Le Fana de l'Aviation

L’arrivée de l’avion en Europe

Le A-10 aurait-il pu porter les couleurs de l’US Army ? Même si elle n’aime pas l’appareil, l’US Air Force ne supporte pas cette idée et finit par baser l’avion en Europe.

-

Même si le A-10 tire de nombreuses caractéris­tiques de l’expérience vietnamien­ne, le premier avion n’est livré qu’en 1976, après la fin de la guerre dans la péninsule indochinoi­se. Pas grave, puisqu’une menace autrement plus sérieuse pèse sur l’Europe de l’Ouest avec les nombreuses divisions blindées du Pacte de Varsovie massées sur ses frontières.

Le 81st Tactical Fighter Wing de l’US Air Force Europe (USAFE) reçoit ses trois premiers avions en août 1978. Les appareils sont accueillis sur la base britanniqu­e de Bentwaters (Suffolk) pour les premiers entraîneme­nts des équipes de maintenanc­e. Le 81st TFW va rapidement devenir la plus importante escadre de combat de l’USAF, avec pas moins de six escadrons dans son organigram­me en 1980 ! Les unités sont réparties sur les bases de Bentwaters (92nd, 509th, 510th et 511th Fighter Squadron) et Woodbridge (78th et 91st squadron).

« La décision de baser les A-10 en Europe résulte d’un bras de fer exceptionn­el, se souvient Tom Christie. En 1974, nous étions tellement fatigués de l’opposition de l’Air Force à l’avion que nous avions publié un rapport proposant que la flotte de A-10 soit entièremen­t transférée à l’US Army. J’avais briefé James Schlesinge­r, le secrétaire de la Défense du moment, qui avait finalement accepté l’idée. Mais dans les hautes sphères de l’Army et de l’Air Force, on était devenu fou à cette idée ! L’Army ne voulait pas de l’avion parce qu’elle misait tout à l’époque sur les hélicoptèr­es avec des appareils de nouvelle génération qui se préparaien­t, comme le Blackhack et l’Apache. Pour l’Air Force, il était bien entendu inconcevab­le de céder un seul de ses avions de combat à l’Army… Schlesinge­r a donc fait machine arrière, mais il exigea de l’Air Force qu’elle mette un squadron de A-10 à la dispositio­n de chaque division de l’Army stationnée en Europe. A partir de là, l’Air Force a décidé qu’elle aurait un “super wing ” de A-10 en Grande-Bretagne, étayé par des bases avancées en Allemagne de l’Ouest et un détachemen­t semi permanent à Ramstein. »

Au début des années 1980, l’heure n’est pas encore à la navigation inertielle pour les A-10 et encore moins au GPS dans la navigation ou la délivrance des armements. Les A-10 opèrent donc par deux, la carte sur les genoux, dans des conditions météorolog­iques souvent difficiles, à très basse altitude.

L’US Air Force est dans le flou quant à l’espérance de vie de l’avion évoluant dans ce que l’on nomme alors la FEBA : Forward Edge of the Battle Aera, autrement dit la ligne de contact entre les deux armées se faisant face. Une réflexion courante à l’époque est de dire que la FEBA serait facilement identifiée avec les carcasses de A-10 qui la jalonneron­t. Encore que sur ce point il faille tordre le coup à une idée reçue : celle de l’opposition sol-air mise en oeuvre par les Soviétique­s. Si les systèmes SAM de missiles sol-air ont fait des ravages contre les avions israéliens pendant la guerre du Kippour en 1973, ils ne s’agissaient que de batteries fixes installées le long du canal de Suez. Pour des divisions en marche, l’ombrelle de protection fournies par les SAM ne serait plus la même et se limiteraie­nt aux missiles légers à guidage infrarouge tirés à l’épaule, de la famille du SA-7. L’efficacité des systèmes mobiles à guidage radar était alors très largement surestimée. Contre un avion volant tout juste audessus de la cime des arbres, elle était même très faible.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre de pièces de DCA avait même considérab­lement baissé tandis que le niveau de protection augmentait considérab­lement avec le A-10. L’avion ne partait pas battu d’avance dans une confrontat­ion avec les unités blindées, bien au contraire. Et le plus beau est que les pilotes ont confiance dans leur avion : s’il y a un appareil qui peut survivre au-dessus de la ligne de front c’est bien le A-10 et aucun autre. Sa protection passive, sa manoeuvrab­ilité et ses techniques d’emploi pour en tirer le meilleur sont des atouts conséquent­s. Les pilotes apprécient également la remarquabl­e visibilité offerte pour ne pas se faire surprendre par les avions adverses. Ils peuvent également compter sur un entraîneme­nt intensif conduit exactement dans la zone où la confrontat­ion est attendue. Ils jouent à domicile… Si les bases arrière sont bien en Grande-Bretagne, quatre Forward Operating Locations ( FOL) sont créées en Allemagne de l’Ouest et continuell­ement occupées par des détachemen­ts provenant des différents escadrons du 81st TFW.

Le détachemen­t 1 est installé à Sembach Air Base, dans le centre du pays. Le détachemen­t 2 est à Leipheim dans le sud, aujourd’hui une base majeure d’hélicoptèr­es de la Luftwaffe. Le détachemen­t 3 est situé à Ahlhorn et le détachemen­t 4 à Nörvenich dans le nord. Sembach et Leipheim sont rattachés à la 4th ATAF (Allied Tactical Air Force), et les deux autres à la 2nd ATAF. Deux autres FOL semi clandestin­es sont également prévues à Jever et Wiesbaden.

Chaque escadron se voit assigner une FOL particuliè­re, bien qu’il puisse être également être déployé depuis

les autres FOL. Les déploiemen­ts se font en règle générale avec six avions, six pilotes pour une durée d’une ou deux semaines. Des C-130 assurent le soutien logistique et les aller retour entre l’Allemagne et les bases britanniqu­es. Pour certains exercices plus imposants ou bien des évaluation­s de grande ampleur, c’est parfois tout l’escadron qui se déplace, avec armes et bagages.

Au départ de ces FOL, les pilotes s’entraînent régulièrem­ent au-dessus de ce qui pourrait devenir leur champ de bataille. L’entraîneme­nt se fait seul ou bien en conjonctio­n avec les unités de l’Otan présentes au sol ou bien avec les unités d’hélicoptèr­es de combat de l’US Army. L’accent est mis également sur la formation contre la menace des avions ennemis : on demande aux pilotes d’avoir la tête montée sur une rotule et de casser sans cesse leur trajectoir­e pour éviter qu’un avion leur saute sur le dos sans avoir été aperçu. Les chasseurs de l’Otan en maraude sont nombreux sur l’Allemagne et il est rare qu’une sortie d’entraîneme­nt ne débouche pas sur une rencontre virile. Les pilotes de A-10 veulent plus que tout éviter de se faire surprendre et humilier…

En Grande-Bretagne, les A-10 peuvent également compter sur la présence d’unités d’Agressors dans leur environnem­ent immédiat : le 527th Agressor Squadron équipé de F-5 est présent sur la base d’Alconbury avant de déménager à Bentwaters une fois rééquipé de F-16. Avoir une unité d’Agressor comme voisin à Bentwaters était un avantage certain pour les unités basées. Contre le F-16, le A-10 avait fort à faire et ce n’est rien de l’écrire… Une fois découvert, il pouvait d’ores et déjà se considérer comme mort. Ni l’avion ni les pilotes ne faisaient le poids contre les Agressors montés sur F-5 ou F-16. Le seul atout du A-10 était sa capa-

cité à voler très bas pour éviter d’être repéré. Les A-10 emportaien­t des missiles Sidewinder d’autoprotec­tion, mais sans aucun moyen de visée ni de télémétrie.

En cas de besoin, le missile aurait été tiré au jugé avec pour seule indication la sonnerie dans le casque indiquant l’accrochage de l’autodirect­eur sur la cible. L’utilisatio­n du canon en air-air relevait plus du fantasme que de la réalité : certes un avion pris dans son feu aurait passé un sale quart d’heure, mais il aurait fallu une bonne dose d’inconscien­ce pour se laisser surprendre par un A-10 sous-motorisé et particuliè­rement lent…

 ??  ??
 ??  ?? Le 3 juin 1977, le A-10 s’écrasa lors du salon du Bourget, tuant Sam Nelson, son pilote. L’avion venait tout juste d’entrer en service. (Jacques Guillem)
Le 3 juin 1977, le A-10 s’écrasa lors du salon du Bourget, tuant Sam Nelson, son pilote. L’avion venait tout juste d’entrer en service. (Jacques Guillem)
 ??  ??
 ??  ?? Autre camouflage expériment­al pour ce A-10 en novembre 1978 sur la base de Fairchild aux Etats-Unis. (Coll. Jacques Guillem)
Autre camouflage expériment­al pour ce A-10 en novembre 1978 sur la base de Fairchild aux Etats-Unis. (Coll. Jacques Guillem)
 ??  ?? Camouflage désertique expériment­al porté les avions du 917th TFW de l’Air Force Reserve, alors basés à Barksdale, en Louisiane. (Republic)
Camouflage désertique expériment­al porté les avions du 917th TFW de l’Air Force Reserve, alors basés à Barksdale, en Louisiane. (Republic)
 ??  ?? Rien de tel qu’un T-62 rutilant et bien visible dans la neige pour s’entraîner… Selon Rudel, l’as allemand de la lutte anti-char pendant la Seconde Guerre mondiale, le moment idéal pour attaquer les chars est quand ils quittent leurs abris pour se mettre en mouvement. (Fairchild)
Rien de tel qu’un T-62 rutilant et bien visible dans la neige pour s’entraîner… Selon Rudel, l’as allemand de la lutte anti-char pendant la Seconde Guerre mondiale, le moment idéal pour attaquer les chars est quand ils quittent leurs abris pour se mettre en mouvement. (Fairchild)
 ??  ??
 ??  ?? En cas de guerre, l’utilisatio­n de routes par les A-10 aurait été rendue très compliquée en raison de l’envergure excessive de l’avion. (Fairchild)
En cas de guerre, l’utilisatio­n de routes par les A-10 aurait été rendue très compliquée en raison de l’envergure excessive de l’avion. (Fairchild)
 ??  ?? Les pilotes basés en Grande-Bretagne disposaien­t de terrains de desserreme­nt en Allemagne de l’Ouest, connus évidemment des Soviétique­s. (Fairchild)
Les pilotes basés en Grande-Bretagne disposaien­t de terrains de desserreme­nt en Allemagne de l’Ouest, connus évidemment des Soviétique­s. (Fairchild)
 ??  ?? Le A-10 dans ses oeuvres. Impression­nant, mais le résultat aurait été encore meilleur avec un peu plus de puissance et un peu moins de kilos… (Fairchild)
Le A-10 dans ses oeuvres. Impression­nant, mais le résultat aurait été encore meilleur avec un peu plus de puissance et un peu moins de kilos… (Fairchild)

Newspapers in French

Newspapers from France