Un A-10 biplace oui, mais pourquoi et comment ?
Hans Rudel, l’aviateur allemand le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale, avait sa petite idée…
Alors que le A-10 entre tout juste en service, l’Air Force et Fairchild réfléchissent à la possibilité d’en faire un appareil tout temps et apte aux missions de combat de nuit. Les discussions commencent fin 1977 et Fairchild reçoit finalement le feu vert pour modifier un appareil de développement en avril 1978. Il s’agira de la version N/ AW : Night/ Adverse Weather. A l’issue d’un chantier de 13 mois, l’appareil changé en biplace effectue son premier vol le 4 mai 1979. La modification a été grandement facilitée par le fait que Fairchild avait envisagé l’installation d’un deuxième poste de pilotage dès le lancement du programme AX : le volumineux tambour à munition est disposé de telle manière qu’il peut rester en place, le deuxième cockpit prenant place par-dessus. Il « suffit » pour cela de déplacer des boîtiers électroniques que l’on recase alors dans le carénage prolongeant la nouvelle verrière. Facile. La place arrière reçoit des commandes de vol et un niveau de protection passive identique à celui de la place avant. L’intérêt de l’avion réside bien évidemment dans la greffe d’une avionique devant ouvrir en
grand les portes du combat de nuit en basse altitude et par tous les temps. Vaste programme !
L’appareil reçoit notamment son premier radar : un WX-50 de Westinghouse, dérivé d’un radar météo. L’équipement est monté dans une nacelle placée sous l’aile et il offre trois modes de fonctionnement : navigation, évitement de terrain et recherche de mobiles au sol. Ce radar est complété par une autre nacelle emportant cette fois un FLIR ( 1) et un désignateur laser. Pour compléter le tout, l’appareil est équipé d’une centrale inertielle (le GPS n’existe pas encore…) et d’une caméra TV à bas niveau de lumière (BNL), installée le long du fuselage, à la place du Pave Penny. Les images du FLIR, de la caméra BNL et du radar peuvent se superposer sur la glace du HUD, face au pilote, mais c’est bien le deuxième membre d’équipage en place arrière qui apporte toute la valeur ajoutée de l’appareil ainsi créé.
Avec deux écrans à sa disposition, en charge de l’emploi de la centrale inertielle pour permettre une navigation précise sans visibilité, il utilise principalement le FLIR pour trouver les cibles et ensuite les désigner au pilote. Ce dernier est maître de l’utilisation du canon tandis que la place arrière garde principalement la main sur les munitions guidées. L’avion est donc évalué entre 1979 et 1982, accumulant un peu moins de 300 heures de vol. Mais tel qu’il se présente, il ne s’agit encore que d’un appareil de développement : Fairchild propose en effet de mieux intégrer les équipements nouveaux, en plaçant le FLIR et le radar dans les carénages de train, la caméra BNL et le télémètre laser dans le bord d’attaque de la voilure. L’avionneur prépare également une nouvelle verrière monobloc et explique pouvoir produire l’avion à partir de 1983. Mais l’Air Force y renonce : le développement de la technologie et des automatismes, la miniaturisation et le gain en performances des équipements de vision nocturne, tout laisse à penser que les missions de nuit seront bientôt à la portée des monoplaces. Ce que confirmera l’avenir… Il est toutefois amusant de constater que l’USAF passe tout de même commande de trente biplaces en 1981. Mais il ne s’agit alors que d’avions à double commande, sans système de mission particulier, destinés à la garde nationale et aux unités de l’Air Force Reserve. Cette commande est finalement annulée en 1982, le Congrès américain étant soucieux de montrer qu’il fait faire des économies (de bouts de chandelle…) au Pentagone pendant que les programmes les plus coûteux continuent leur vie sans hiatus…
Dans la petite histoire du A-10 biplace, le plus intéressant vient non pas de Fairchild ou de l’US Air Force, mais de Hans Rudel, aviateur de légende, pilote le plus décoré de l’Allemagne nazie et qui termina vivant la Seconde Guerre mondiale, quoiqu’un peu allégé par la perte d’une de ses jambes sur le front russe.
On a vu dans les pages précédentes que Rudel avait joué involontairement un rôle central dans la définition du A-10. Invité à Washington en 1979 pour participer à un séminaire sur la lutte anti-char, il ne se priva pas de dire devant son auditoire américain ce qu’il pensait de l’avion. Pendant la conférence, on lui posa la question sur la présence d’un deuxième membre d’équipage sur le A-10 dans le cadre de la mission d’appui-feu. Qu’en pensait-il ?
Sa réponse d’ancien pilote de Ju-87 fusa : « Ce deuxième homme ne serait utile que dans le cas où il serait assis dos au pilote, en regardant derrière l’avion pour surveiller le ciel. » Selon Rudel, Fairchild et l’Air Force avait d’ailleurs fait une erreur en ne donnant pas au A-10 ce deuxième
homme pour surveiller le ciel. Etaitce une simple réflexion d’un ancien du Stuka, dont l’horloge biologique se serait arrêtée sur l’Elbe en 1945 ? Pas forcément, le point de vue d’Hans Rudel étant plus subtil qu’une simple transposition de ce qu’il avait connu quarante ans plus tôt sur un avion à la mission identique…
« La surveillance du ciel n’est pas un fantasme, expliqua Rudel. L’avion est bien protégé des tirs venus du sol, mais ses principaux prédateurs sont en l’air, dans ses six heures… Or dans la mission d’appui-feu, pour trouver des chars et des véhicules bien camouflés, pour bien comprendre où sont les amis et les cibles ennemies, il faut une attention pleine et entière du pilote. Et, pour obtenir et préserver ce niveau d’attention, il ne faut pas être distrait par l’obligation de sur- veiller ses arrières. (…) Dès que vous regardez derrière pour vous couvrir, vous ne cherchez plus les chars, vous perdez le fil de la situation sous l’avion et il faut reprendre le travail à zéro. »
Deuxième bonne raison avancée par Hans Rudel : la vitesse. « Si l’avion a la possibilité d’aller vite, le pilote cherchera invariablement à utiliser cette capacité pour limiter les risques de se faire surprendre par un chasseur. Consciemment ou pas, le pilote va vouloir aller vite au détriment de sa capacité de détection et d’analyse de la situation au sol. La présence d’un deuxième membre d’équipage surveillant le ciel le libère de cette contrainte : il sait qu’il ne peut pas être surpris par un chasseur ennemi et va donc pouvoir réduire sa vitesse pour être plus efficace dans sa mission airsol. »
Hans Rudel enfonce d’ailleurs le clou pendant la conférence en expliquant que, selon lui, le bénéfice apporté par la présence de l’arme d’autodéfense à l’arrière du Stuka était inférieur à l’avantage qu’il y avait à disposer d’une deuxième paire d’yeux… D’autres questions furent posées au pilote allemand sur la puissance de feu et l’emploi du A-10. Selon
Rudel, la puissance de feu et la quantité de munitions emportées par le A- 10 faisaient que l’engagement simultané dans une même zone de deux avions, peut-être trois, était largement suffisant. Au-delà, les appareils ne pouvaient que se gêner. Un auditeur relança ensuite le pilote sur la protection des avions dans le domaine air-air : puisqu’ils étaient monoplace, sans personne pour surveiller leurs 6 heures, comment fallait-il organiser leur défense contre la chasse ennemie ? Selon Rudel, si des pilotes de A-10 avaient l’expérience du combat aérien, alors il fallait la mettre à profit en confiant à des A-10 d’une même unité la protection de leurs collègues en train de travailler au ras du sol. Quatre A-10 en couverture de deux A-10 engagés dans l’appui-feu. Mais Rudel n’en démordait pas : les quatre avions ne seraient là que pour compenser l’absence du deuxième homme dans le A-10. En d’autres termes, la présence d’un deuxième membre d’équipage permettait à l’Air Force de faire l’économie de plusieurs avions de protection… (1) Forward Looking Infra Red : imageur infrarouge.