2007 : le A-10C entre en scène
Le A-10 monte une fois de plus au front après 2007, et cette fois dans sa version modernisée « A-10C ». Ce qui n’empêche pas l’USAF de toujours vouloir tuer l’avion en réduisant inexorablement le nombre d’escadrons et en traînant des pieds pour la rénovat
Les premiers appareils dotés de la modernisation « Precision engagement » se déploient en Irak en 2007 dans le cadre de l’opération Iraki Freedom avec le 104th FS de la garde nationale du Maryland. Les systèmes de communication et les équipements de visée de cette version modernisée du A- 10, capable notamment de mettre en oeuvre des bombes et des roquettes guidées, améliorent considérablement les temps de réaction de l’avion dans l’acquisition et l’at-
taque des objectifs. Très rapidement, les avions sont également déployés en Afghanistan pour l’opération Enduring Freedom. Entre 2009 et 2012, les A-10C réalisent environ 20% de l’activité chasse sur ces théâtres, accumulant entre 27 800 et 34 500 sorties par an. C’est beaucoup plus que les F-15 E mais moins que les F-16 (beaucoup plus nombreux), qui effectuent 33% des sorties. En mars 2011, petit intermède dans les missions en Asie Centrale. Six appareils participent à l’opération Odyssey Dawn en Libye. Et, à partir d’octobre 2014, l’USAF annonce qu’elle va engager 12 des 21 escadrons de A-10 dans l’opération Inherent Resolve contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie. C’est le grand retour sur scène de la brute épaisse !
A partir de la mi- novembre, les avions sont sollicités quotidiennement contre des objectifs en centre Irak et dans le nord-ouest du pays. Ironie de l’histoire, leur travail consiste essentiellement à détruire des matériels « proudly made in Ame- rica » (1), livrés aux Irakiens et tombés entre les mains de l’Etat islamique au cours de son offensive éclair et de la débandade de l’armée irakienne.
Au début des missions, les avions sont installés sur la base aérienne d’Al Jaber au Koweit et sont engagés quotidiennement dans des opérations marathons de sept à dix heures de long ! Il s’agit principalement de missions CAS mais il leur arrive également d’être engagés contre des objectifs prioritaires « time sensitive » ou ordonnées par le CAOC (2) sur la foi d’informations fraîchement recueillies.
Au cours de certains engagements intenses, les JTAC (Joint Terminal Attack Controller, les spécialistes du contrôle aérien) au sol ne pouvant faire face à la demande et aux flux d’avions, les pilotes de A-10 endossent également de manière informelle le rôle d’airborne FAC. Les appareils participent aussi à des alertes CSAR en vol, notamment dans le cas de raids massifs engagés par les alliés : les A-10 évoluent en arrière des assaillants et se tiennent prêts à intervenir en cas d’éjection. Une seule mission réelle est déclenchée, le 24 décembre 2014, lorsqu’un pilote jordanien s’éjecte de son F-16. L’homme, qui ne pourra pas être récupéré, sera finalement capturé et exécuté par l’Etat islamique.
Entre Irak et Afghanistan, le coeur du A-10C balance
Les A-10 font face à plusieurs tirs de missiles sol-air portables mais sans perte. Le 15 novembre 2015, des A-10 appuyés par des AC-130 sont envoyés contre un dépôt de camionsciternes, portant ainsi un coup sévère aux capacités de trafic et de financement de l’Etat islamique. Plus d’une centaine de camions sont détruits au cours de cette opération qui a pris le nom de Tidal Vawe II. Une référence directe à la Seconde Guerre mondiale et à la première opération Tidal Vawe dirigée contre les bases aériennes allemandes. Pendant ce temps, les opérations se poursuivent en Afghanistan jusqu’en 2015, date à laquelle les A- 10 quittent le pays. Le 19 janvier 2018, après une interruption de trois ans, douze appareils du 303rd Expeditionary Fighter Squadron sont envoyés à Kandahar, dans le sud du pays.
Le A-10 remonte en selle et l’idée un temps caressée par le Pentagone de retirer définitivement l’avion du service en 2019 est à présent caduque.
Il reste aujourd’hui un peu plus de 200 avions en état de vol, dont
environ 150 « combat coded » (3) répartis au sein de neuf escadrons (cinq unités de réservistes et quatre de l’Active). Modernisé et porté au standard A-10C, l’avion est un fringant quadragénaire doté d’une nouvelle avionique et de voilures neuves, qui pourraient lui permettre de continuer à batailler jusqu’en 2030… au moins. Mais l’US Air Force ne l’entend pas de cette oreille et n’a eu de cesse de vouloir retirer l’avion du service pour faire place nette au F-35. Chaque année, elle revient à la charge et chaque année elle se heurte au Congrès, animé par une poignée d’élus, qui lui impose de garder l’avion. Une résistance législative qui n’était pas prévue dans le cahier des charges du AX, mais qui est une conséquence directe des résultats exceptionnels obtenus par l’avion sur le ter- rain… Ce bras de fer entre supporters et opposants au A-10 a pris une tournure surréaliste en février 2015 lorsque le général James Post, numéro 2 de l’Air Combat Command, s’est retrouvé à huis clos face à ses commandants d’unité pour les sermonner, en leur tenant notamment le discours suivant : « (…) Si quiconque m’accuse d’avoir dit ce que je vais vous dire, je le nierai (…). Quiconque parlera aux membres du Congrès des capacités et des succès du A-10 sera coupable de trahison. »
Dire du bien du A-10, c’est trahir !
Le mot est extraordinairement fort, il est d’ailleurs enregistré par quelques-uns des officiers présents, outrés par le chantage insupportable qui leur est fait. Informer les élus chargés de la politique du pays fait d’ailleurs partie des prérogatives des officiers supérieurs. Les menaces du général Post sont rendues publiques sur un blog de défense et l’homme sera sanctionné pour la forme : il changera de commandement…
Le général Goldfein, qui devient chef d’état-major de l’USAF en juillet 2016, continue le travail de sape de ses successeurs mais de manière plus subtile. Il continue de dire que le A-10 est merveilleux ce qui ne l’empêche pas d’évoquer un plan de retrait définitif de l’avion pour 2021.
Il évoque alors une économie de quatre milliards de dollars sur cinq ans qui pourrait être apportée par la mise à la retraite anticipée de l’avion. Puis il met en avant un autre argument : le personnel technique rendu libre par l’abandon du A-10 pourrait être affecté à la montée en puissance du F-35.
Pilote de A-10, une voie de garage
« Tous les chefs d’état-major successifs expliquent avec des trémolos dans la voix que l’avion est merveilleux, qu’ils ont volé dessus quand ils étaient jeunes pilotes, explique un officier de la garde nationale. Mais ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils n’ont fait qu’un tour d’un ou deux ans à son bord, comme beaucoup d’autres pilotes. Puis ils sont partis faire autre chose très vite. Car, pour progresser dans la hiérarchie de l’Air Force, il faut faire de l’avion pointu et celui qui passe trop de temps sur A-10 est certain de ne pas avancer… »
Entretemps s’est également engagé un bras de fer sur la rénovation des voilures de l’avion : les A-10 engagés dans les opérations extérieures volent six fois plus qu’en temps de paix, ce qui entraîne une consommation très rapide du potentiel des voilures. En mars 2016, l’Air Force contractualise Boeing pour fabriquer de nouvelles ailes, qui pourraient amener l’avion au-delà de 2030. Le contrat est de deux milliards de dollars pour 242 voilures, avec un premier lot pour 173. De quoi équiper a priori six escadrons. Boeing fait son travail, mais décide ensuite de jeter l’éponge et de ne pas soumissionner pour un deuxième lot : le contrat ne serait pas assez rentable et les prix fixes négociés ne lui permettraient pas de s’y retrouver. Et une centaine d’avions restent le bec dans l’eau. Pour l’Air Force, prolonger la vie du A-10 n’est pas vraiment une priorité et le contrat tombe en déshérence, ce qui oblige à reprendre aujourd’hui tout le processus : lancer un appel d’offres, sélectionner un vainqueur, rétablir une ligne de production. Boeing resterait a priori sur les rangs avec son savoir-faire et les outillages, mais il va falloir renégocier les conditions…
Bras de fer avec le Congrès
Depuis 2013, c’est le Congrès (c’est-à-dire le pouvoir politique) qui a obligé l’US Air Force à garder le A-10 dans son inventaire. Et c’est de nouveau le Congrès qui, début 2018, impose à l’Air Force un budget de 103 millions de dollars pour relancer la fabrication des nouvelles voilures. On évoque à présent la possibilité de contractualiser la fabrication de 112 voilures supplémentaires à partir de mars 2019 et sur une période de sept ans. Malgré les assurances de l’Air Force, certains analystes assurent toutefois que la fabrication des nouvelles voilures ne se fera jamais et que l’Air Force jouera constamment la montre en faisant le dos rond devant les injonctions du Congrès… ■