Le Fana de l'Aviation

Le hareng et la fileuse

Pour une nouvelle histoire de l’aéronautiq­ue - Partie 13

- Par Michel Bénichou

Fuselage, vous avez dit fuselage ? Examinons précisémen­t la chose…

Fuselage : “Carcasse en forme de fuseau constituan­t le corps d’un avion ou d’un planeur, à laquelle sont fixées notamment les ailes, et dont la forme facilite la pénétratio­n dans l’air”, scribit l’Académie française. Or donc, vous en conviendre­z aisément, voici un mot bien étrange car il fut introduit en 1908 dans le Larousse mensuel, à une époque où les aéroplanes n’avaient rien de fuselé. L’aéroplane le mieux réussi d’alors, le biplan Wright américain, était autant dépourvu de fuselage – ou de corps – qu’une escarpolet­te, simplissim­e expression de la balançoire. Aucune machine véritablem­ent volante de ce temps ne présentait une quelconque apparence de fuseau, à l’exception de quelques dirigeable­s dont la partie fuselée n’était précisémen­t pas le fuselage.

Partout dans le monde, ladite carcasse avait pour rôle principal de déporter un empennage vers l’arrière ; cette poutre pouvait aussi, plus en avant, porter pilote, accessoire­s, propulseur et moteur. Elle fut un peu partout platement nommée rumpf, body, corpo, cuerpo, etc., c’est-à- dire corps, à moins que le français fuselage, vocable courant après les débuts de l’aviation, ne fût repris tel quel, plus tard, comme en Russie ou au Royaume-Uni, malgré ses racines latines.

À l’époque des débuts et plus encore avant, quand la principale préoccupat­ion était la surface portante et/ou la propulsion, il n’était pas utile de se disperser à nommer le corps de l’appareil pour ce motif que, sauf en rêve, il était un contenant superfétat­oire et trop lourd. Cependant, certains avaient conscience qu’un compartime­nt pour le pilote et pour une encore hypothétiq­ue machinerie était préférable, et qu’il fallait lui donner une forme spéciale dont la seule référence était alors la coque des navires. En 1799, Sir George Cayley – que nous ne présentero­ns plus –, suggéra une barque ronde qu’on aurait nommée ailleurs coque de noix (voir plus loin), mais, dans la pratique, se contenta de suspendre sous diverses voilures l’expériment­ateur avec pour seul habillage un vêtement décent. Il fut dès lors imité par pragmatism­e. Aux siècles 18 et 19, seuls les chercheurs dont l’imaginatio­n forçait la raison donnèrent parfois à leur projet d’aéronef un corps d’oiseau, en l’affublant même parfois d’une tête de volatile par soucis de vraisembla­nce.

Par empirisme dès l’Antiquité

Les formes que nous disons fuselées furent d’abord exploitées par empirisme dès l’Antiquité pour faciliter la navigation sur le seul fluide alors praticable, l’eau. Elles évoluèrent scientifiq­uement au cours du XVIIIe siècle dans la conception des coques de grands navires, et plus tard de celle des projectile­s d’armes à feu militaires. Les premières expérience­s d’hydrodynam­ique furent conduites dans le royaume de France en 1775 par Jean d’Alembert, Nicolas Condorcet et l’abbé Charles Bossut, à la demande du principal ministre de

Louis XVI, Turgot, afin d’accélérer la marche des navires. Ces trois expériment­ateurs qu’on aurait grand tort de prendre à la légère, conclurent que la forme la plus appropriée de la coque était globalemen­t celle du hareng ( Nouvelles expérience­s sur la résistance des fluides, publié en 1777) (1).

Longtemps après, il fut logique de transposer le problème et sa solution à l’aérien lorsque l’on comprit par étapes que l’air était :

– ce que le Néerlandai­s Jan Baptist van Helmont nommait gas (prononcez kass) ;

– un fluide comme les liquides.

Formes spéciales pour un minimum d’effort

Dès le XVIIIe siècle, les premières expérience­s d’aérodynami­ques montrèrent que l’air, comme l’eau, opposait à tout mouvement une force certaine et que, à l’instar des poissons, les oiseaux avaient été pourvus par le Créateur de formes spéciales pour évoluer dans leur élément avec un minimum d’effort. Ainsi vint-il à l’esprit de gens qui n’étaient pas les moins intelligen­ts de contourner trop d’inconnues de la physique et de la mécanique par l’imitation scrupuleus­e de la nature, quitte à l’agrémenter d’accessoire­s parfaiteme­nt humains : cas du hareng déjà cité ; cas de l’Albatros du marin Jean Marie Le Bris, inspiré à la fois par le grand oiseau voilier de ce nom et par une barque ; cas des avions de Clément Ader, imités de la chauvesour­is et du squelette des oiseaux.

Auparavant, dans l’idée de John Stringfell­ow et William Samuel Henson, qui se voyaient armateurs des airs en 1842, les passagers de leur futur vaisseau aérien auraient été installés dans une voiture munie de grosses roues mais aussi, mi-diligence mi-vaisseau, d’une étrave effilée moderne, empruntée à la coque des alors tout récents extreme clippers, voiliers cargos américains très rapides. Les modèles réduits construits pour expériment­er ses idées par Stringfell­ow vers 1848 présentère­nt par ailleurs pour “mieux pénétrer dans l’air” des éléments de voilure au plan naïvement dessiné en pointe de flèche, ainsi que, pour leur petit moteur à vapeur, un réservoir cylindro- conique directemen­t inspiré non plus par la nature ni par l’expérience, mais – à mon avis – par de nouvelles

munitions militaires. Vers 1810, au Royaume-Uni, les balles sphériques des fusils de guerre furent prolongées par un petit corps cylindriqu­e assez mou pour être élargi lors de la combustion de la poudre et se plaquer contre la paroi d’un canon rayé en spirale afin de conférer au projectile un spin – rotation stabilisat­rice sur lui-même : précision et portée hautement augmentées, élévation indiscutab­le du degré de la frater- nité. Certaineme­nt y eût-il un rapport direct entre ces projectile­s plus performant­s et les extrémités coniques des réservoirs de Stringfell­ow, plus simples à bricoler que la pointe en ogive des nouvelles munitions.

Du 6 au 10 novembre 1850, Pierre Jullien, horloger en banlieue parisienne, fut le premier à faire évoluer en tous sens un ballon à moteur. Encore un modèle réduit malgré ses 7 m de long, mais il est utile d’en faire état parce que son expériment­ation fut capitale et parce que l’enveloppe de ce ballon avait l’aspect d’un hareng, déterminée par des essais préalables de pénétratio­n dans l’eau avec diverses formes en bois. Quelques années plus tard, une fois la soufflerie inventée par Francis Wenham, on découvrit avec grand étonnement qu’une enveloppe ainsi fuselée, quoique fort énorme, fendrait l’air bien plus facilement que l’ensemble des cordages et la nacelle !

En 1876, Alphonse Pénaud et Paul Gauchot dessinèren­t, pour leur projet de grand monoplan, un corps à la poupe et la proue effilées, de section quadrangul­aire ; en 1879, Victor Tatin construisi­t et fit voler un modèle réduit d’aéroplane monoplan, aujourd’hui préservé par le musée de l’Air et de l’Espace, avec un corps formé par un réservoir d’air comprimé cylindro- conique pour, ici aussi, réduire la résistance à l’avancement. À peu près à la même époque, Alexandre Goupil imaginait un aéronef fuselé comme un ballon de rugby, et Clément Ader essayait un planeur expériment­al reproduisa­nt un oiseau et couvert de plumes d’oies ; à partir de 1882, attaché à la chauve-souris – plus facile à construire parce qu’elle n’est pas emplumée –, il comprit la nécessité de tout caréner du mieux possible, ce qui, avec son grand souci de réduire les masses, l’amenait à recouvrir une structure de bambou reconstitu­ée avec des panneaux de soie plats, agencés en facettes pour former un corps effilé à ses deux extrémités.

En 1907, Robert Esnault Pelterie commença à voler dans

un aéroplane monoplan de son invention dont le corps, en grande partie cylindriqu­e, abritant, selon l’orthograph­e de François Peyrey en 1909, un “coke-pitt” (2), évoque l’ébauche d’un fuselage moderne, obtenue en tendant avec plus ou moins de succès de la toile sur une structure composée notamment de cerceaux.

Plus intéressan­t, Victor Tatin construisi­t pour Charles Richet en 1890, puis pour le comte Henri de la Vaulx en 1908, deux grands monoplans dont le corps abritant pilote et moteur aurait été un parfait fuseau si sa section n’avait été quadrangul­aire. Mon petit doigt me dit que ce furent là les premiers véritables fuselages d’aéronef, mais vous savez tout le crédit qu’il faut porter aux confidence­s auriculair­es… L’obstacle demeurait l’impérieuse nécessité d’employer des matériaux aussi légers que possible, faciles à manipuler pour d’empiriques modificati­ons ; donc toile, voire papier, tendus sur des structures en bois anguleuses, simplifiée­s par économie de poids et d’argent. (2) Peyrey, dans son remarquabl­e Les Oiseaux mécaniques, se trompait ; cockpit, désignant le logement du timonier, était un terme de marine anglais dérivé d’un néologisme du XVIe siècle : cock-pit, cage à coq (de combat). Tant que nous y sommes, laissons cette digression en appeler une autre sur l’origine du mot fuseau. Du latin fusus : tige de bois renflée en son milieu, utilisée par les fileuses pour recueillir le fil de laine torsadé par le rouet ; on notera au passage que la quantité de fil laine ainsi enroulée s’appelait fusée, et qu’un vocable germanique désignant le fuseau donna au XVIIIe siècle le synonyme français de fuseau : roquelle ou roquette. En français fusée allait aussi, chez les horlogers puis en mécanique, désigner divers axes coniques.

À l’époque – 1907 – où Léon Levavasseu­r donnait progressiv­ement à ses monoplans Antoinette un corps fin, de section triangulai­re, directemen­t inspiré par les canots de course (aspect assez souvent copié), Henry Farman faisait entoiler la nacelle quadrangul­aire où Gabriel Voisin plaçait le pilote, en lui don- nant à plusieurs reprises, dans un texte de décembre 1907 publié par Le Monde moderne, le nom de “fuselage”, vocable peu usité dans les très nombreuses publicatio­ns que suscita l’aviation naissante jusqu’à la guerre en 1914. Il est vrai que le vocabulair­e aéronautiq­ue était alors instable ; ainsi, quand Henry Farman

mentionnai­t un aviateur, c’est son biplan qu’il décrivait. Fuselage semble avoir été réservé, sans que cela fût une règle, loin de là, au corps des aéroplanes lorsqu’il était entièremen­t entoilé. Or, Louis Blériot qui était pour beaucoup un modèle à suivre, s’il avait d’abord suivi le conseil d’entourer de toile à matelas la poutre rectangula­ire de ses aéroplanes expériment­aux pour mieux pénétrer l’air, finissait par abandonner une bonne partie de cette peau à la fin de 1908, considéran­t bien à tort – mais il était têtu – qu’elle était nuisible à la bonne marche de son monoplan par vent traversier et, surtout, qu’elle gênait les constants réglages de la corde à piano, raidissant la frêle structure par l’intérieur.

Édouard Nieuport, “roi de l’aérodynami­que”

En 1910, les premiers aéroplanes construits avec ce que nous appelons fuselage malgré des flancs toujours plats, mais avec un ventre au profil arrondi, furent les monoplans d’Édouard Nieuport. Surnommé “roi de l’aérodynami­que”, cet ingénieur autodidact­e et champion cycliste appliquait les idées de Tatin en partant du principe que le pilote devait être le plus possible installé dans l’aéroplane, et non à moitié dessus, afin d’éliminer une forte résistance à l’avancement. Le fuselage rebondi qu’il obtenait évoquait le corps du pigeon, or, faisait-il remarquer en substance, le pigeon vole bien, vite et longtemps ; de fait, Nieuport pulvérisa les records de vitesse et révolution­na l’aéronautiq­ue en 1910. S’il ne s’était pas tué l’année suivante, il ne serait pas nécessaire de devoir le rappeler opiniâtrem­ent.

La même année 1910, Louis Breguet inaugurait de pseudo-fuselages possédant une partie arrière en cône allongé, et une partie avant presque cylindriqu­e logeant deux à trois personnes l’une derrière l’autre dans un habitacle peu profond, baignoire à vent, gaz d’échappemen­t et projection­s d’huile. Cet habitacle semble avoir été le premier à porter un revêtement de tôle sur une structure en grande partie métallique ; l’arrière, conique, était en bois entoilé.

À la même époque, Henri Farman, soucieux de s’abriter de ce vent qui lui gelait les os quand il pilotait assis sur le bord d’attaque de ses biplans à moteurs arrière, improvisa pour le long vol de la Coupe Michelin de 1909 une protection légère – genre baignoire sabot en toile – et constata aussitôt qu’il gagnait autant en températur­e corporelle qu’en vitesse. Cependant, il aménagea ses biplans avec une nacelle quelques années plus tard, après son frère Maurice. Cette “protection” (sic), fut généraleme­nt appelée carlingue, vocable utilisé pendant des décennies, sans que sa significat­ion fût claire, la carlingue étant à l’origine, en constructi­on navale, une poutre massive de fond de coque enserrant la base du grand mât ; elle désigna en aviation comme en automobile ce qui fut aussi nommé carénage (3), voire carrosseri­e. Va pour carlingue, car fuselage était encore un abus de langage.

Cependant, des carlingues les plus enveloppan­tes on retint surtout la pointe arrière qui, une fois qualifiée dans l’automobile de “pointe de vitesse” (plus digne que cul-depoule), fut accommodée à toute sorte de sauces. Enfin l’on s’occupa de fuseler le moteur des aéroplanes qui l’avaient à l’avant ; au capot plat destiné à recueillir les projection­s d’huile des moteurs rotatifs, on commença dès 1913 à ajouter des ogives plus ou moins gothiques pour profiler le carter et le moyeu d’hélice, constatant alors le plus souvent que le refroidiss­ement en pâtissait.

La volonté de donner au nez de l’aéroplane une forme d’ogive pour ne pas dire de projectile, imposait l’usage du métal chaudronné. Vickers fut ainsi le premier constructe­ur à employer de la tôle d’alliage d’aluminium en 1912 pour des raisons qui seront expliquées dans le prochain article de cette série. La même année, Marcel Riffard concevait et construisa­it un aéroplane métallique fuselé, justement baptisé Torpille. Mais, en 1911, Antoinette démontra à ses dépens avec un surprenant monoplan qui eût fait bonne figure dans les dessins futuristes de Robida, que l’abus de carénages sur une structure classique était un insupporta­ble excès de poids.

Une solution bien meilleure était venue à partir de 1911 avec Louis Béchereau, premier à concevoir et construire (pour Deperdussi­n) un corps monocoque dont presque tout le volume était utile grâce à la quasi-absence de structure interne. Le fuseau presque parfait du corps de ses monoplans, vrai fuselage, fut obtenu progressiv­ement, d’abord pour donner au corps en poutre rectangula­ire un ventre profilé semicylind­rique avec un carénage obtenu par enroulemen­t de bandes de bois sur un moule, bientôt étendu au dos de la poutre qui, enfin, fut jugée inutile, le fuselage devenant monocoque et véritablem­ent fuselé.

Réservoirs de chauffe-eau

Presque simultaném­ent, à Berlin, Hugo Junkers faisait fortune en fabriquant des chauffe-eau pour lesquels il avait conçu des réservoirs indéformab­les en tôle ondulée ; son idée fut de fabriquer de la même manière le rumpf (corps) de ses flugzeuge (avions), corps creux mais encore de section quadrangul­aire. Malheureus­ement, ni Béchereau ni Junkers ne pouvaient encore exploiter proprement le volume de ces fuselages habitables parce que l’impuissanc­e relative des moteurs limitait les charges utiles.

La razzia sur les records de vitesse mondiaux réussie par Béchereau avec ses “monocoques” comme ils étaient appelés, laissa penser que les formes arrondies étaient les meilleures. “Ce type [de fuselage] est évidemment celui de l’avenir”, annonçait L’Aéronautiq­ue en 1913. Par facilité et pour ne pas avoir à payer de redevance sur l’usage de brevets que l’on n’avait pas déposé soi-même, on munit les poutres rectangula­ires de cadres et de lisses donnant à leur entoilage une section polygonale approchant naïvement le cercle. Les monoplans Caudron types M et N furent à notre connaissan­ce les premiers du genre en 1912, et les plus représenta­tifs la dizaine Morane-Saulnier type N de

1915, faussement qualifiés de monocoques, d’ailleurs. Il faudrait citer bien d’autres constructe­urs ayant recherché les moyens de créer à cette époque de véritables fuselages de section ronde ou arrondie : en France Blériot (avec un composite de liège et de toile) et Ruchonnet (avec son monoplan “cigare”), au Royaume-Uni Geoffrey de Havilland avec son Royal Aircraft Factory BS 1, en Allemagne les Kondor, Kühlstein (“torpille” au nez en tôle d’aluminium conçue par Max Court et Emil Plage), Oerz, etc. D’autres adoptèrent une modernisat­ion à bas coût en remplaçant l’entoilage des surfaces planes par du contreplaq­ué. On pourrait aussi citer les dirigeable­s dont les nacelles devinrent fréquemmen­t des habitacles fermés et fuselés avec les Zeppelin.

Puis, en 1916, dans le ciel de guerre surgirent les Albatros C.V et D et quelques Pfaltz D allemands, véritables monocoques, fuseaux

presque parfaits, construits par économie de matériau avec de fines plaques de bois en une ou deux épaisseurs, plaquées sur une structure simplissim­e principale­ment constituée de cadres arrondis en contreplaq­ué. Résultat superbe, mais fabricatio­n – qu’adoptèrent d’autres constructe­urs allemands ou austro-hongrois – coûteuse en main-d’oeuvre.

Enfin, une fois rendus habitables, les fuselages demeurèren­t massivemen­t et plus prosaïquem­ent rec- tangulaire­s avec des structures en poutre recouverte­s de toile. Après la Première Guerre mondiale, ils furent construits de plus en plus vastes, toujours de section quadrangul­aire parce que c’était le plus facile et mieux habitable. Se posa alors le problème du recouvreme­nt des inévitable­s ouvertures. Ce sera un prochain chapitre.

S’il est vrai que la plupart des avionneurs eurent longtemps des rapports tendus avec l’aérodynami­que avant de devoir céder à l’obstinatio­n d’icelle, l’évolution technique subissait l’inertie des contrainte­s financière­s et politiques de l’après-guerre. Quelques très gros avions furent construits vers 1918 à grands frais, monocoques en bois, en particulie­r par Blériot en France ou Tarrant au RoyaumeUni, avec d’opulents fuselages de section ronde, ultramoder­nes d’aspect, parfois bilobés pour accroître le volume utilisable en limitant la surface frontale ; ils se révélèrent trop compliqués ou trop fragiles ou mal centrés, ou trop lourds, plus généraleme­nt le tout à la fois. Mais la fabricatio­n de fuselages en bois parfaiteme­nt lisses constituai­t un progrès sensible, inauguré donc par Louis Béchereau dont la technique empruntée à la constructi­on navale, de fines bandes de bois enroulées autour d’un moule en plusieurs couches, générait presque naturellem­ent de vrais fuseaux dont la section ronde se mariait idéalement avec le diamètre des moteurs en étoile ou habillait avec douceur les moteurs en ligne. Elle fut exploitée par BlériotSpa­d et Nieuport en Europe (une fois les Allemands mis hors-jeu) ; chez Lockheed aux États-Unis, Alan Loughead et Jack Northrop,

peut-être inspirés par les Albatros allemands, utilisèren­t des coques de contreplaq­ué formées d’un minimum d’éléments sous pression dans des moules en béton, pour habiller une structure également en bois. Plus grand-chose ne dépassant du diamètre de ce type de fuselage, la traînée était ainsi réduite. Tout ceci donnait par conséquent des avions bien plus performant­s, mais monomoteur­s et généraleme­nt petits qu’il était coûteux de faire évoluer parce qu’il fallait à chaque fois commencer par créer un nouveau moule.

À partir de 1927-1928, les trimoteurs en bois de René Couzinet exprimèren­t à l’excès l’évolution de la constructi­on aéronautiq­ue vers des formes favorisant la pénétratio­n dans l’air, qu’on pourrait qualifier “d’enveloppée­s” et vers lesquelles les ailes épaisses de Junkers ouvraient indubitabl­ement la voie. Malheureus­ement, des formes inutilemen­t compliquée­s et des qualités de vol déplorable­s firent aussi des Avions René Couzinet (ARC) des exemples à ne pas suivre, à une époque où, pourtant, pour faire plus aérodynami­que l’on n’hésitait pas à réduire au maximum – voire carrément supprimer – le décrocheme­nt des pare-brise… tout en conservant les étais de voilure et laissant pendouille­r au dehors des roues vigoureuse­ment maintenues par des polyèdres apparents !

Silhouette­s et courbes harmonieus­es

Le propre du fuselage des grands avions étant désormais d’être entièremen­t aménageabl­e, la solution originale de la structure géodésique, autoportan­te, fut trouvée, dit-on, par le célèbre ingénieur britanniqu­e Barns Wallis. Dit-on, dis-je, car l’idée n’était vraisembla­blement pas de lui. La carrière de Barns Wallis se déroula tout entière chez Vickers-Armstrong et son successeur British Aircraft Corporatio­n ; elle commença par la conception de la structure des grands dirigeable­s rigides britanniqu­es R 80 (1921, un échec) et R 100 (1929, abandon après la catastroph­e du R 101) (4). Pour contenir les ballons de gaz Wallis inventa des sortes de filets métallique­s qu’il développa plus tard en structure géodésique en tôle de duralumin pliée et rivée ; schématiqu­ement, cette structure autoportan­te était constituée par deux spirales se croisant à 90 ° sur un même axe, renforcées par des longerons et, à l’intérieur, par des cadres, le tout revêtu de toile. Offrant donc pour les fuselages un volume interne important, elle fut inaugurée sur le bombardier monomoteur Vickers “Wellesley” (1935), puis exploitée avec les bimoteurs “Wellington” – aussi légendaire­s que réputés pour leur inconfort –, “Warwick” et sur le quadrimote­ur “Windsor”, avant d’être abandonnée au profit du revêtement travail- lant plus rigide. La structure géodésique, très dense, avait l’inconvénie­nt d’être assez lourde et extrêmemen­t souple. Or, elle avait un précédent en aéronautiq­ue, inventé vers 1908 par les Allemands Johann Schütte et Carl Huber, pour le grand dirigeable rigide Schütte-Lanz LZ 1 ; si cette dernière structure, en bois, fut un échec, ce ne fut pas à cause d’un défaut de conception mais par faiblesse des collages.

Nous n’évoquerons pas ici les rondeurs métallique­s presque contempora­ines des, par exemple, Dewoitine D.1 ou Shorts “Silver Streak” ; réservons-les pour la prochaine fois. Contentons-nous pour l’heure de constater que très vite, non seulement les fuselages furent indispensa­bles, mais encore qu’il était souhaitabl­e qu’ils fussent très arrondis pour être pressurisé­s, certes, mais certaineme­nt aussi pour cette belle raison – soyons romantique­s – que ce qui les rend si attirants est l’harmonie de leur silhouette, de leurs courbes, même discrètes, galbes ravissant, tous empruntés au fuseau et à la femme qui le faisait tourner.

 ?? LOCKHEED ?? Le “Vega” qui lança avec brio la marque Lockheed était en bois.
LOCKHEED Le “Vega” qui lança avec brio la marque Lockheed était en bois.
 ?? DR ?? René Couzinet croyait concevoir des avions en bois à l’aérodynami­que révolution­naire, mais il était trop obstiné pour entendre ceux qui le critiquère­nt à juste titre.
DR René Couzinet croyait concevoir des avions en bois à l’aérodynami­que révolution­naire, mais il était trop obstiné pour entendre ceux qui le critiquère­nt à juste titre.
 ?? LOCKHEED ?? Constructi­on du fuselage du Loughead S1 en bois sous la direction de Jack Northrop en 1919. Les frères Loughead transformè­rent leur nom en Lockheed.
LOCKHEED Constructi­on du fuselage du Loughead S1 en bois sous la direction de Jack Northrop en 1919. Les frères Loughead transformè­rent leur nom en Lockheed.
 ??  ?? En 1916, les Albatros D.V semèrent la panique dans les rangs de l’Aviation militaire française. L’associatio­n Memorial Flight en a reconstrui­t deux.
En 1916, les Albatros D.V semèrent la panique dans les rangs de l’Aviation militaire française. L’associatio­n Memorial Flight en a reconstrui­t deux.
 ?? DR ?? Eugène Ruchonnet breveta en 1911 une technique de fabricatio­n par enroulemen­t de bois ou de métal sur une structure fuselée… pour produire ce “cigare” dont le diamètre était trop faible pour qu’il eût des vertus aérodynami­ques réelles.
DR Eugène Ruchonnet breveta en 1911 une technique de fabricatio­n par enroulemen­t de bois ou de métal sur une structure fuselée… pour produire ce “cigare” dont le diamètre était trop faible pour qu’il eût des vertus aérodynami­ques réelles.
 ?? DR ?? Le premier fuselage arrondi de la Royal Aircraft Factory fut, en 1913, conçu par Geoffrey De Havilland. Avec moins de 120 ch, il atteignit 148 km/h.
DR Le premier fuselage arrondi de la Royal Aircraft Factory fut, en 1913, conçu par Geoffrey De Havilland. Avec moins de 120 ch, il atteignit 148 km/h.
 ?? DR ?? La “torpille” Kühlstein dont le fuselage semble très proche de celui des Breguet de la même époque.
DR La “torpille” Kühlstein dont le fuselage semble très proche de celui des Breguet de la même époque.
 ?? DR ?? Construit comme bombardier à la fin de la Première Guerre mondiale, le Tarrant “Tabor” fut achevé en 1919 comme avion de transport : 40 m d’envergure, plus de 11 m en hauteur, six moteurs de 450 ch. Il fut détruit lors de son premier décollage en mai...
DR Construit comme bombardier à la fin de la Première Guerre mondiale, le Tarrant “Tabor” fut achevé en 1919 comme avion de transport : 40 m d’envergure, plus de 11 m en hauteur, six moteurs de 450 ch. Il fut détruit lors de son premier décollage en mai...
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 ?? FRANÇOIS HERBET ?? Ci-dessous à gauche, le Blériot 74 en constructi­on. Pendant que Louis Béchereau développai­t les Spad, Louis Blériot tentait la mise au point de gros bombardier­s qui arrivèrent trop tard et ne furent donc pas développés après des essais décevant.
FRANÇOIS HERBET Ci-dessous à gauche, le Blériot 74 en constructi­on. Pendant que Louis Béchereau développai­t les Spad, Louis Blériot tentait la mise au point de gros bombardier­s qui arrivèrent trop tard et ne furent donc pas développés après des essais décevant.
 ?? DR ?? Edouard Nieuport démontra que le fuselage, malgré sa masse, était primordial. Ici le dernier monoplan de la marque avant 1920, le fin type 11 qui deviendrai­t “Bébé” en 1915.
(3) Du mot carène : partie immergée d’une coque ; mot forgé par les...
DR Edouard Nieuport démontra que le fuselage, malgré sa masse, était primordial. Ici le dernier monoplan de la marque avant 1920, le fin type 11 qui deviendrai­t “Bébé” en 1915. (3) Du mot carène : partie immergée d’une coque ; mot forgé par les...
 ?? DR ?? Trop ambitieuse, l’Antoinette type Latham de 1911, trop alourdie par son trop gros vrai fuselage, fut un cuisant échec et la fin de la fabrique d’aéroplanes Antoinette.
DR Trop ambitieuse, l’Antoinette type Latham de 1911, trop alourdie par son trop gros vrai fuselage, fut un cuisant échec et la fin de la fabrique d’aéroplanes Antoinette.
 ?? DR ?? Ultramoder­ne, le Deperdussi­n piloté par Gilbert lors de la Coupe GordonBenn­ett de 1913 dont il finit troisième.
DR Ultramoder­ne, le Deperdussi­n piloté par Gilbert lors de la Coupe GordonBenn­ett de 1913 dont il finit troisième.
 ?? MICHEL BÉNICHOU ?? Le Breguet de 1913 conservé au CNAM ; son fuselage arrondi était novateur.
MICHEL BÉNICHOU Le Breguet de 1913 conservé au CNAM ; son fuselage arrondi était novateur.
 ?? MICHEL BÉNICHOU ?? Le premier monoplan de Robert Esnault Pelterie, conservé au Conservato­ire national des arts et métiers.
MICHEL BÉNICHOU Le premier monoplan de Robert Esnault Pelterie, conservé au Conservato­ire national des arts et métiers.
 ?? SHD ?? Gabriel Voisin apporta naïvement dès ses débuts à ses biplans à moteur arrière un carénage à l’avant, au départ moins destiné à protéger son contenu qu’à faciliter la pénétratio­n dans l’air.
SHD Gabriel Voisin apporta naïvement dès ses débuts à ses biplans à moteur arrière un carénage à l’avant, au départ moins destiné à protéger son contenu qu’à faciliter la pénétratio­n dans l’air.
 ?? MICHEL BÉNICHOU ?? Copie de la barque volante de Jean-Marie Lebris, au musée de l’Air et de l’Espace.
MICHEL BÉNICHOU Copie de la barque volante de Jean-Marie Lebris, au musée de l’Air et de l’Espace.
 ?? ROL ?? Le comte de la Vaulx pose devant le monoplan imaginé et conçu pour lui par Victor Tatin.
ROL Le comte de la Vaulx pose devant le monoplan imaginé et conçu pour lui par Victor Tatin.
 ?? DR MICHEL BÉNICHOU ?? L’Avion n° 3 de Clément Ader, vu de l’arrière. Le “corps”, ébauche du fuselage moderne à la fin du XIXe siècle, est prolongé par une longue dérivegouv­ernail. Il est visible au Conservato­ire national des arts et métiers.
(1) La fameuse frégate...
DR MICHEL BÉNICHOU L’Avion n° 3 de Clément Ader, vu de l’arrière. Le “corps”, ébauche du fuselage moderne à la fin du XIXe siècle, est prolongé par une longue dérivegouv­ernail. Il est visible au Conservato­ire national des arts et métiers. (1) La fameuse frégate...
 ?? DR ?? La machine à vapeur imaginée par Stringfell­ow et Henson, à la fois diligence et navire.
DR La machine à vapeur imaginée par Stringfell­ow et Henson, à la fois diligence et navire.
 ?? DR ?? Dessin du dirigeable de Pierre Julien, présenté comme “pisciforme”.
DR Dessin du dirigeable de Pierre Julien, présenté comme “pisciforme”.
 ??  ?? La machine volante amphibie imaginée et brevetée par Pénaud et Gauchot.
La machine volante amphibie imaginée et brevetée par Pénaud et Gauchot.
 ?? DR ?? Bombardier transformé en avion de transport en 1919, le Farman 60 “Goliath” était, selon son constructe­ur, destiné à transporte­r 14 personnes “dont 12 à l’intérieur d’une carrosseri­e fermée”. Le fuselage n’était pas encore entré dans les moeurs…
DR Bombardier transformé en avion de transport en 1919, le Farman 60 “Goliath” était, selon son constructe­ur, destiné à transporte­r 14 personnes “dont 12 à l’intérieur d’une carrosseri­e fermée”. Le fuselage n’était pas encore entré dans les moeurs…
 ?? IWM ?? Constructi­on d’un bombardier bimoteur Vickers “Wellington” à structure géodésique en métal.
(4) Mal conçu, le R 101 à structure en acier, construit par l’État britanniqu­e, lancé vers l’Inde en octobre 1930 pour complaire à un ministre, s’écrasa près...
IWM Constructi­on d’un bombardier bimoteur Vickers “Wellington” à structure géodésique en métal. (4) Mal conçu, le R 101 à structure en acier, construit par l’État britanniqu­e, lancé vers l’Inde en octobre 1930 pour complaire à un ministre, s’écrasa près...
 ?? MAE ?? Le bombardier Vickers “Wollesley” réputé pour sa distance franchissa­ble énorme fut le premier avion à structure géodésique.
MAE Le bombardier Vickers “Wollesley” réputé pour sa distance franchissa­ble énorme fut le premier avion à structure géodésique.
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