Les missions des C-135F ravitailleurs
Le général Schuler, actuel commandant des Forces aériennes stratégiques, revient sur l’importance d’une composante essentielle de la dissuasion et de la projection de force : le ravitaillement en vol.
L’élargissement des capacités d’emploi de l’aéronautique militaire et, incidemment, de l’engagement opérationnel de l’aviation de combat, a très vite conduit à vouloir donner aux moyens aériens une élongation ou une autonomie plus importantes. La physique du vol impose cependant que chaque appareil soit conçu comme un compromis entre sa taille, ses performances au combat et sa capacité d’emport de carburant. Les limitations d’emport’emport de carburant apparaissentnt dès lors comme une contrainte vis-à-vis des ambitions d’élongation et d’endurance. Le principe du ravitaillement en vol s’est donc imposé, notamment à la sortie de e la Deuxième Guerree mondiale, comme une e capacité clé à même dee décupler l’impact dee la puissance aérienne e en fournissant aux ux moyens engagés en opérapération l’allonge et la permanence rmanence recherchées.
L’exercice est périlleux : il s’agit d’assurer, à une dizaine de kilomètres d’altitude, à des vitesses de plusieurs centaines de kilomètres par heure, la jonction entre un appareil délivrant du carburant et des receveurs, d’amener ces avions au contact et de procéder, au travers d’un dispositif adapté, à la livraison de plusieurs centaines de litres de carburant à la minute. Plus de 60 ans après le premier vol d’un C-135 ravitailleur en vol, l’ingénierie de cet appareil continue de susciter l’admiration.
Une capacité développée au fil du temps
Selle semble aujourd’hui indissociablen d de l’allonge st st r at ég i que qu qu’implique la pr projection de for forces induite pa par les opératio tions des 50 derniè nières années, cet cette technique a co connu ses balbuti butiements assez tôt dansd l’histoire de l’aéronautique.l’aé Aux p prémices, le ravitaillement e en vol est tout d’abord un défi acrobatique, consistant, dans les années 1920, à passer d’un avion à l’autre en plein vol avec un bidon d’essence pour le transférer
L’insigne des Forces aériennes stratégique. La main gantée tenant une épée dans un fourreau a été choisie comme le symbole de la dissuasion : un bras armé toujours prêt à l’emploi, avec la colombe comme symbole de paix.
dans le réservoir afin de maintenir l’appareil bénéficiaire le plus longtemps possible en l’air. Cette course à l’endurance se concrétise avec le premier tour du monde effectué sans escale en 1949 par un Boeing B-50 “Superfortress” contribuant, en pleine guerre froide, à convaincre les États-Unis de l’atout que constitue le ravitaillement en vol en termes d’allonge stratégique. Dans les années 1950, Boeing développe l’avion qui deviendra le futur 707 : un appareil quadrimoteur baptisé KC-135 considéré aujourd’hui encore comme le ravitailleur par excellence.
Durant la même période, les techniques de ravitaillement en vol s’affinent et cette capacité s’impose pour les principales forces aériennes du monde, conscientes de la dimension stratégique du ravitaillement en vol, employé, sur des élongations intercontinentales, à l’appui de missions de dissuasion nucléaires ou conventionnelles.
Ainsi, depuis 1964, date à laquelle la mission de dissuasion nucléaire a été confiée à l’armée de l’Air et aux Forces aériennes stratégiques (FAS), la capacité de ravitaillement en vol se situe au coeur des missions des FAS. Lorsque le général de Gaulle décide de doter la France d’une force de frappe indépendante, le choix du “Mirage” IVA, avion bombardier
développé par Dassault Aviation depuis la fin des années 1950 en tant que vecteur stratégique, est une évidence. Néanmoins il apparaît très vite, en dépit de ses performances et de sa capacité d’emport, qu’il lui faut être associé à un ravitailleur afin de disposer de l’allonge stratégique suffisante pour disposer d’un rayon d’action en adéquation avec sa mission de dissuasion aéroportée : les adversaires potentiels à dissuader se situent en effet à plusieurs heures de vol de la métropole. Bien que des études d’adaptation d’appareils français existants (“Mirage” IV, “Vautour” voire Caravelle) soient menées depuis 1959, le KC-135 est de fait l’appareil le plus adapté au besoin avec des performances compatibles avec celles du “Mirage” IV.
juin 1962, une délégation de la Direction ministérielle pour l’armement (DMA) (1) et de l’armée de l’Air traverse l’océan Atlantique pour visiter la chaîne de montage des C-135 chez Boeing et acquiert la certitude que l’avion répond aux besoins de l’armée de l’Air, en termes de ravitaillement en vol et aussi dans le domaine du transport stratégique. Moins de 10 jours après son retour en France, le ministre des Armées Pierre Messmer adresse, le 23 juillet 1962, un courrier à son homologue américain, Robert Mc Namara, par lequel il l’informe de l’achat direct auprès de l’US Air Force (USAF), en deux tranches, de 12 C-135A.
La version française sera un compromis entre l’avion- cargo C-135B de l’USAF et le ravitailleur KC-135A, cheville ouvrière du Strategic Air Command (SAC). Baptisé C-135F (F pour France), l’appareil destiné aux FAS effectue son premier vol le 5 février 1964. Cette version comporte des différences avec la version américaine dont la plus notable est un plancher métallique, destiné à supporter davantage de charge offerte, améliorant ainsi la polyvalence d’emploi de l’avion.
Fin novembre 1962, l’opération “BB”, pour Biberon Boeing, organisée à Istres, permet au “Mirage” IV d’effectuer des contacts secs (c’està-dire sans transfert de carburant) derrière un KC-135A spécialement dépêché des États-Unis par l’USAF. À l’issue de cinq vols de plusieurs heures sous différentes configurations, cette fructueuse campagne d’essai permet notamment de définir les premières procédures de
ravitaillement et valide l’achat de la deuxième tranche.
La livraison du premier C-135F est effective début février 1964, 14 mois après la signature du contrat, et les 11 autres appareils sont ensuite livrés au rythme d’un à deux avions par mois. Ainsi, à la fin du mois de septembre de la même année, la 90e Escadre, première unité de ravitaillement en vol de l’armée de l’Air, stationnée sur la base aérienne d’Istres, réceptionne le douzième et dernier appareil.
Quelques jours plus tard, le 8 octobre 1964, un “Mirage” IVA et un C-135F prennent la première alerte nucléaire opérationnelle depuis la base aérienne de Mont-de-Marsan, une mission permanente assurée de manière ininterrompue depuis cette date et qui garantit en toutes circonstances au président de la République la liberté d’appréciation, de décision et d’action de la France dans le cadre de ses responsabilités internationales.
Cette prise d’alerte permanente à partir d’octobre 1964 calque le rythme des unités de ravitaillement en vol sur celui des unités de bombardement.
Outre les missions liées à la dissuasion nucléaire, le C-135F, du fait de sa polyvalence, participe ponctuellement à des missions de transport de fret ou des exercices aux côtés des alliés de l’Otan.
Début mai 1966, un C-135F permet à un “Mirage” IVA de l’Escadron de chasse 1/91 Gascogne d’effectuer la première traversée transatlantique d’un avion de combat à réaction français. Décollant de la base aérienne de Mont-de-Marsan, le “Mirage” IVA n° 36 réalise un vol qui, au terme de près de 8 heures et trois ravitaillements, se termine sur le terrain de Boston aux États-Unis. Ce vol inédit constitue la première étape d’un périple de 20 000 km qui prendra fin sur la piste de Hao, atoll du Pacifique, situé à 900 km à l’est de Tahiti, en Polynésie française.
Un autre “Mirage” IVA, le n° 9, démonté, effectue le trajet vers l’archipel par la mer. Deux autres C-135F sont du voyage : l’un pour assurer le ravitaillement en vol entre les ÉtatsUnis et la Polynésie française ainsi que le soutien des entraînements sur place, l’autre pour le transport du matériel. Ce déploiement est organisé dans le cadre de la campagne d’essais réalisée au Centre d’expérimentation du Pacifique ; le 19 juillet suivant, après de nombreux entraînements, cette campagne aboutira à l’explosion d’une bombe nucléaire de type AN 21 au large de Mururoa. L’opération Tamouré démontre ainsi la crédibilité de la composante aéroportée de la dissuasion.
Élargissement des missions des C-135F
Dès la première moitié des années 1970, les C-135F sont progressivement utilisés pour d’autres missions que le seul ravitaillement en vol au profit des “Mirage” IVA. Dans un contexte de forte évolution de la situation géopolitique internationale, les capacités intercontinentales de cet appareil, sa grande capacité d’emport, sa souplesse d’emploi très appréciée des autorités mettent en lumière l’intérêt d’une capacité de projection de force dans le cadre des missions conventionnelles, notamment vers l’Afrique. L’opération Lamantin marque, à ce titre, un tournant opérationnel majeur. La projection et l’appui de chasseurs-bombardiers “Jaguar”, ravitaillables en vol, au Sénégal, à l’automne 1977, dans le cadre de l’intervention française contre les velléités indépendantistes de front Polisario en Mauritanie, démontre l’atout considérable qu’apporte le C-135F en la matière. L’année précédente, un dispositif similaire avait rallié Abidjan, en Côte d’Ivoire, dans le cadre d’un exercice. L’augmentation des missions des Boeing, conséquence de l’accroissement de la flotte d’avions de combat ravitaillables (“Jaguar”, “Mirage” F1), requiert alors une disponibilité croissante des C-135F.
Beaucoup d’autres opérations suivront, le ravitaillement en vol comme l’aérotransport étant apparus comme des éléments structurants dans la conduite des opérations. Depuis cette date, le C-135
a été déployé dans toutes les opérations aériennes requérant de la projection de puissance, du fret stratégique ou encore de l’évacuation sanitaire, conférant aux autorités politiques et militaires autonomie de décision, allonge stratégique et endurance. Approchant les 400 000 heures de vol (2), les C-135 français sont, parmi les 700 construits par Boeing, les plus éprouvés au monde. Avec une offre diversifiée de ravitaillement en vol, la flotte française a démontré son interopérabilité avec la plupart des avions ravitaillables. Grâce à leurs équipements de communication, les C-135 ont, dès leur mise en service dans le cadre de la mission de dissuasion nucléaire, puis au fil des opérations auxquelles ils ont participé, démontré leur capacité de relais radio entre les centres de commandement et les avions de chasse.
Au fi l du temps, les C-135 ont été modernisés et 11 des 12 C-135 (3) sont désormais au standard “Réno 2”. Trois avions supplémentaires, achetés aux États-Unis dans les années 1990, ont renforcé une
(2) Estimation à l’automne 2018, au moment où sera mis en service dans l’armée de l’Air le premier exemplaire de l’Airbus A330 MRTT (Multi Role Tanker & Transport) “Phénix”.
(3) Le 30 juin 1972 le C-135F n° 473 s’est écrasé en mer au décollage de la base d’Hao en Polynésie, emportant à son bord son équipage, constitué du commandant Georges Dugué, du capitaine Hubert Parage, du lieutenant Serge Frugier, de l’adjudant-chef Albert Hecq ainsi que deux spécialistes météo, l’adjudant-chef Jean Langlais et le premier-maître Georges Saucillon. L’examen de l’autre C-135F présent sur place fit apparaître une importante corrosion des ailettes de compresseur due à l’air salin.
flotte fortement sollicitée par la tenue de la posture de la dissuasion nucléaire, les missions de projection et d’intimidation.
L’arrivée progressive du “Phénix”
Le renouvellement de la flotte des C-135 par des Airbus A330 MRTT “Phénix” a été acté dans la loi de programmation militaire 2014-2019.
Dotées par conception des capacités SatCom et L16, systèmes qui équipent déjà les flottes américaines, britanniques et néerlandaises, les armées françaises retrouveront, avec l’arrivée progressive dans les forces du “Phénix”, entre octobre 2018 et 2025, un niveau de cohérence opé- rationnel adapté à la mise en oeuvre d’une aviation de combat moderne. À terme, les “Phénix” remplaceront la flotte des 11 ravitailleurs C-135FR et trois KC-135RG du Groupe de ravitaillement en vol 2/91 Bretagne, ainsi que les trois Airbus A310 et deux A340 de l’Escadron de transport stratégique Esterel qui passera sous le commandement des FAS en 2021. L’ensemble des unités de ravitaillement et de transport stratégique sera rassemblé à Istres au sein de la 31e Escadre aérienne de ravitaillement et de transport stratégique.
Contribuant à l’ensemble des missions stratégiques du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, les “Phénix” ouvriront une nouvelle page de l’histoire des FAS et de l’armée de l’Air.