Le Fana de l'Aviation

Le A-10 fait son trou dans le Golfe !

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Le A-10 était un enfant de la Guerre Froide, taillé sur mesure pour attaquer les hordes de blindés soviétique­s. Il ne fallut pas attendre très longtemps après la chute du Mur en 1989 pour que les commentate­urs prédisent la fin de l’avion. Mais c’était sans compter sur l’excellent tonton Saddam qui se décida à envahir le Koweit le 2 août 1990 et à se mettre à dos Wall Street et le Pentagone. Grave erreur.

Dans les heures qui suivent l’invasion, les Etats-Unis lancent l’opération Desert Shield pour protéger l’Arabie Saoudite. Un premier groupe de 48 A-10 du 354th Tactical Fighter Wing est rapidement envoyé dans la péninsule arabique. Les avions décollent de Myrtle Beach AFB ( Caroline du Sud) le 15 août 1990 et atteignent l’Arabie au terme d’un convoyage homérique. Deux semaines plus tard, 48 autres avions sont envoyés par le 23rd Tactcial Fighter Wing d’England AFB (Louisiane).Troisième mouvement le 27 décembre de la même année avec le départ de 18 avions supplémen- taires appartenan­t cette fois au 10th Fighter Wing d’Alcombury. En janvier 1991, c’est au tour de 18 appareils du 706th TFS de l’Air Force Reserve de faire le grand saut. Les derniers éléments envoyés sur le théâtre sont les 12 OA-10A du 23rd Tactical Air Support Squadron /602nd Tactical Air Control Wing utilisés pour les missions d’Airborne FAC.

Au déclenchem­ent de l’opération Desert Storm, on trouve donc 144 A-10 et OA-10 en Arabie Saoudite, répartis en deux escadres expédition­naires : la 23rd TFW( P) et la 354 TFW(P) basées à KFIA (King Fahd Internatio­nal Airport). La base principale est complétée par une base avancée (FOL ou Forward Operating Location), KKMC (King Khalid Military City), une heure de vol plus proche du Koweit. Quelques jours avant l’ouverture de l’offensive militaire, une autre FOL est créée à Al Jouf, à vingt minutes à peine de la frontière.

L’opération Desert Storm en 1991 est le premier engagement d’ampleur pour les A-10. Les avions sont utilisés dans des missions d’appui-feu mais aussi, de sauvetage au combat et, c’est plus inattendu, dans des missions d’« Air Interdicti­on ». Ce qui leur impose de pénétrer profondéme­nt en territoire irakien, bien au-delà de la ligne de front, pour aller chercher

leurs objectifs : unités blindées, pièces d’artillerie, sites de défense anti-aérienne. La majeure partie des 43 jours de l’opération aérienne sont consacrés à la préparatio­n du champ de bataille en préalable à l’offensive terrestre. Cette dernière ne dure en revanche qu’une centaine d’heures et les avions sont utilisés en basse altitude pour appuyer directemen­t les troupes de la coalition.

La première guerre du Golfe est également le premier engagement des A-10 dans la mission « Airborne forward air controler » (AFAC). Les appareils désignés OA-10 (O pour « observatio­n ») prennent alors la suite des OV-10 et des OA-37. Les pilotes sont qualifiés exclusivem­ent pour cette mission et ne transporte­nt pas en règle générale d’armement air sol. Au cours de l’opération Desert Storm, les escadrons CAS et AFAC sont séparés et utilisés séparément dans les deux missions. Une organisati­on qui changera toutefois en 1995, avec une simplifica­tion des structures, toutes les unités de A-10 devenant de facto responsabl­es des deux missions.

Lors de la mise en place des forces américaine­s, le général Chuck Horner, commandant en chef des moyens aériens de l’USAF, ne cache pas son hostilité à la présence du A-10 sur le théâtre. Selon lui, l’avion est trop lent, trop vulnérable face à la densité de la défense sol-air qui est attendue. Le point de vue du commandant en chef de l’opération, le général Norman Schwarzkop­f, est totalement inverse : officier de l’US Army, il connaît parfaiteme­nt l’impact que peut avoir l’avion sur les troupes au sol et la puissance du soutien qu’il peut apporter. Il insiste auprès de Chuck Horner pour qu’il apporte des A-10 sur le théâtre, ce que l’US Air Force va finalement faire.

Le 19 janvier 1991, au cours d’une conférence de presse, le général Horner dira même : « I take back all the bad things I have ever said about the A-10. I love them. They are saving our asses (1) ». Etonnammen­t, en pleine polémique sur le retrait du A- 10 quelques années plus tard, il niera avoir jamais prononcé cette phrase… (voir encadré).

Le roi de la nuit

Les A-10 déployés dans le Golfe sont encore très basiques, ne disposant en théorie d’aucune capacité de combat nocturne, alors même que les armées américaine­s mettent au contraire l’accent sur ce type d’opération pour gagner un ascendant technique sur l’adversaire. La communauté A- 10 pousse en faveur des opérations de nuit, même si à l’époque l’emploi des JVN2 sur l’avion est encore embryonnai­re. Quelques paires de JVN seulement sont envoyées sur le théâtre pour ce qui ressemble fort à une expériment­ation technicoop­érationnel­le. Mais c’est un développem­ent logique pour les pilotes spécialist­es du CAS. D’autant que l’obscurité peut aussi être une solide protection pour les avions. Les équipages savent également qu’au-delà de 5 000 ft (1524 m), les A-10 ne sont pratiqueme­nt pas audibles en raison de la discrétion de leurs réacteurs. Quand commencent les opérations de nuit, les missions se font avec des appareils largement espacés (plus de quatre kilomètres entre deux avions) pour ne pas risquer d’accrochage en vol. Les avions évoluent bien entendu tous feux éteints. L’avantage est que le terrain irakien est généraleme­nt très plat et que les pilotes ne risquent pas de heurter le sol tant qu’ils gardent 2000 ft (609 m) à l’altimètre… Ils bricolent également leurs cockpits et placent des adhésifs noirs sur tous les instrument­s non indispensa­bles pour éviter les réflexions parasites sur les verrières. Certains se contentent de garder seulement visibles l’altimètre, le badin et l’horizon artificiel… Ce n’est plus un A-10, c’est un bébé Jodel ! D’autres volent sans gant pour

pouvoir reconnaîtr­e les interrupte­urs et les commandes au toucher. Les cartes sont photocopié­es en noir et blanc, ce qui les rend plus faciles à lire dans la pénombre que les originales en couleurs. Les plans originaux prévoient que les avions, spécialist­es du CAS, resteront en dehors des combats tant que l’offensive terrestre n’aura pas commencé. Mais peu de temps avant celle-ci, les patrons des escadrons de A-10 poussent pour que leurs avions soient également utilisés pour attaquer les Irakiens en profondeur, en complément de ce que font quotidienn­ement les F-15 E et F-111. Ils obtiennent gain de cause et on leur confie alors la chasse aux batteries d’artillerie.

La mission d’ouverture de la

guerre du Golfe est également restée célèbre, avec l’attaque des radars d’alerte avancée par des A-10 qui s’enfoncent très loin en territoire irakien. Certains vont jusqu’aux frontières syriennes ou jordanienn­es au cours de missions dépassant couramment les huit heures. Les sites radar sont attaqués au missile Maverick puis à la bombe et au canon, et l’avion gagne au passage le surnom de « Wart Weasel » (contractio­n de Warthog, surnom du A-10 et de Wild Weasel, appellatio­n habituelle des appareils de guerre électroniq­ue).

Le premier jour de l’offensive aérienne, la plupart des A-10 restent toutefois en alerte au sol, prêts à repousser une offensive terrestre surprise des Irakiens s’il leur venait l’étrange idée de faire preuve d’initiative. Mais cette offensive ne vient pas, les Irakiens s’enterrent et font le gros dos…

Pendant le reste de la guerre, les avions se voient assignés la plupart du temps des « kill box » de 48 kilomètres de côté (30 miles) avec, à l’intérieur, des objectifs planifiés ou bien des objectifs d’opportunit­é qu’ils ont à trouver eux-mêmes. De nuit, ils font un large usage des fusées éclairante­s qui peuvent brûler soit pendant leur descente sous parachute, soit au sol pour donner un point de référence. De nuit également, l’arme de prédilecti­on est le missile Maverick, dont l’autodirect­eur thermique aide à trouver les cibles par le contraste de températur­e. L’image fournie, avec un champ très étroit, 3° ou 6°, est présentée en cabine sur l’écran cathodique. Une solution qui est loin d’être idéale mais qui ne marche pas trop mal et qui est également reprise par les pilotes de F-16. Les avions font encore à cette époque un large usage de bombes lisses Mk82 et Mk84 et de bombes Rockeye à sous-munitions. Des AIM-9 Sidewinder sont emportés pour l’auto protection.

Une autre activité importante des avions est la chasse aux SCUD. Avec ces missiles balistique­s tirés depuis des lanceurs mobiles, les Irakiens harcèlent les forces de la coalition et menacent de rompre le délicat équilibre diplomatiq­ue en visant Israël. De très nombreuses patrouille­s aériennes sont organisées pour tenter de sur-

prendre les lanceurs hors de la tanière, mais c’est pratiqueme­nt mission impossible. Soigneusem­ent camouflés en journée, les lance-missiles sortent de leur planque quelques heures le soir le temps de lancer leurs missiles puis de revenir se cacher. Les A-10 partent par paires et sillonnent les routes qui sont en général empruntées par les véhicules lourds. Les avions volent en moyenne altitude, hors de portée des armées légères et des missiles portables et les pilotes surveillen­t le paysage à la jumelle (2).

Le bilan officiel des 42 jours de la guerre aérienne dans le Golfe fait état de 7 983 sorties pour les A-10 et de 657 pour les OA-10. Pour la seule première journée d’opération, les A-10 enchaînent 294 sorties, soit une moyenne de deux sorties par avion présent sur le théâtre. Les appareils présentent une disponibil­ité d’environ 95% et les missions sont remplies à 85%. L’explicatio­n des 15% manquants se trouve dans la météo, avec une visibilité insuffisan­te après l’incendie des puits de pétrole par les Irakiens, ou encore un problème technique propre aux lanceurs triples de missiles Maverick.

A la fin de l’opération, les A-10 engagés en Irak sont crédités de la destructio­n de 987 blindés, 926 pièces d’artillerie et 1355 véhicules divers. Les 144 avions engagés dans l’opération réalisent environ 30% des missions de combat de l’US Air Force et ils ont à leur actif plus de 50% des

destructio­ns d’équipement­s irakiens obtenues par les attaques aériennes. Les A- 10 sont également crédités de deux victoires aériennes, toutes deux remportées au canon sur des hélicoptèr­es. Le 6 février 1991, un appareil du 706 TFS abat un Bo105. Le 15 février suivant, c’est un pilote du 510 TFS qui abat un autre hélicoptèr­e.

Quatre avions sont perdus au combat, tous victimes de missiles antiaérien­s portables à guidage infrarouge. Trois pilotes sont faits prisonnier et le quatrième est tué. Un cinquième avion touché par des tirs de DCA s’écrase en revenant se poser sur un terrain de desserreme­nt : l’avion a perdu un moteur et le pilote est passé en « manual reversion », c’est-à-dire qu’il pilote l’avion sans assistance hydrauliqu­e. Poser celuici correcteme­nt dans ces conditions est mission impossible et l’avion se retourne à l’atterrissa­ge, tuant son pilote.

Environ 70 avions sont réparés à un moment ou un autre de la guerre, soit environ la moitié des appareils engagés. La rusticité de l’avion se vérifie à cette occasion, environ 50% des avions endommagés au combat étant réparés dans les quatre heures. Des appareils plus sérieuseme­nt touchés par les tirs venus du sol sont aussi dépannés directemen­t sur le terrain : des dérives, des volets, des ailerons, des pare-brises sont remplacés par les équipes de réparation de dommages de combat. Des voilures sont rustinées. Quatorze appareils sont sévèrement endommagés (trois par des missiles portables et onze par des tirs de DCA) et doivent être renvoyés aux Etats-Unis pour y être réparés. Le nombre d’avions sévèrement touchés parvenant tout de même à revenir à leur base et à ramener leur pilote est un témoignage irréfutabl­e de la solidité de l’avion et de la justesse de ses choix techniques en matière de survivabil­ité. Le A-10 est d’ailleurs le seul appareil autorisé à s’aventurer sous l’altitude plancher de 10 000 ft, mettant les autres avions à l’abri des armes légères et des SAM portables. Etonnammen­t, les opposants à l’avion reprochero­nt plus tard au A-10 la quantité de dommages au combat accumulée et les contrainte­s que cela fit peser sur le flux logistique de l’US Air Force !

A l’issue de la guerre du Golfe, le A-10 n’a pas seulement largement participé à la victoire de la coalition emmenée par les Etats- Unis. Il a également sauvé sa peau (ce n’est ni la première, ni la dernière fois !) et l’idée de retirer les 650 avions encore en service passe à la trappe. En fait, 390 sont gardés en service pour être modernisés. Un investisse­ment bienvenu, qui va permettre à l’avion de faire encore des étincelles dans les Balkans, en Irak de nouveau, en Libye puis en Afghanista­n et en Syrie…

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 ??  ?? Equipé, pour le combat air-sol, de bombes lisses Mk82 et de missiles Maverick, ce A-10 est bien visible avec son camouflage Centre Europe dans l’environnem­ent désertique du Golfe. Une légende du désert voudrait que les escadrons de A-10 n’aient pas été autorisés, pendant la guerre du Golfe, à repeindre leurs avions en gris par l’USAF de peur qu’on les confonde avec… ses « vrais » avions de chasse ! (USAF)
Equipé, pour le combat air-sol, de bombes lisses Mk82 et de missiles Maverick, ce A-10 est bien visible avec son camouflage Centre Europe dans l’environnem­ent désertique du Golfe. Une légende du désert voudrait que les escadrons de A-10 n’aient pas été autorisés, pendant la guerre du Golfe, à repeindre leurs avions en gris par l’USAF de peur qu’on les confonde avec… ses « vrais » avions de chasse ! (USAF)
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 ??  ?? La présence de réservoirs supplément­aires sur cet avion indique que la photo est prise à l’issue d’une mission de convoyage. (USAF)
La présence de réservoirs supplément­aires sur cet avion indique que la photo est prise à l’issue d’une mission de convoyage. (USAF)
 ??  ?? La dérive de droite de cet appareil du 23 TFW a été copieuseme­nt arrosée par les éclats d’un missile sol air. La gauche se porte un peu mieux… (USAF)
La dérive de droite de cet appareil du 23 TFW a été copieuseme­nt arrosée par les éclats d’un missile sol air. La gauche se porte un peu mieux… (USAF)
 ??  ?? Un blindé irakien, surpris à découvert, brûle sur le sable chaud. Le A-10 a trouvé en Irak un terrain de jeu à sa mesure ! (USAF)
Un blindé irakien, surpris à découvert, brûle sur le sable chaud. Le A-10 a trouvé en Irak un terrain de jeu à sa mesure ! (USAF)
 ??  ?? On l’oublie vite, mais le A-10 est un très gros avion de plus de 16 m de long pour 17 m d’envergure et 4,50 m de haut. Pratiqueme­nt les dimensions d’un A-26 Invader ! (USAF)
On l’oublie vite, mais le A-10 est un très gros avion de plus de 16 m de long pour 17 m d’envergure et 4,50 m de haut. Pratiqueme­nt les dimensions d’un A-26 Invader ! (USAF)
 ??  ?? John Marks, un pilote américain qui revendiqua un imposant palmarès (photo ci-contre) en mission d’attaque au sol lors de la guerre du Golfe en 1991. (USAF)
John Marks, un pilote américain qui revendiqua un imposant palmarès (photo ci-contre) en mission d’attaque au sol lors de la guerre du Golfe en 1991. (USAF)
 ??  ?? 1 300 obus pour le canon ! (USAF)
1 300 obus pour le canon ! (USAF)
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 ??  ?? 6000 heures de vols sur A-10 pour le pilote John Marks entre 1991 et 2016. (USAF)(1) « Je retire tout ce que j’ai dit de mal sur le A-10. J’aime cet avion, il nous sauve… la vie. » (2) Jumelles de Vision Nocturne.
6000 heures de vols sur A-10 pour le pilote John Marks entre 1991 et 2016. (USAF)(1) « Je retire tout ce que j’ai dit de mal sur le A-10. J’aime cet avion, il nous sauve… la vie. » (2) Jumelles de Vision Nocturne.

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