Le hareng et la fileuse
Pour une nouvelle histoire de l’aéronautique - Partie 13
Fuselage, vous avez dit fuselage ? Examinons précisément la chose…
Fuselage : “Carcasse en forme de fuseau constituant le corps d’un avion ou d’un planeur, à laquelle sont fixées notamment les ailes, et dont la forme facilite la pénétration dans l’air”, scribit l’Académie française. Or donc, vous en conviendrez aisément, voici un mot bien étrange car il fut introduit en 1908 dans le Larousse mensuel, à une époque où les aéroplanes n’avaient rien de fuselé. L’aéroplane le mieux réussi d’alors, le biplan Wright américain, était autant dépourvu de fuselage – ou de corps – qu’une escarpolette, simplissime expression de la balançoire. Aucune machine véritablement volante de ce temps ne présentait une quelconque apparence de fuseau, à l’exception de quelques dirigeables dont la partie fuselée n’était précisément pas le fuselage.
Partout dans le monde, ladite carcasse avait pour rôle principal de déporter un empennage vers l’arrière ; cette poutre pouvait aussi, plus en avant, porter pilote, accessoires, propulseur et moteur. Elle fut un peu partout platement nommée rumpf, body, corpo, cuerpo, etc., c’est-à- dire corps, à moins que le français fuselage, vocable courant après les débuts de l’aviation, ne fût repris tel quel, plus tard, comme en Russie ou au Royaume-Uni, malgré ses racines latines.
À l’époque des débuts et plus encore avant, quand la principale préoccupation était la surface portante et/ou la propulsion, il n’était pas utile de se disperser à nommer le corps de l’appareil pour ce motif que, sauf en rêve, il était un contenant superfétatoire et trop lourd. Cependant, certains avaient conscience qu’un compartiment pour le pilote et pour une encore hypothétique machinerie était préférable, et qu’il fallait lui donner une forme spéciale dont la seule référence était alors la coque des navires. En 1799, Sir George Cayley – que nous ne présenterons plus –, suggéra une barque ronde qu’on aurait nommée ailleurs coque de noix (voir plus loin), mais, dans la pratique, se contenta de suspendre sous diverses voilures l’expérimentateur avec pour seul habillage un vêtement décent. Il fut dès lors imité par pragmatisme. Aux siècles 18 et 19, seuls les chercheurs dont l’imagination forçait la raison donnèrent parfois à leur projet d’aéronef un corps d’oiseau, en l’affublant même parfois d’une tête de volatile par soucis de vraisemblance.
Par empirisme dès l’Antiquité
Les formes que nous disons fuselées furent d’abord exploitées par empirisme dès l’Antiquité pour faciliter la navigation sur le seul fluide alors praticable, l’eau. Elles évoluèrent scientifiquement au cours du XVIIIe siècle dans la conception des coques de grands navires, et plus tard de celle des projectiles d’armes à feu militaires. Les premières expériences d’hydrodynamique furent conduites dans le royaume de France en 1775 par Jean d’Alembert, Nicolas Condorcet et l’abbé Charles Bossut, à la demande du principal ministre de
Louis XVI, Turgot, afin d’accélérer la marche des navires. Ces trois expérimentateurs qu’on aurait grand tort de prendre à la légère, conclurent que la forme la plus appropriée de la coque était globalement celle du hareng ( Nouvelles expériences sur la résistance des fluides, publié en 1777) (1).
Longtemps après, il fut logique de transposer le problème et sa solution à l’aérien lorsque l’on comprit par étapes que l’air était :
– ce que le Néerlandais Jan Baptist van Helmont nommait gas (prononcez kass) ;
– un fluide comme les liquides.
Formes spéciales pour un minimum d’effort
Dès le XVIIIe siècle, les premières expériences d’aérodynamiques montrèrent que l’air, comme l’eau, opposait à tout mouvement une force certaine et que, à l’instar des poissons, les oiseaux avaient été pourvus par le Créateur de formes spéciales pour évoluer dans leur élément avec un minimum d’effort. Ainsi vint-il à l’esprit de gens qui n’étaient pas les moins intelligents de contourner trop d’inconnues de la physique et de la mécanique par l’imitation scrupuleuse de la nature, quitte à l’agrémenter d’accessoires parfaitement humains : cas du hareng déjà cité ; cas de l’Albatros du marin Jean Marie Le Bris, inspiré à la fois par le grand oiseau voilier de ce nom et par une barque ; cas des avions de Clément Ader, imités de la chauvesouris et du squelette des oiseaux.
Auparavant, dans l’idée de John Stringfellow et William Samuel Henson, qui se voyaient armateurs des airs en 1842, les passagers de leur futur vaisseau aérien auraient été installés dans une voiture munie de grosses roues mais aussi, mi-diligence mi-vaisseau, d’une étrave effilée moderne, empruntée à la coque des alors tout récents extreme clippers, voiliers cargos américains très rapides. Les modèles réduits construits pour expérimenter ses idées par Stringfellow vers 1848 présentèrent par ailleurs pour “mieux pénétrer dans l’air” des éléments de voilure au plan naïvement dessiné en pointe de flèche, ainsi que, pour leur petit moteur à vapeur, un réservoir cylindro- conique directement inspiré non plus par la nature ni par l’expérience, mais – à mon avis – par de nouvelles
munitions militaires. Vers 1810, au Royaume-Uni, les balles sphériques des fusils de guerre furent prolongées par un petit corps cylindrique assez mou pour être élargi lors de la combustion de la poudre et se plaquer contre la paroi d’un canon rayé en spirale afin de conférer au projectile un spin – rotation stabilisatrice sur lui-même : précision et portée hautement augmentées, élévation indiscutable du degré de la frater- nité. Certainement y eût-il un rapport direct entre ces projectiles plus performants et les extrémités coniques des réservoirs de Stringfellow, plus simples à bricoler que la pointe en ogive des nouvelles munitions.
Du 6 au 10 novembre 1850, Pierre Jullien, horloger en banlieue parisienne, fut le premier à faire évoluer en tous sens un ballon à moteur. Encore un modèle réduit malgré ses 7 m de long, mais il est utile d’en faire état parce que son expérimentation fut capitale et parce que l’enveloppe de ce ballon avait l’aspect d’un hareng, déterminée par des essais préalables de pénétration dans l’eau avec diverses formes en bois. Quelques années plus tard, une fois la soufflerie inventée par Francis Wenham, on découvrit avec grand étonnement qu’une enveloppe ainsi fuselée, quoique fort énorme, fendrait l’air bien plus facilement que l’ensemble des cordages et la nacelle !
En 1876, Alphonse Pénaud et Paul Gauchot dessinèrent, pour leur projet de grand monoplan, un corps à la poupe et la proue effilées, de section quadrangulaire ; en 1879, Victor Tatin construisit et fit voler un modèle réduit d’aéroplane monoplan, aujourd’hui préservé par le musée de l’Air et de l’Espace, avec un corps formé par un réservoir d’air comprimé cylindro- conique pour, ici aussi, réduire la résistance à l’avancement. À peu près à la même époque, Alexandre Goupil imaginait un aéronef fuselé comme un ballon de rugby, et Clément Ader essayait un planeur expérimental reproduisant un oiseau et couvert de plumes d’oies ; à partir de 1882, attaché à la chauve-souris – plus facile à construire parce qu’elle n’est pas emplumée –, il comprit la nécessité de tout caréner du mieux possible, ce qui, avec son grand souci de réduire les masses, l’amenait à recouvrir une structure de bambou reconstituée avec des panneaux de soie plats, agencés en facettes pour former un corps effilé à ses deux extrémités.
En 1907, Robert Esnault Pelterie commença à voler dans
un aéroplane monoplan de son invention dont le corps, en grande partie cylindrique, abritant, selon l’orthographe de François Peyrey en 1909, un “coke-pitt” (2), évoque l’ébauche d’un fuselage moderne, obtenue en tendant avec plus ou moins de succès de la toile sur une structure composée notamment de cerceaux.
Plus intéressant, Victor Tatin construisit pour Charles Richet en 1890, puis pour le comte Henri de la Vaulx en 1908, deux grands monoplans dont le corps abritant pilote et moteur aurait été un parfait fuseau si sa section n’avait été quadrangulaire. Mon petit doigt me dit que ce furent là les premiers véritables fuselages d’aéronef, mais vous savez tout le crédit qu’il faut porter aux confidences auriculaires… L’obstacle demeurait l’impérieuse nécessité d’employer des matériaux aussi légers que possible, faciles à manipuler pour d’empiriques modifications ; donc toile, voire papier, tendus sur des structures en bois anguleuses, simplifiées par économie de poids et d’argent. (2) Peyrey, dans son remarquable Les Oiseaux mécaniques, se trompait ; cockpit, désignant le logement du timonier, était un terme de marine anglais dérivé d’un néologisme du XVIe siècle : cock-pit, cage à coq (de combat). Tant que nous y sommes, laissons cette digression en appeler une autre sur l’origine du mot fuseau. Du latin fusus : tige de bois renflée en son milieu, utilisée par les fileuses pour recueillir le fil de laine torsadé par le rouet ; on notera au passage que la quantité de fil laine ainsi enroulée s’appelait fusée, et qu’un vocable germanique désignant le fuseau donna au XVIIIe siècle le synonyme français de fuseau : roquelle ou roquette. En français fusée allait aussi, chez les horlogers puis en mécanique, désigner divers axes coniques.
À l’époque – 1907 – où Léon Levavasseur donnait progressivement à ses monoplans Antoinette un corps fin, de section triangulaire, directement inspiré par les canots de course (aspect assez souvent copié), Henry Farman faisait entoiler la nacelle quadrangulaire où Gabriel Voisin plaçait le pilote, en lui don- nant à plusieurs reprises, dans un texte de décembre 1907 publié par Le Monde moderne, le nom de “fuselage”, vocable peu usité dans les très nombreuses publications que suscita l’aviation naissante jusqu’à la guerre en 1914. Il est vrai que le vocabulaire aéronautique était alors instable ; ainsi, quand Henry Farman
mentionnait un aviateur, c’est son biplan qu’il décrivait. Fuselage semble avoir été réservé, sans que cela fût une règle, loin de là, au corps des aéroplanes lorsqu’il était entièrement entoilé. Or, Louis Blériot qui était pour beaucoup un modèle à suivre, s’il avait d’abord suivi le conseil d’entourer de toile à matelas la poutre rectangulaire de ses aéroplanes expérimentaux pour mieux pénétrer l’air, finissait par abandonner une bonne partie de cette peau à la fin de 1908, considérant bien à tort – mais il était têtu – qu’elle était nuisible à la bonne marche de son monoplan par vent traversier et, surtout, qu’elle gênait les constants réglages de la corde à piano, raidissant la frêle structure par l’intérieur.
Édouard Nieuport, “roi de l’aérodynamique”
En 1910, les premiers aéroplanes construits avec ce que nous appelons fuselage malgré des flancs toujours plats, mais avec un ventre au profil arrondi, furent les monoplans d’Édouard Nieuport. Surnommé “roi de l’aérodynamique”, cet ingénieur autodidacte et champion cycliste appliquait les idées de Tatin en partant du principe que le pilote devait être le plus possible installé dans l’aéroplane, et non à moitié dessus, afin d’éliminer une forte résistance à l’avancement. Le fuselage rebondi qu’il obtenait évoquait le corps du pigeon, or, faisait-il remarquer en substance, le pigeon vole bien, vite et longtemps ; de fait, Nieuport pulvérisa les records de vitesse et révolutionna l’aéronautique en 1910. S’il ne s’était pas tué l’année suivante, il ne serait pas nécessaire de devoir le rappeler opiniâtrement.
La même année 1910, Louis Breguet inaugurait de pseudo-fuselages possédant une partie arrière en cône allongé, et une partie avant presque cylindrique logeant deux à trois personnes l’une derrière l’autre dans un habitacle peu profond, baignoire à vent, gaz d’échappement et projections d’huile. Cet habitacle semble avoir été le premier à porter un revêtement de tôle sur une structure en grande partie métallique ; l’arrière, conique, était en bois entoilé.
À la même époque, Henri Farman, soucieux de s’abriter de ce vent qui lui gelait les os quand il pilotait assis sur le bord d’attaque de ses biplans à moteurs arrière, improvisa pour le long vol de la Coupe Michelin de 1909 une protection légère – genre baignoire sabot en toile – et constata aussitôt qu’il gagnait autant en température corporelle qu’en vitesse. Cependant, il aménagea ses biplans avec une nacelle quelques années plus tard, après son frère Maurice. Cette “protection” (sic), fut généralement appelée carlingue, vocable utilisé pendant des décennies, sans que sa signification fût claire, la carlingue étant à l’origine, en construction navale, une poutre massive de fond de coque enserrant la base du grand mât ; elle désigna en aviation comme en automobile ce qui fut aussi nommé carénage (3), voire carrosserie. Va pour carlingue, car fuselage était encore un abus de langage.
Cependant, des carlingues les plus enveloppantes on retint surtout la pointe arrière qui, une fois qualifiée dans l’automobile de “pointe de vitesse” (plus digne que cul-depoule), fut accommodée à toute sorte de sauces. Enfin l’on s’occupa de fuseler le moteur des aéroplanes qui l’avaient à l’avant ; au capot plat destiné à recueillir les projections d’huile des moteurs rotatifs, on commença dès 1913 à ajouter des ogives plus ou moins gothiques pour profiler le carter et le moyeu d’hélice, constatant alors le plus souvent que le refroidissement en pâtissait.
La volonté de donner au nez de l’aéroplane une forme d’ogive pour ne pas dire de projectile, imposait l’usage du métal chaudronné. Vickers fut ainsi le premier constructeur à employer de la tôle d’alliage d’aluminium en 1912 pour des raisons qui seront expliquées dans le prochain article de cette série. La même année, Marcel Riffard concevait et construisait un aéroplane métallique fuselé, justement baptisé Torpille. Mais, en 1911, Antoinette démontra à ses dépens avec un surprenant monoplan qui eût fait bonne figure dans les dessins futuristes de Robida, que l’abus de carénages sur une structure classique était un insupportable excès de poids.
Une solution bien meilleure était venue à partir de 1911 avec Louis Béchereau, premier à concevoir et construire (pour Deperdussin) un corps monocoque dont presque tout le volume était utile grâce à la quasi-absence de structure interne. Le fuseau presque parfait du corps de ses monoplans, vrai fuselage, fut obtenu progressivement, d’abord pour donner au corps en poutre rectangulaire un ventre profilé semicylindrique avec un carénage obtenu par enroulement de bandes de bois sur un moule, bientôt étendu au dos de la poutre qui, enfin, fut jugée inutile, le fuselage devenant monocoque et véritablement fuselé.
Réservoirs de chauffe-eau
Presque simultanément, à Berlin, Hugo Junkers faisait fortune en fabriquant des chauffe-eau pour lesquels il avait conçu des réservoirs indéformables en tôle ondulée ; son idée fut de fabriquer de la même manière le rumpf (corps) de ses flugzeuge (avions), corps creux mais encore de section quadrangulaire. Malheureusement, ni Béchereau ni Junkers ne pouvaient encore exploiter proprement le volume de ces fuselages habitables parce que l’impuissance relative des moteurs limitait les charges utiles.
La razzia sur les records de vitesse mondiaux réussie par Béchereau avec ses “monocoques” comme ils étaient appelés, laissa penser que les formes arrondies étaient les meilleures. “Ce type [de fuselage] est évidemment celui de l’avenir”, annonçait L’Aéronautique en 1913. Par facilité et pour ne pas avoir à payer de redevance sur l’usage de brevets que l’on n’avait pas déposé soi-même, on munit les poutres rectangulaires de cadres et de lisses donnant à leur entoilage une section polygonale approchant naïvement le cercle. Les monoplans Caudron types M et N furent à notre connaissance les premiers du genre en 1912, et les plus représentatifs la dizaine Morane-Saulnier type N de
1915, faussement qualifiés de monocoques, d’ailleurs. Il faudrait citer bien d’autres constructeurs ayant recherché les moyens de créer à cette époque de véritables fuselages de section ronde ou arrondie : en France Blériot (avec un composite de liège et de toile) et Ruchonnet (avec son monoplan “cigare”), au Royaume-Uni Geoffrey de Havilland avec son Royal Aircraft Factory BS 1, en Allemagne les Kondor, Kühlstein (“torpille” au nez en tôle d’aluminium conçue par Max Court et Emil Plage), Oerz, etc. D’autres adoptèrent une modernisation à bas coût en remplaçant l’entoilage des surfaces planes par du contreplaqué. On pourrait aussi citer les dirigeables dont les nacelles devinrent fréquemment des habitacles fermés et fuselés avec les Zeppelin.
Puis, en 1916, dans le ciel de guerre surgirent les Albatros C.V et D et quelques Pfaltz D allemands, véritables monocoques, fuseaux
presque parfaits, construits par économie de matériau avec de fines plaques de bois en une ou deux épaisseurs, plaquées sur une structure simplissime principalement constituée de cadres arrondis en contreplaqué. Résultat superbe, mais fabrication – qu’adoptèrent d’autres constructeurs allemands ou austro-hongrois – coûteuse en main-d’oeuvre.
Enfin, une fois rendus habitables, les fuselages demeurèrent massivement et plus prosaïquement rec- tangulaires avec des structures en poutre recouvertes de toile. Après la Première Guerre mondiale, ils furent construits de plus en plus vastes, toujours de section quadrangulaire parce que c’était le plus facile et mieux habitable. Se posa alors le problème du recouvrement des inévitables ouvertures. Ce sera un prochain chapitre.
S’il est vrai que la plupart des avionneurs eurent longtemps des rapports tendus avec l’aérodynamique avant de devoir céder à l’obstination d’icelle, l’évolution technique subissait l’inertie des contraintes financières et politiques de l’après-guerre. Quelques très gros avions furent construits vers 1918 à grands frais, monocoques en bois, en particulier par Blériot en France ou Tarrant au RoyaumeUni, avec d’opulents fuselages de section ronde, ultramodernes d’aspect, parfois bilobés pour accroître le volume utilisable en limitant la surface frontale ; ils se révélèrent trop compliqués ou trop fragiles ou mal centrés, ou trop lourds, plus généralement le tout à la fois. Mais la fabrication de fuselages en bois parfaitement lisses constituait un progrès sensible, inauguré donc par Louis Béchereau dont la technique empruntée à la construction navale, de fines bandes de bois enroulées autour d’un moule en plusieurs couches, générait presque naturellement de vrais fuseaux dont la section ronde se mariait idéalement avec le diamètre des moteurs en étoile ou habillait avec douceur les moteurs en ligne. Elle fut exploitée par BlériotSpad et Nieuport en Europe (une fois les Allemands mis hors-jeu) ; chez Lockheed aux États-Unis, Alan Loughead et Jack Northrop,
peut-être inspirés par les Albatros allemands, utilisèrent des coques de contreplaqué formées d’un minimum d’éléments sous pression dans des moules en béton, pour habiller une structure également en bois. Plus grand-chose ne dépassant du diamètre de ce type de fuselage, la traînée était ainsi réduite. Tout ceci donnait par conséquent des avions bien plus performants, mais monomoteurs et généralement petits qu’il était coûteux de faire évoluer parce qu’il fallait à chaque fois commencer par créer un nouveau moule.
À partir de 1927-1928, les trimoteurs en bois de René Couzinet exprimèrent à l’excès l’évolution de la construction aéronautique vers des formes favorisant la pénétration dans l’air, qu’on pourrait qualifier “d’enveloppées” et vers lesquelles les ailes épaisses de Junkers ouvraient indubitablement la voie. Malheureusement, des formes inutilement compliquées et des qualités de vol déplorables firent aussi des Avions René Couzinet (ARC) des exemples à ne pas suivre, à une époque où, pourtant, pour faire plus aérodynamique l’on n’hésitait pas à réduire au maximum – voire carrément supprimer – le décrochement des pare-brise… tout en conservant les étais de voilure et laissant pendouiller au dehors des roues vigoureusement maintenues par des polyèdres apparents !
Silhouettes et courbes harmonieuses
Le propre du fuselage des grands avions étant désormais d’être entièrement aménageable, la solution originale de la structure géodésique, autoportante, fut trouvée, dit-on, par le célèbre ingénieur britannique Barns Wallis. Dit-on, dis-je, car l’idée n’était vraisemblablement pas de lui. La carrière de Barns Wallis se déroula tout entière chez Vickers-Armstrong et son successeur British Aircraft Corporation ; elle commença par la conception de la structure des grands dirigeables rigides britanniques R 80 (1921, un échec) et R 100 (1929, abandon après la catastrophe du R 101) (4). Pour contenir les ballons de gaz Wallis inventa des sortes de filets métalliques qu’il développa plus tard en structure géodésique en tôle de duralumin pliée et rivée ; schématiquement, cette structure autoportante était constituée par deux spirales se croisant à 90 ° sur un même axe, renforcées par des longerons et, à l’intérieur, par des cadres, le tout revêtu de toile. Offrant donc pour les fuselages un volume interne important, elle fut inaugurée sur le bombardier monomoteur Vickers “Wellesley” (1935), puis exploitée avec les bimoteurs “Wellington” – aussi légendaires que réputés pour leur inconfort –, “Warwick” et sur le quadrimoteur “Windsor”, avant d’être abandonnée au profit du revêtement travail- lant plus rigide. La structure géodésique, très dense, avait l’inconvénient d’être assez lourde et extrêmement souple. Or, elle avait un précédent en aéronautique, inventé vers 1908 par les Allemands Johann Schütte et Carl Huber, pour le grand dirigeable rigide Schütte-Lanz LZ 1 ; si cette dernière structure, en bois, fut un échec, ce ne fut pas à cause d’un défaut de conception mais par faiblesse des collages.
Nous n’évoquerons pas ici les rondeurs métalliques presque contemporaines des, par exemple, Dewoitine D.1 ou Shorts “Silver Streak” ; réservons-les pour la prochaine fois. Contentons-nous pour l’heure de constater que très vite, non seulement les fuselages furent indispensables, mais encore qu’il était souhaitable qu’ils fussent très arrondis pour être pressurisés, certes, mais certainement aussi pour cette belle raison – soyons romantiques – que ce qui les rend si attirants est l’harmonie de leur silhouette, de leurs courbes, même discrètes, galbes ravissant, tous empruntés au fuseau et à la femme qui le faisait tourner.