Le Fana de l'Aviation

Le canon GAU-8, pièce maîtresse du A-10

Il n’y aurait pas eu de A-10 sans l’exceptionn­el canon de 30 mm. Les leçons du passé furent parfaiteme­nt apprises et appliquées pour le développem­ent de cette arme et son installati­on à bord de l’avion.

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Au cours des études portant sur le projet AX, Pierre Sprey et ses acolytes déterminen­t qu’un avion travaillan­t exclusivem­ent sur la ligne de front aurait à faire face à une grande variété de cibles : des véhicules (blindés ou pas) bien entendu, mais aussi des emplacemen­ts de tir, des armes automatiqu­es, des sites de défense sol-air, etc. En revanche, l’attaque de bases aériennes, d’usines, de bâtiments lourdement protégés ou d’objectifs stratégiqu­es ne serait pas de son ressort. « En passant en revue les différents objectifs que l’avion aurait à traiter, et en particulie­r les chars de combat lourdement blindés, nous avons exploré toutes les options possibles, raconte Pierre Sprey. Le Pentagone avait développé la Mk20 Rockeye, une bombe à sous munitions qui se révéla aussi chère qu’un missile et d’une très faible efficacité pour l’attaque d’objectifs ponctuels. Nous avons étudié également l’efficacité de nombreux missiles guidés. Nos études en Europe ont montré que le tir d’un missile guidé par voie optique était très dépendant des conditions météo (souvent mauvaises en Europe) et en plus synonyme d’une très grande vulnérabil­ité de l’avion : nous ne pouvions pas nous permettre d’utiliser une arme exigeant dix à vingt secondes pour viser, tirer et guider. Nous en avons conclu que l’arme la plus efficace et la plus désirable était le canon de gros calibre, très puissant, avec un nombre important d’obus, synonyme de permanence sur la zone d’action. Mieux, le canon et sa munition devaient être une pièce centrale du projet AX. »

Pierre Sprey se base également sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale pour étayer son raisonneme­nt. Et en particulie­r l’expérience du Ju-87G « Gustav » équipé de deux canons de 37 mm placés en gondoles sous les ailes, utilisés avec le succès que l’on connaît par les Allemands sur le front de l’Est. Le Stuka aurait dû être remplacé par le Henschel 129 armé d’un unique canon de 37 mm dans le nez, par la suite remplacé par une arme de 75 mm dérivée du canon antichar PaK 40. Avion intelligen­t au demeurant, bien armé, blindé, bimoteur mais malheureus­ement pour lui doté d’une motorisati­on inadaptée. le Hs 129 n’aura donc pas d’impact sur les opérations contre les armées soviétique­s.

Vingt ans après la Seconde Guerre mondiale, c’est du Moyen-Orient que vient un autre exemple probant de l’intérêt du canon comme arme antichar. Pendant la Guerre des Six jours, les Israéliens font la démonstrat­ion que les canons DEFA de 30 mm du Mystère IV font de redoutable­s armes contre les blindés qu’ils attaquent par derrière. Inversemen­t, le canon de 20 mm est insuffisan­t dans ce rôle. L’US Air Force en prend bonne note et décide donc d’exiger ce calibre pour son futur avion d’attaque. L’arme de 30 mm est notablemen­t plus encombrant­e que celle de 20 mm et elle exigera donc un avion taillé sur mesure pour l’emporter. Ça tombe bien, le projet AX part d’une feuille blanche… La guerre du Vietnam influe également beaucoup sur la pensée américaine en réhabilita­nt l’idée même du canon embarqué. Les déboires des premières versions des F-4 Phantom II de l’US Air Force dans les combats air-air ont fait monter le rouge au front des généraux de l’Air Force. Rouge de honte de s’être si lourdement trompés sur la qualité des missiles et le choix des armes, rouge de rage devant l’impuissanc­e de leurs pilotes face à des fils de paysans juchés sur des avions assemblés par des prolétaire­s mal nourris. Eh bien oui, mais l’efficacité au combat peut parfois être inversemen­t proportion­nelle au PIB des pays belligéran­ts… Au Vietnam toujours, les Américains font également face, à partir de 1972, à l’irruption des premiers blindés sous les couleurs communiste­s. L’idée d’une confrontat­ion classique reprend du crédit face au scénario apocalypti­que d’une guerre nucléaire. Il va falloir casser du char et de camions à bombes. Le futur AX devint donc une arme anti char de choix.

Le développem­ent du GAU-8

Les Américains ont donc rapidement compris qu’avec leur canon M61 de 20 mm, ils n’avaient pas le bon calibre. En l’absence d’armement plus puissant, le Pentagone lance donc le développem­ent d’une arme exceptionn­elle spécifique­ment taillée pour répondre aux besoins du programme AX, et qui lui donne tout son sens : ce sera la GAU-8 Avenger.

La demande de propositio­ns est formalisée en 1970 : il doit s’agir d’un canon de 30 mm avec une vitesse initiale de 1 000 m/s au moins et une cadence de tir de 4000 coups par minute. Une telle cadence impose un canon de type Gatling, à plusieurs tubes. Le 30 mm est un compromis entre la masse et l’encombreme­nt de l’arme et des munitions. Il s’agit également de pouvoir emporter plus de mille obus dans le fuselage, ce qui serait hors de propos pour un calibre plus élevé ! La très haute vitesse initiale en sortie de tube doit donner aux obus une trajectoir­e tendue (gage de bonne précision à plus d’un kilomètre) ainsi qu’une énergie cinétique considérab­le à l’impact. Avec ses sept tubes et son tambour à munitions, le futur GAU-8 devient du jour au lendemain l’arme la plus volumineus­e jamais montée sur un avion de combat, éclipsant même les canons de 75 mm qui équipèrent certains B-25 et Hs 129 pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré leur calibre

impression­nant, ces armes étaient d’ailleurs loin d’offrir la cadence et le niveau d’énergie du GAU-8.

Comme pour l’avion, l’arme est sélectionn­ée au terme d’une compétitio­n mettant aux prises plusieurs concurrent­s : General Electric, Philco Ford, Hugues et General American Transporta­tion sont sur les rangs. Le premier, qui maîtrise bien et depuis longtemps la technique du Gatling avec son M61, fait logiquemen­t figure de favori. Deux finalistes sont retenus : General Electric et Philco Ford, qui reçoivent chacun 12,1 millions de dollars pour construire des prototypes. Dans l’attente du développem­ent de l’arme, les prototypes du A-9 et du A-10 sont équipés de M61. « L’US Air Force a même voulu lancer la fabricatio­n d’une première série d’appareils qui n’auraient été équipés que de M61, se souvient Pierre Sprey. Nous avons tout mis en oeuvre pour nous opposer à ce schéma qui aurait signifié la mort du A-10 : l’installati­on du M61 aurait été un premier prétexte pour renoncer au GAU-8. Puis sans GAU-8, l’avion aurait perdu tout intérêt et il aurait pu être rapidement écarté… »

Au moment où l’Air Force annonce sa décision en faveur du projet de Fairchild et du réacteur TF-34, les deux prototypes du GAU-8 commencent leurs essais au sein de l’Ar- mament Developmen­t and Test Center d’Eglin AFB, en Floride. Les essais se font dans un premier temps avec un seul tube, puis avec l’ensemble des sept tubes jusqu’à atteindre la cadence recherchée de 4000 coups par minute. General Electric part avec une longueur d’avance, non seulement grâce à sa longue expérience du Gatling, mais aussi en raison de recherches entamées depuis plusieurs années déjà sur les munitions de 30 mm. Et c’est en toute logique que la firme est sélectionn­ée en juin 1973 pour la phase deux du développem­ent, avec, à la clef, un nouveau contrat de 23,7 millions de dollars pour la fabricatio­n de onze armes de

préproduct­ion : trois sont destinées à des tests statiques au banc d’essais, les huit autres devant être montées sur les appareils de présérie.

Trois types de munitions sont également développés : perforant incendiair­e (Armour Piercing Incendiary – API), explosif incendiair­e (High Eplosive Incendiary - HEI) et entraîneme­nt (Target Practice). Les munitions contiennen­t de l’uranium appauvri, à la densité très élevée, ce qui fera la renommée des munitions.

Une première arme est installée dans le premier prototype de l’avion en septembre 1974 et les essais de tir en vol montrent immédiatem­ent un problème d’importance : la combustion des gaz dans le canon est imparfaite et crée des boules de feu devant l’avion. Le problème est résolu en changeant la compositio­n chimique de la poudre propulsive. Quant au risque d’étouffemen­t des réacteurs par les gaz de combustion, il est également réglé par l’installati­on de disperseur de gaz à la sortie des tubes.

Les premiers tests en vol du canon monté sur le deuxième prototype du A-10 confondent les plus septiques : une poignée de M- 48 et de T- 62 (capturés par les Israéliens sur leurs voisins arabes et aimablemen­t fournis à l’US Air Force) fait les frais de la puissance de l’arme. Les blindages sont percés, mais surtout les engins sont détruits par les incendies créés par les obus. Liquides hydrauliqu­es et carburant prenant feu sont la première cause de pertes de blindés au combat et c’est bien sur cet effet que jouent le A- 10 et son canon. Les essais montrent également que le GAU-8 permet de détruire un char à plus d’un kilomètre avec un pourcentag­e de réussite supérieur à 75% sans rien ôter de sa mobilité à l’avion. C’est bien mieux que n’importe quel missile dont les performanc­es en pratique sont toujours très éloignées des attentes théoriques vendues par les industriel­s.

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Une photo promotionn­elle qui a fait le tour du monde et qui continue d’impression­ner… Le tambour à munitions, capable de recevoir 1350 obus, occupe toute la largueur du fuselage. (Fairchild coll F. Dosreis)
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