtre, d’un large fauteuil à dossier réglable incorporant la fameuse tablette repliable et percée d’un trou pour y poser le verre ou le gobelet. Le steward assure l’ordonnance d’une armoire-bar, déjà appréciée !
Une fois leurs preuves faites sur “la grande nord- sud” ParisMarseille, les MB.220 poursuivent leur conquête du réseau européen avec le prolongement de l’axe sudnord sur la capitale britannique. En présence de la célèbre aviatrice Maryse Bastié, Le Bourget-Croydon en MB.220 est inauguré,“plein gaz” par le F-AOHE le 26 mars 1938, en 57 minutes. Un temps de vol qui n’a rien à envier, sur ce parcours, à celui des jets modernes. En temps normal, la liaison nécessite 1 heure et 20 minutes.
Puis, ce sera Paris-CopenhagueStockholm en juin ; Paris-BâleZurich en juillet et enfin ParisBucarest en fin d’année. Peu à peu, les MB.220 remplaceront les Po 621 sur la plupart des grands axes européens. Sorti fin 1938 des chaînes de la SNCASO, le dernier MB.220 (n° 17) sera pris en compte par Air France en juin 1939. Durant l’occupation, plusieurs exemplaires “réquisitionnés” seront utilisés par la Lufthansa. Cinq d’entre eux (MB.221) revoleront à la Libération après le remplacement des Gnome et Rhône à bout de souffle par des Wright “Cyclone”, dérivés de ceux qui, dix ans plus tôt, équipaient les premiers Douglas DC-3 !
Porte- drapeau de la régie française, le MB.220 fut, à partir de 1937, le meilleur bimoteur européen en service sur le continent. Équivalent au Douglas DC-2 en termes de performances et de confort, il était cependant moins puissant, plus court en rayon d’action et moins rentable que le DC-3 de 21-24 sièges arrivé en Europe en 1936. Comme tant