Maurice Saint Martin Forte tête et fin pilote…
Première partie. Du T-6 au RF-84F, les souvenirs d’un pilote de reconnaissance avec la guerre d’Algérie en toile de fond.
On croise la silhouette discrète de Maurice Saint Martin dans le hangar du conservatoire de l’Aéronautique et de l’Espace d’Aquitaine, sur la base aérienne 106 de Mérignac. Avec quelques autres jeunes gens de son âge, ou parfois même plus jeunes que lui, il vient y travailler trois fois par semaine sur la rénovation du Douglas B-26 de l’armée de l’Air, matricule 44-35859, ex-328-EY du CIB328 (centre d’instruction du bombardement). Après une quinzaine d’années de travail, dans une robe bicolore où se mêlent le noir et le primer (sous- couche) verdâtre, l’avion a belle allure. Une semaine c’est un aileron remis à neuf qui réintègre l’aile, une autre c’est un câble qui trouve sa place entre le poste de pilotage et la dérive… Dernièrement, le poste de pilotage a retrouvé son siège pilote et son tableau de bord. Patiemment, le puzzle prend tournure.
Maurice Saint Martin ne se fait pas prier avant de grimper dans le poste de pilotage et de s’installer derrière le volant. En l’absence de vitrage, on monte dans l’avion par une échelle posée contre le nez de l’observateur. Un tabouret fait office de siège. Inutile de s’attacher pour ce voyage immobile. À peine assis, Maurice retrouve instinctivement la position des mains et des bras sur le magnifique volant qui aurait toute sa place dans une voiture de sport ; Maurice Saint Martin préfère parler de “manche” avec cette justification pleine de bon sens : le B-26 est un avion monopilote, c’est donc un chasseur qui se pilote avec un manche.
“J’ai vérifié dans mes carnets, explique notre pilote : j’ai volé 8 heures 50 minutes sur cet avion particulier,
sur un total de 1 800 heures de B-26 dans ma carrière.” Une carrière de 15 ans, 4 350 heures de vol et 678 missions de guerre, placée sous le signe de la reconnaissance, depuis les T- 6 et RB-26 en Algérie g jusqu’aux RT- 33 et RF- 84F en métrotropole. Une carrière re qui fut somme e toute le reflet d’une armée de l’Air au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, écartelée entre une modernisation à marche he forcée, l’arrivée des chasseurs à réaction, ction, la création de la force de frappe et les exigences des “opérations de maintien de l’ordre” conduites en Algérie avec des appareils désuets. Tout une époque, entre tickets de rationnement et bombe atomique, qui semblera toujours aussi étrange à qui ne l’a pas vécu. Mais laissons la parole à Maurice qui a été lâché sur T- 6 avant de savoir conduire une voiture et qui, comme tant d’autres jeunes de sa génération, monta pour la première fois dans un avion lors de son épreuve de sélection : “Mon père, qui était facteur, avait été blessé trois f fois en 1914-1918. Il était revenu de la guerre antimilitariste tariste. J’étais le sixième de s sept enfants et, quand j’ai eu 18 ans, q mon père m’a dit : “Les études c’est fini pour toi.” On était en 1951, il venait de prendre sa re retraite et je venais dep de passer avec succès la première pr partie du bac. Je n’ai pas pu me présenter à la seconde…” Maurice Saint Martin habite alors à Cauderan, une commune limitrophe de Bordeaux qui sera par la suite intégrée dans la capitale girondine. Il passe sans conviction le concours d’instituteur et échoue. Trois de ses frères travaillent aux PTT et l’enjoignent de faire de même. Refus. “Je voulais rejoindre l’armée de l’Air ; j’avais vu les af- fiches de recrutement, je m’étais fait embobiner par les images… Mais pour pouvoir signer un contrat, il me fallait la signature du paternel. La majorité était encore à 21 ans à l’époque. Refus de mon père. Il ne voulait pas me voir militaire de carrière. Je lui ai demandé, redemandé de signer. Refus obstiné. Un jour, n’y tenant plus, j’ai menacé de tout casser dans la maison. Stupeur générale. Et il a fini par signer. J’ai sauté sur mon vélo avec le précieux sésame, il ne restait plus que quelques heures avant la clôture des inscriptions et j’ai filé déposer un dossier au centre de recrutement”.
Premier vol sur Stampe et baptême de l’air
Maurice passe le concours des élèves pilotes en septembre 1951, après ses dernières vacances scolaires. De la culture générale, beaucoup de maths, de l’anglais… Il est reçu et part dans la foulée à Versailles pour les tests psychotechniques, avant un retour à Bordeaux pour les tests médicaux au CEMPN
(Centre d’expertise médicale du personnel navigant) de l’hôpital Robert Picquet. “À la fin de ma visite médicale, le médecin colonel m’a catalogué “petit gabarit”. Je faisais 1m67, le minimum pour être pilote de chasse était de 1m65, ça passait juste… Plus tard sur T- 6 il me fallait piloter avec un coussin dans le dos…” Au début 1952, un courrier lui annonce la bonne nouvelle : il est reçu pour une première phase de sélection en vol qui doit débuter le 1er mai. “J’ai reçu un billet de train pour rejoindre Aulnat. Moi qui n’étais presque jamais sorti de Bordeaux, je me suis retrouvé dans un bâtiment où l’on était une vingtaine, de tous les milieux sociaux. J’ai pu faire une petite étude sociologique sur les autres… et sur moi-même !”
L’armée de l’Air veut aller très vite pour renouveler ses pilotes après la guerre. La formation militaire est très rapide et les élèves prennent rapidement la direction des aéro-clubs de France pour leurs premiers vols de familiarisation (Albi pour Maurice ) : il s’agit de savoir s’ils ont la fibre aéronautique…
“Mon premier vol sur Stampe a aussi été mon baptême de l’air. Mon moniteur, M. Villemain, était un instructeur civil. Il a voulu me montrer ce qu’on pouvait faire avec un avion et il est parti sur le dos. Je n’avais pas bien serré mon “brêlage” et je me suis vu sortir de l’avion… J’ai terminé le vol accroché au siège, un peu pâle sans doute. De retour au sol je lui ai expliqué la chose. Il m’a remis immédiatement dans l’avion, bien attaché cette fois, et on est reparti pour un vol de 20 minutes. Je me suis dit que “pilote” c’était vraiment un métier de c.. Mais comme j’étais parti de chez moi en claquant la porte, je ne pouvais plus faire marche arrière. Alors je me suis accroché. J’ai enchaîné 25 heures de Stampe avant de revenir à Aulnat pour la suite de la formation”.
À Aulnat, un test d’anglais détermine la répartition des élèves entre les deux filières de formation de l’armée de l’Air : Marrakech au Maroc ou les États-Unis. “J’ai été sélectionné et je suis parti pour le nouveau monde. Nous étions 147 à partir, tous ne sont pas revenus…”
Les promotions précédentes avaient quitté la France sur des bateaux de passagers. Maurice et ses camarades innovent et embarquent sur un cargo mixte. Par mixte, il faut comprendre que l’une des cales du navire a été aménagée en dortoir. Quinze jours de mer, avec une tempête qui se lève à peine quitté le port de Cherbourg, le 4 août 1952. La première nuit, Maurice fait comme les autres, il essaie de dormir dans
la cale. La deuxième nuit, vaincu par le roulis et les odeurs, il prend la direction du pont extérieur, une couverture sous le bras. Dans la pluie et le vent, la traversée dure deux semaines. Le 21 août 1952, le bateau entre dans le port de Miami.
“On a été reçus sur le quai par un militaire américain qui avait épousé une Française. Sa jeune femme traduisait au fur et à mesure les instructions qu’il nous donnait. Il faisait 40 °C à l’ombre, on est resté 20 minutes au garde à vous dans nos tenues n° 1. Ça dégoulinait de tous les côtés… Puis on nous a mis dans un hangar en attendant le train qui allait nous emmener vers nos écoles. Je voulais voir Miami, mais pas question… Nous étions prisonniers.”
Les élèves sont répartis en différents groupes et Maurice se retrouve avec une trentaine de camarades ayant pour destination finale Marana, en Arizona. Le train qui doit les emmener dans un premier temps à Tucson est équipé de couchettes. Après le bateau, c’est le grand luxe ! Après trois jours sur les rails, le train arrive finalement à Tucson et les petits Français sont reçus par un cadet américain en fin de premier cycle, avec six mois d’expérience. “On a vu ce bonhomme, qui n’était guère plus âgé que nous, arriver avec ses quatre galons. On était impressionnés… Un gars de notre groupe se débrouillait très bien en anglais et il a traduit les nouvelles instructions qui nous étaient données. On a vite compris qu’on n’allait pas rigoler tous les jours, la discipline était de fer… On a aussi bien compris que nous ne sortirions pas tous vivants de cette première phase de formation initiale qui devait durer de septembre 1952 à mars 1953. Il y avait des accidents et les éliminations étaient rapides. Nous étions prévenus…”
La discipline à l’américaine
Le premier mois à Marana se traduit par d’intenses séances de bachotages. Les élèves, qui ne sont alors que soldats de 2e classe, apprennent la vie en communauté et les commandements à l’américaine, la marche en colonnes, la discipline poussée à l’excès. Un élève quittant seul son bâtiment doit se commander seul à haute voix : “Forward, March… [en avant, marche].” L’élève marche comme un pantin. En arrivant à un carrefour, il lui faut s’arrêter, écarter les jambes et les bras comme s’il “faisait l’avion”, puis regarder en l’air, en bas, à gauche, à droite en annonçant à voix haute “Clear to the left, Clear to the right, Clear above, Clear below” [rien à gauche, rien à droite,