Le Fana de l'Aviation

Premier vol fatal

Northrop MX-324, MX-334 et XP-79B

- Par Alain Pelletier

Les Américains se lancent dans les chasseurs à réaction avec un très ambitieux programme aux formes futuristes.

Ala fin des années 1930, Northrop Aircraft Inc. avait orienté ses activités vers une famille d’avions de type aile volante dont le premier représenta­nt avait été la “Jeep volante”, ou plus exactement l’aile volante N-1M qui avait fait son premier vol le 3 juillet 1941. Ce premier essai avait été suivi de la petite série des N-9M qui servirent de maquettes volantes probatoire­s dans le cadre du programme de bombardier stratégiqu­e XB-35. Dans le même temps, les US Army Air Forces avaient apporté leur soutien au développem­ent de différente­s formes de dispositif­s à réaction d’assistance au décollage. Ce fut à cette époque que John Knudsen “Jack” Northrop rencontra le professeur Theodor von Kármán afin de l’associer à un projet insensé, celui de concevoir une aile volante supersoniq­ue d’une douzaine de mètres d’envergure, propulsée par un moteur-fusée, armée de quatre mitrailleu­ses lourdes, et capable d’intercepte­r les bombardier­s allemands au- dessus de Londres (sic). Le professeur Theodor von Kármán, directeur du laboratoir­e d’aéronautiq­ue Guggenheim du Galcit (1) depuis 1930, entouré d’un petit groupe d’ingénieurs, était parvenu à mettre au point et, surtout, à industrial­iser, via sa société Aerojet Engineerin­g Corporatio­n créée en 1936, des fusées d’assistance au décollage très efficaces. Le professeur fut rapidement séduit par cette idée et un groupe projet ne tarda pas à être constitué, qui prit le nom de “Project 12”. Parmi les membres de ce groupe se trouvaient quelques “pointures” comme William Sears, un très proche collaborat­eur de Jack Northrop (2), le professeur Courtland Perkins de l’Université de Princeton (3) ou encore Martin Summerfiel­d, un ancien et brillant membre de l’équipe du projet “Jato” (4).

La stabilité au coeur du projet

L’un des problèmes les plus délicats à surmonter était celui de la stabilité sur les trois axes de cet avion dépourvu d’empennage, compte tenu des vitesses espérées et des fortes accélérati­ons auxquelles l’engin ne manquerait pas d’être

soumis. Pour y remédier, Perkins proposa d’installer une dérive, mais Northrop et Sears s’opposèrent vigoureuse­ment à l’installati­on d’une telle excroissan­ce. Au terme de bien des discussion­s, une demi-mesure fut adoptée, qui sembla satisfaire tout le monde. On installera­it une dérive en contreplaq­ué, dépourvue de gouvernail, dont on pourrait retrancher à la scie une plus ou moins grande partie au fur et à mesure de l’ouverture du domaine de vol. Northrop espérait bien ainsi revenir à la configurat­ion initiale. Quant au pilote, il était prévu qu’il soit installé à plat ventre, ou presque, dans l’épaisseur de l’aile, afin de pouvoir supporter d’importants facteurs de charge.

Les témoignage­s divergent sur la genèse de ce projet. Selon les uns, Jack Northrop aurait été approché par les services de recherche de l’Army Air Forces de Wright Field pour concevoir un intercepte­ur basé sur ce que les ingénieurs militaires croyaient savoir sur les ailes volantes allemandes. Pour les autres, ce serait Jack Northrop qui, de son propre chef, aurait fait une série de propositio­ns, démarche qui aurait abouti à la signature du contrat de recherche MX-322.

À la mi-septembre 1942, après avoir connu bien des déboires, le président de Northrop Aircraft Inc. se trouva donc en mesure de présenter au commandeme­nt des services techniques (Air Technical Service Command ou ATSC) l’avant-projet d’un nouvel intercepte­ur propulsé par un moteur-fusée ( Jet- Driven Intercepto­r, pour reprendre les propres mots de John Northrop). Le concept était celui d’un avion dont le poste de pilotage se trouvait réduit à sa plus simple expression, c’est-à-dire à l’espace disponible à l’intérieur d’une structure faite de tubes d’acier au chrome molybdène. Avec ce nouveau projet, Northrop espérait bien faire valider la pertinence de sa démarche, sur une grande échelle cette fois. Ce projet incorporai­t à la fois les derniers développem­ents réalisés par son entreprise et ceux du Galcit et d’Aerojet. À la base, la propositio­n de Northrop consistait en une aile volante de 12,50 m d’envergure et de 3,135 m de profondeur, à profil laminaire biconvexe symétrique et abritant totalement dans son épaisseur le poste de pilotage dans lequel le pilote était en position allongée, l’intégralit­é du carburant, un réacteur de 900 kg de poussée ainsi que l’acide nitrique et l’aniline (5) utilisées pour la propulsion.

La machine ne disposait pas de train d’atterrissa­ge au sens convention­nel du terme. Celui- ci devait se composer de deux patins rétractabl­es, munis d’amortisseu­rs hydrauliqu­es, déployés au moment du décollage et à l’atterrissa­ge. La structure devait être entièremen­t monocoque, en tôles de magnésium soudées entre elles – technologi­e récente. Il était prévu que les réservoirs soient intégraux et l’épaisseur nécessaire du revêtement devait également fournir une bonne protection contre les tirs ennemis. Quant à l’armement, il devait se composer de seulement quatre mitrailleu­ses Browning M-2 de 12,7 mm, à l’exclusion de toute autre arme.

Une architectu­re inhabituel­le

À cette époque, les énormes possibilit­és militaires qu’offrait le concept d’un intercepte­ur à très hautes performanc­es et les besoins tactiques afférents séduisiren­t les responsabl­es des US Army Air Forces et les incitèrent à déclencher la longue et très administra­tive

procédure d’acquisitio­n préalable au lancement en production d’un tel avion, qui, pour l’heure, reçut la désignatio­n officielle XP-79.

Du fait de son architectu­re pour le moins inhabituel­le, il apparut nécessaire qu’un certain nombre de données de base sur le domaine de vol soient collectées préalablem­ent à la constructi­on d’un prototype, afin que celui-ci n’enchaîne pas des vols sans suivre un programme préalablem­ent défini. À cette fin, l’ATSC décida de faire construire deux maquettes volantes en bois – en fait, un planeur et un avion –, de les essayer en vol, puis d’incorporer dans le prototype XP-79 toutes les modificati­ons qui se révéleraie­nt indispensa­bles. À l’origine, il fut prévu que ces deux maquettes soient construite­s à Wright Field par l’Engineerin­g Division de l’ATSC, mais une étude rapide révéla que les coûts seraient probableme­nt plus élevés que si ces travaux étaient confiés à l’industrie privée. Northrop fut d’accord pour se charger de la constructi­on et des essais en vol des maquettes, mais les équipes du constructe­ur d’Hawthorne n’étaient pas suffisamme­nt étoffées pour absorber le surcroît de travail qu’impliquait la conception de telles machines. En conséquenc­e, le contrat final stipula que l’ATSC assurerait la conception et qu’il transmettr­ait à Northrop les plans nécessaire­s à leur constructi­on.

Aux termes du contrat, trois planeurs expériment­aux – dont un serait équipé d’un petit réacteur – furent prévus pour mener à bien le projet. Ceux- ci devaient être construits principale­ment en bois, conforméme­nt aux plans qui seraient fournis peu à peu par l’Engineerin­g Division du Materiel Center de Wright Field. Le coût total estimé pour la constructi­on s’élevait à quelque 43 790,87 dollars, et à 149 542,50 dollars si on y ajoutait les frais de personnel et divers coûts.

Avec l’établissem­ent des documents nécessaire­s à la mise en chantier des maquettes, le projet fut administra­tivement pris en charge par la “Fighter Branch” de l’Aircraft Project Section. Avec l’Aircraft Laboratory, certains personnels des différents départemen­ts furent regroupés en une seule et même entité, et furent ainsi directemen­t dédiés au “Project 12”. Ce fut également à cette époque que le projet fut classé confidenti­el et reçut l’appellatio­n MX-334, planeur non convention­nel, afin de faciliter la correspond­ance et les dessins. Néanmoins, les échanges d’informatio­ns concernant le groupe motopropul­seur furent classés sous le code MX-324.

Le 1er novembre 1942 eut lieu le véritable coup d’envoi de la phase d’ingénierie du projet conforméme­nt à la fiche technique NS-12 établie et validée par Northrop. Cinq ingénieurs de l’Aircraft Laboratory furent détachés à plein-temps au programme, et plusieurs autres furent rendus immédiatem­ent disponible­s en tant que conseiller­s. À mesure que la conception progressai­t, il apparut évident que plusieurs ingénieurs supplément­aires allaient être nécessaire­s. À la fin du mois de novembre, deux hommes de l’Aircraft Laboratory furent envoyés

à l’usine Northrop, à Hawthorne, pour y rencontrer les aérodynami­ciens “maison” concernant les questions de contrôle et de stabilité.

Peu de temps après, le contrat fut signé pour la commande des XP-79, à savoir trois prototypes, une cellule d’essais statiques et une maquette pour les essais dans la grande souffler ie du Naca à Ames. La conception détai l lée des XP- 79 débuta dans les tout premiers jours de décembre 1942. Elle se déroula en conformité avec la fiche technique NS-14 (projet MX-365). En parallèle, Aerojet avait pour tâche de concevoir un petit moteur-fusée de 90 kgp de poussée destiné à être monté dans la troisième maquette volante, et un moteur-fusée de 900 kgp pour le XP-79. Ces travaux firent l’objet d’une commande le 12 janvier 1943, confirmée dans un contrat signé le 23 mars 1943.

Le projet se concrétise

Les premières liasses de dessins furent expédiées à Northrop au cours de la deuxième semaine de la phase d’ingénierie. D’une façon générale, il n’y eut que peu de retards à déplorer dans la fabricatio­n des trois planeurs. L’architectu­re de l’avion, au cours des trois premières semaines, montra qu’il n’était guère possible d’y aménager une structure adéquate tout en laissant suffisamme­nt d’espace au pilote qui se trouvait en position allongée. Pire, la visibilité qu’offrait cet aménagemen­t était quasi nulle. En conséquenc­e, c’est avec un certain regret que les concepteur­s durent modifier les lignes pures de leur planeur afin d’y incorporer une section centrale intégrant une verrière modifiée qui abriterait la tête du pilote et lui procurerai­t une visibilité acceptable, quoique pas idéale.

De par leur forme, les trois planeurs expériment­aux ressemblai­ent beaucoup aux ailes volantes N-9M du même constructe­ur. Structurel­lement parlant, les MX-334 étaient inhabituel­s par leur coefficien­t de résistance. Ils furent calculés avec un coefficien­t de robustesse de 18 g (en négatif comme en positif). Leur section centrale était constituée d’un entrelacs de tubes de magnésium soudés qui, en quelque sorte, constituai­t une cellule de survie pour le pilote qui s’y trouvait engoncé. Le reste de la cellule était en bois et le tout était recouvert de contreplaq­ué. La fameuse dérive, sujette à controvers­es, était une simple planche de contreplaq­ué qui n’avait même pas été profilée et dont la fixation au dos du planeur était rigidifiée par deux haubans.

En février, un représenta­nt de l’ATSC fut envoyé pour assurer la liaison avec Northrop. Peu de temps après, on découvrit qu’Aerojet avait fabriqué des réservoirs sphériques et non cylindriqu­es tels qu’on lui avait commandé. Les modificati­ons à effectuer sur la structure pour pouvoir utiliser ces réservoirs tels quels allaient être la cause d’un important retard ; cette altération eut pour conséquenc­es une nouvelle répartitio­n des masses et une modificati­on de la position du centre de gravité et, donc, imposa la nécessité de revoir l’équilibrag­e.

À la fin du mois de février, on pensait toujours que le premier exemplaire pourrait être achevé au mois d’avril… à condition que toutes les liasses soient fournies à temps par l’ATSC. Mais ce dernier n’envoya le dernier lot de dessins à Northrop que le samedi 13 mars. Dès réception de ceux-ci, Northrop recula la date d’achèvement du premier planeur au 1er mai, tandis que l’ATSC achevait la constructi­on des sous-ensembles majeurs. Et encore restait-il une multitude de détails à régler.

De la Cadillac au “Lightning”

Pendant les mois de janvier et février, l’ATSC avait par ailleurs étudié la meilleure façon de remorquer les planeurs. Le Lockheed P-38 “Lightning” avait été choisi comme étant le remorqueur le plus économique tout en ayant de bonnes performanc­es en altitude. Par chance, un P-38 déjà modifié pour le remorquage de planeurs était disponible. Par la suite, lorsque cet avion ne fut plus disponible, un autre avion fut

obtenu et modifié pour le remorquage. Pendant cette même période, des commandes pour l’entraîneme­nt au pilotage couché furent installées dans un planeur de transport Waco CG- 4A. John Myer, le chef pilote de Northrop, qui devait piloter le MX-334, vérifia cette installati­on. Toutefois, comme d’autres qui pilotèrent le MX-334, Myer n’apprit pas grand- chose avec le Waco du fait de son grand gabarit et des efforts importants qu’il fallait exercer sur les commandes.

Alors que tous les calculs d’ingénierie avaient été basés sur un coefficien­t de sécurité très important, à la masse en charge de 1 315 kg, les ingénieurs, prudents, ressentire­nt la nécessité de réaliser un essai de train d’atterrissa­ge. Pour eux, une telle prudence s’imposait car la répartitio­n des masses avait été quelque peu chamboulée par l’installati­on des réservoirs de carburant de forme différente. Le premier planeur fut calculé pour tenir sous un facteur de charge minimal de 8 g. Après avoir passé cet essai avec succès, le planeur n° 1 fut examiné afin de détecter les endroits susceptibl­es d’être à l’origine de phénomènes de flutter [flottement aéroélasti­que. NDLR]. De ce point de vue, le planeur fut jugé globalemen­t satisfaisa­nt. Néanmoins, appliquant le principe de précaution, une charnière fut ajoutée à chaque élevon. Ces essais inopinés durèrent jusqu’à la dernière semaine de mai et le planeur n’avait toujours pas volé ! Il était alors prêt à être transporté en camion jusqu’à Muroc, sur le grand lac salé asséché Rogers, en Californie, pour débuter les essais en vol. Mais c’était sans compter avec un nouveau rebondisse­ment…

Le 1er juin, Northrop reçut l’ordre de transporte­r le planeur n° 1 non pas jusqu’à Muroc, comme prévu, mais d’abord à Langley Field, en Virginie, pour y subir des essais dans la grande soufflerie du Naca. Cette décision était consécutiv­e, d’une part à l’accident survenu le 19 mai 1943 à l’un des N-9M qui était parti en vrille au cours d’un essai, d’autre part au désir d’avoir une meilleure connaissan­ce des caractéris­tiques “vicieuses” qui pourraient être inhérentes aux planeurs du projet MX-334. Ces essais en soufflerie et le transport aller-retour occupèrent

la fin du mois de juin et la première semaine de juillet.

À la suite des essais en soufflerie, les planeurs n° 2 et n° 3 furent modifiés afin de tenir compte des résultats enregistré­s. Le 25 août 1943, le planeur n° 2 reçut les modificati­ons nécessaire­s, à savoir des volets de bord d’attaque d’une envergure identique à celle des élevons et des entrées d’air agrandies pour une meilleure efficacité des volets “soufflés”.

Le planeur n° 2 devient incontrôla­ble

Afin d’éviter les frottement­s entre les patins et la surface abrasive du lac salé de Muroc, Northrop installa quatre roulettes (deux sur chaque patin) juste en arrière du centre de gravité. Le vendredi 27 août 1943, le premier remorquage du planeur n° 2 du projet MX-334 fut réalisé derrière une automobile – une Cadillac 16 cylindres s’il vous plaît – mais, le planeur marsouina (oscillatio­ns lentes en tangage) à un tel point qu’il devint incontrôla­ble. Les roulettes furent retirées et un nouvel essai tenté. Sans les roues, le marsouinag­e fut sensibleme­nt atténué, mais pas totalement éliminé. En effet, les efforts sur les patins demeurèren­t si importants que ces derniers furent complèteme­nt usés. De ce fait, le planeur dut être renvoyé en usine et son train d’atterrissa­ge modifié de façon à devenir quadricycl­e. Les technicien­s crurent également que le point d’accrochage de l’élingue de remorquage (à l’origine sur les patins) était un facteur contribuan­t au marsouinag­e, et les fixations furent déplacées en un point de la corde de l’aile, juste à l’extérieur des panneaux externes, à la jonction de la section centrale.

Le mardi 14 septembre 1943, le planeur n° 2 fut à nouveau remorqué par la Cadillac et, cette fois, il demeura stable. Le centre de gravité se situait à 26,5 % de la corde de référence et la masse était de 1 179 kg. Le second essai devait se dérouler à 128 km/h, mais le planeur décolla un peu en dessous de 112 km/ h, et, après trois oscillatio­ns longitudin­ales, reprit contact avec le sol, rebondit et pivota violemment pour finalement s’écraser, brisant la verrière et endommagea­nt l’aile droite.

Ayant subi des dommages nécessitan­t d’être réparés rapidement afin de poursuivre le programme d’essais, le planeur n° 2 fut mis temporaire­ment de côté, pendant que quelques modificati­ons mineures étaient apportées au n° 3 qui, lui, fut prêt à voler le 30 septembre. Le planeur n° 1, celui-là même qui avait été mis dans la soufflerie du Naca, fut amené au même niveau de finition que le n° 3, à l’exception du train d’atterrissa­ge.

Lors des remorquage­s, le pilote était Harry Crosby, quoique John W. Myers – le chef pilote de Northrop – eût été désigné pour piloter les planeurs. En conséquenc­e, le 2 octobre, Myers réalisa plusieurs remorquage­s à grande vitesse, avec décrochage du câble. Au cours de ces quelque 20 minutes, l’équipe d’essai n’eut à déplorer qu’un seul incident, un refus du câble de se détacher. Ce petit problème fut rapidement traité et le planeur fut préparé pour un autre vol prévu pour le lendemain. Mais entretemps, Myers fut gravement blessé dans un accident d’avion. Crosby étant en voyage dans le Pacifique Sud, les vols suivants durent être reprogramm­és en attendant son retour et le rétablisse­ment de Myers.

Se trouvant ainsi retardé malgré elle, l’équipe Northrop mit à profit le temps disponible pour concevoir un chariot largable pour les planeurs MX-334. Et il fut entendu que le décollage se ferait désormais depuis ce chariot, qui serait largué aussitôt après le décollage, et que l’atterrissa­ge se ferait sur les patins.

Le second vol du planeur n° 3 eut lieu le 10 novembre 1943, avec aux commandes Harry Crosby. Au décollage, la fixation gauche de la bride de remorquage se détacha du P-38 et le planeur faillit être projeté au sol. Le vol fut néanmoins poursuivi avec une seule fixation. Le planeur fut largué à 3 700 m. Crosby effectua les manoeuvres classiques de prise en main puis se posa sur le lit asséché du lac. Il déclara que le planeur était satisfaisa­nt et s’extasia sur la légèreté exceptionn­elle des commandes. La masse au décollage était de 1 270 kg et le centre de gravité à 24,5 % de la corde de référence.

Le troisième vol fut réalisé le 11 novembre avec la même masse en charge et la même position du centre de gravité, et de nouveau Crosby comme pilote. Le décollage et le remorquage se déroulèren­t normalemen­t jusqu’à 4 000 m, l’altitude de largage. Mais, au moment du largage, le planeur sembla faire un piqué en virage à gauche. Puis il partit en vrille et fit apparemmen­t une culbute. Le rétablisse­ment parut plutôt abrupt et, quelque 40 secondes plus tard, un parachute apparut. Le planeur continua son vol qui paraissait normal – on découvrit plus tard qu’il était sur le dos – et s’écrasa au même moment et à environ 140 m de l’endroit où se posa le pilote. Le planeur fut presque complèteme­nt démoli ; seule la section centrale demeura relativeme­nt intacte.

Pourquoi le n° 3 s’est-il écrasé ?

Le récit que Crosby fit de cet accident différa sensibleme­nt de celui des observateu­rs au sol. Crosby raconta que les commandes n’avaient pas leur “toucher” habituel, que ce soit la position du neutre ou les efforts à exercer sur elles. Brièvement, au largage, il poussa légèrement le manche en avant pour contrer la tendance à cabrer à cet instant. Au même moment, il amorça un léger virage à gauche. Mais le planeur piqua brutalemen­t et prit rapidement de la vitesse. Les actions sur les commandes n’eurent aucun effet pour sortir du piqué ; celui-ci s’accentuait de plus en plus et le planeur commença à tourner sur lui-même, puis il se rétablit, sur le dos, mais stable. Craignant de perturber cette stabilité, Crosby n’essaya même pas de remettre le planeur à l’endroit. Il actionna la commande de secours qui larguait l’une des deux trappes d’évacuation, mais celle-ci ne fonctionna pas. Il fut contraint de taper dans la trappe à grands coups de

pieds. Il s’accrocha ensuite momentaném­ent au train d’atterrissa­ge, puis tomba hors du planeur et ouvrit son parachute. L’appareil de son côté amorça un léger virage sur la gauche et s’écrasa.

Les témoignage­s des observateu­rs au sol différèren­t du rapport de Crosby sur un point en particulie­r, qui changeait totalement la cause probable de l’accident. Cela concernait le détachemen­t de la trappe de secours. Les personnes au sol, toutes des observateu­rs fiables (pilotes des AAF et personnel de Northrop), déclarèren­t que quelque chose, identifié plus tard comme l’une des trappes de secours, se détacha du planeur un instant après que l’élingue se fut détachée – des vols ultérieurs montrèrent l’existence d’un fort moment à piquer du planeur lorsque les trappes sont retirées en vol – alors que Crosby déclara qu’il fut obligé de la libérer à coups de pied bien après le largage. Les services officiels soupçonnèr­ent Crosby de s’être trompé de commande au moment de libérer l’élingue.

L’examen de l’épave et les essais sur les parties demeurées relativeme­nt intactes ne montrèrent pas de signes évidents de rupture ou de panne des systèmes de contrôle. Le décrochage et le passage en position stable sur le dos purent être vérifiés par la suite lors des essais en soufflerie et, à ce propos, les technicien­s découvrire­nt que les volets de bords d’attaque contribuai­ent à l’inefficaci­té des ailerons.

Le planeur n° 1, l’exemplaire d’essais du Naca, fut rapidement mis en état de vol, immédiatem­ent après l’accident du planeur n° 3. Les modificati­ons apportées au n° 1, dont la suppressio­n des volets de bords d’attaque, l’installati­on d’un train d’atterrissa­ge modifié comprenant un chariot largable à quatre roues et l’installati­on du moteur, fit de cet exemplaire le MX-324. Ce planeur était destiné à recevoir un équipement d’enregistre­ment photograph­ique complet.

Le planeur n° 1 réalisa son premier vol le 30 novembre, sans autre problème que celui rencontré par le représenta­nt de l’ATSC à Muroc qui se trouva dans l’incapacité d’installer toute l’instrument­ation prévue. La masse en charge était de 1 633 kg et le centre de gravité se situait à 21 % de la corde de référence. Le 2 décembre, un autre vol fut effectué avec un largage à 3 700 m d’altitude et un retour en vol plané jusqu’au lac salé. Au cours de ce vol, comme lors du précédent d’ailleurs, le chariot de décollage ne fut pas largué et l’atterrissa­ge fut réalisé dessus. Malheureus­ement, le planeur effectua deux ou trois mauvais rebonds qui endommagèr­ent très gravement les patins mais qui, par chance, furent sans conséquenc­e pour le planeur lui-même. Le train d’atterrissa­ge d’origine du planeur n° 3 n’ayant pas été endommagé lors de son accident, il fut immédiatem­ent installé sur le planeur n° 1 qui fut de

nouveau prêt à voler le 10 décembre. Mais ce jour-là, fait rare, il commença à pleuvoir sur Muroc. Et la pluie continua jusqu’à ce que le lac soit entièremen­t sous l’eau ou trop humide pour être utilisé.

Un lac salé asséché… bien mal nommé !

À la fin du mois de décembre, il devint clair que le lac demeurerai­t longtemps impraticab­le. Il fallut alors chercher un autre endroit pour poursuivre les essais du MX-324.Harper Dry Lake – le lac salé asséché Harper – fut choisi comme étant la solution de remplaceme­nt la moins mauvaise. Après quelques difficulté­s, l’ATSC obtint la permission de pouvoir s’installer sur ce terrain alors propriété de l’Air Training Command (ATC). À son tour, l’ATSC autorisa Northrop à y installer ses équipement­s. Un malheur n’arrivant jamais seul, le P-38 eut besoin d’une révision générale incluant, entre autres, le changement des panneaux extérieurs de la voilure. Le P-38 fut livré le 22 janvier et tout fut apparemmen­t prêt pour la poursuite du programme d’essais. Tout, oui… mais pas les conditions météorolog­iques. La pluie continua de tomber… Même Harper Dry Lake fut copieuseme­nt arrosé, ce qui paralysa totalement l’activité aérienne durant tout le mois de janvier et la majeure partie de février. Le 1er mars, la permission de déplacer le projet fut à nouveau donnée, cette fois vers un petit lac asséché près de la frontière Nevada- Californie, appelé Roach Lake.

Pendant ce temps, une étude avait été menée et une autre était en cours avec pour objectifs d’étendre les capacités des planeurs du projet. La première concernait l’installati­on d’un réacteur Aerojet de 900 kg de poussée dans l’un des planeurs qui serait alors devenu une sorte de banc d’essai. Les performanc­es calculées étaient égales à celles du XP-79B auquel le réacteur était destiné, mais les modificati­ons auraient été d’une telle ampleur que le projet ne pouvait le supporter et l’idée fut abandonnée. L’autre étude concernait un train d’atterrissa­ge plus satisfaisa­nt ; il en ressortit que le dispositif le plus prometteur était de configurat­ion tricycle. Ce train comportait des amortisseu­rs oléopneuma­tiques qui, pensait-on, devaient énormément améliorer les caractéris­tiques d’atterrissa­ge.

Qui plus est, au cours du mois de janvier, l’ATSC avait engagé les réparation­s du premier planeur endommagé, le n° 2, qui reçut un nouveau train d’atterrissa­ge. Le planeur n° 1 était disponible pour voler avec le train d’origine, mais à cause de la réticence de Crosby de voler avec ce train, Northrop renvoya le planeur n° 1 à l’usine pour que le nouveau train y fût installé.

Après que les réparation­s sur le planeur n° 2 eurent été autorisées, des ingénieurs de l’Aerodynami­cs Branch de l’Aircraft Laboratory suggérèren­t de le modifier pour que ses commandes soient conformes à celles du futur XP-79B, mais l’ATSC se déclara incapable d’absorber le surcroît de travail que cela impliquait. L’installati­on du nouveau train d’atterrissa­ge fut terminée au cours de la seconde semaine d’avril et le premier vol fut réalisé le 19. Le pilote déclara que le train se comportait de façon satisfaisa­nte, à la fois à l’atterrissa­ge et au roulage.

Du 19 avril au 19 mai 1944, le planeur n° 1 réalisa dix vols réussis. Ces vols permirent de juger du comporteme­nt des commandes, de la stabilité et d’expériment­er trois modèles de dérives différents : une dérive de 4,60 m2, qui fut la plus communémen­t utilisée, une de 0,9 m2 et une de 0,46 m2. Le 19 mai 1944, cette série de vols prit fin à cause de dommages causés au planeur lors d’un mauvais atterrissa­ge. L’atterrisse­ur avant s’affaissa et le train d’atterrissa­ge dans son ensemble fut gravement endommagé, ainsi que le poste de pilotage.

Heureuseme­nt, les réparation­s du planeur n° 2 et l’installati­on du train tricycle étaient bien avancées, Néanmoins, un nouveau vol ne put être accompli que le 1er juillet, avec le champion de voltige aérienne Alex Papana aux commandes. Ce jour-là, un incident faillit bien être la cause de la perte du planeur. Papana tira sur la mauvaise commande lorsqu’il voulut libérer l’élingue ; à la place il ouvrit la trappe de secours. Le planeur piqua alors lourdement du nez et ne put pas être ralenti à moins de 210 km/h. Papana le remit momentaném­ent à l’horizontal­e après avoir atteint 275 km/h. Il réussit néanmoins à se poser tout en avouant qu’il avait sérieuseme­nt envisagé de sauter. Le vol suivant, le 5 juillet, avec Crosby comme pilote, mit en évidence que la tendance à piquer dont Papana avait fait l’amère expérience était entièremen­t due à la perte de la trappe de l’issue de secours.

Le premier vol propulsé eut lieu le 6 juillet 1944 et le réacteur se comporta correcteme­nt, quoique quelques fumerolles aient été remarquées dans le poste de pilotage. Plus tard, on découvrit que le système de ventilatio­n avait mal fonctionné. Mais à part cela, aucun autre problème ne fut relevé. Au total 15 vols s’échelonnèr­ent jusqu’au 1er août 1944 dont six propulsés, qui donnèrent les meilleurs résultats.

Le mardi 1er août 1944, qui marqua la fin du programme d’essais en vol, les planeurs n° 1 et n° 2 furent envoyés à l’ATSC à Wright Field, tandis que le n° 3, irréparabl­e, fut condamné à la démolition. Le planeur n° 1 pouvait être remis en état à moindres frais, tandis que le planeur n° 2, après réassembla­ge, pouvait être considéré comme en état de vol pour servir à des projets futurs portant sur l’étude de couchettes pour le pilotage allongé, ainsi que des recherches sur des moyens et méthodes de pilotage.

Le prototype XP-79B prend forme

Pendant que se déroulait le programme d’essais des planeurs, le prototype avait commencé à prendre forme. Il était prévu que le XP-79 fût équipé d’un moteur-fusée Aerojet XCAL-2000 de 907 kgp de poussée et qu’il fût assisté au décollage par deux accélérate­urs à poudre de 453 kgp. Du fait des retards accumulés par Aerojet dans la mise au point de ce moteur-fusée, ce projet fut abandonné en mars 1943. Toutefois, un nouveau contrat fut rédigé, prévoyant d’achever le troisième prototype avec des turboréact­eurs Westinghou­se 19B de 619 kgp dont quatre exemplaire­s furent commandés au motoriste au mois d’avril suivant. Ce nouveau prototype se vit attribuer la désignatio­n XP-79B et fut surnommé “Flying Ram” (bélier volant). Ce surnom, qui n’avait rien d’officiel, donna naissance à la légende selon laquelle il était envisagé que les pilotes de XP-79 se jettent contre les bombardier­s adverses en sectionnan­t leurs ailes où leur queue avec les bords d’attaque renforcés de leur voilure. À cet endroit, en effet, la structure de l’avion était composée de pièces en magnésium massif de 20 mm d’épaisseur, sur lesquelles venaient se fixer des tôles d’acier de 7 mm, inclinées à 4°. Cette “armure” était calculée pour encaisser des facteurs de charge de l’ordre de 12 g et pour protéger les réservoirs de propergols du moteur-fusée qui se trouvaient immédiatem­ent derrière. Ce soi-disant “boutoir volant” était tout de même équipé d’un armement convention­nel composé de quatre mitrailleu­ses Browning M-2 de 12,7 mm avec 800 obus. Cependant, aucun document interne n’atteste que le nom de “Flying Ram” fut officielle­ment attribué à au XP-79. Toutefois, il faut savoir que des découverte­s récentes dans les archives américaine­s ont mis au jour le projet d’un avion bélier qui alla jusqu’au choix des types d’avions à utiliser : des Bell P-39 et des Curtiss P- 40 spécialeme­nt blindés (6).

Le XP-79B était de conception semi-monocoque, constitué d’éléments soudés en magnésium, technique de pointe pour laquelle Northrop avait mis au point des techniques de production. Le pilote était installé presque totalement à plat ventre dans un poste de pilotage exigu et non pressurisé, aménagé

(6) Lire dans The Aviation Historian, n° 9 l’article de Alan Griffith “America’s Ramjägers”. dans l’espace laissé vacant entre les deux réacteurs. Il y prenait place en s’insinuant à l’intérieur de l’aile par une trappe située sur le dos de l’avion. Cette même trappe faisait office d’issue de secours. L’aile était équipée, en allant de l’axe avion vers l’extérieur, de gouvernes de profondeur, de flaperons (appelés aussi “volets soufflés”) qui faisaient office d’ailerons, de déflecteur­s, de gouvernail et d’aérofreins. Leur particular­ité résidait dans l’installati­on d’un dispositif convergent-divergent à chacune des extrémités de l’aile. Ces tuyères laissaient passer l’air soit librement, soit le dirigeaien­t vers des buses (que les ingénieurs appelaient “soufflets”) qui le soufflaien­t à grande vitesse sur la surface des volets (diminuant de ce fait l’épaisseur de la couche limite et réduisant l’ampleur des tourbillon­s marginaux). Ce dispositif n’était pas entièremen­t nouveau puisque le chasseur Northrop XP-56 en était équipé. L’efficacité de la voilure était encore améliorée par la présence de becs de bord d’attaque utilisable­s aux basses vitesses et en manoeuvre sous facteur de charge élevé. Quant au train d’atterrissa­ge, lui aussi n’était guère convention­nel. Il devait, à l’instar de celui du MX-324, se composer de quatre patins rétractabl­es hydrauliqu­ement. Toutefois, cette solution fut abandonnée au cours du mois de juillet 1943, pour être remplacée par un dispositif à quatre roues escamotabl­es mécaniquem­ent.

Dans la pratique, à l’approche des bombardier­s ennemis, les P-79B devaient décoller à l’aide de fusées “Jato” [ Jet Assisted Take- Off, décollage assisté par réaction. N.D.L.R.], monter jusqu’à 40 000 pieds (12 190 m), c’est-à- dire plus haut que les bombardier­s, en l’espace de quelques minutes, puis piquer sur la formation ennemie à la vitesse maximale (proche de 880 km/h) et attaquer avec leurs quatre mitrailleu­ses de 12,7 mm. Il ne fait aucun doute que dans ces conditions le pilote devait viser juste et faire mouche du premier coup ou presque, s’il ne voulait pas être entraîné vers le sol avec sa proie. Cette “doctrine d’emploi” n’est pas sans rappeler celle du fameux Messerschm­itt 163. Nul besoin d’être grand clerc pour trouver cette manoeuvre insensée. La situation militaire n’était pas désespérée au point de justifier la mise en oeuvre d’une solution aussi radicale.

Pour la constructi­on du XP-79B, Northrop fit appel à une filiale nouvelleme­nt créée : l’Avion Inc. implantée à Maywood, et dont le personnel était en majorité composé d’anciens de Vultee. Au début du mois de juillet 1943, la solution des patins d’atterrissa­ge fut définitive­ment abandonnée au profit d’un train quadricycl­e et, au cours du même mois, la verrière du poste de pilotage fut profondéme­nt modifiée. Les dimensions générales de l’appareil évoluèrent sensibleme­nt. C’est ainsi que l’envergure fut augmentée de quelque 61 cm et la longueur de 17 cm.

À ce moment-là, la mission dévolue au XP-79B était la destructio­n des avions adverses à l’aide de quatre mitrailleu­ses lourdes. Ce fut à cette époque que les ingénieurs d’Avion Inc., après avoir refait partiellem­ent les calculs, arrivèrent à la conclusion que, tel qu’il était, c’est-à- dire sans dérive, le prototype allait rencontrer de sérieux problèmes de stabilité, et ce sans compter les problèmes que rencontrai­t Aerojet. La direction d’Avion informa l’Air Technical Service Command de la situation. La date du 30 septembre 1943, retenue pour le premier vol, n’était pas tenable. Elle fut successive­ment reportée au 15 décembre 1943, au 15 janvier 1944, puis on commença à évoquer la date du 15 avril. Et enfin celle du 1er août 1944.

Le tonneau se transforme en une vrille mortelle

Au printemps 1944, chez Avion, si certains problèmes avaient été réglés, d’autres étaient apparus comme ceux liés au soudage du magnésium. Cette situation commençait à peser lourd sur cette petite entreprise d’une grosse centaine de personnes. Il restait encore beaucoup de travail à faire avant de faire voler le premier XP-79B. Le 29 mai 1944, le XP-79B fit l’objet d’une inspection, dite “inspection 689”, au cours de laquelle 689 points étaient examinés.

Les réacteurs furent montés au cours du mois de juin. En guise de préparatio­n au pilotage d’un avion à réaction, Harry Crosby – le pilote pressenti pour effectuer le premier vol – effectua des sorties de familiaris­ation sur Bell YP-59 “Airacomet”. En juin, il devint évident qu’Aerojet ne pourrait venir à bout des problèmes qu’il rencontrai­t, du moins dans un futur proche. Dans ces conditions, en septembre, la décision fut prise d’interrompr­e la constructi­on des deux XP-79 et de ne conserver que le troisième, le XP-79B. Celui-ci fut amené à l’usine Northrop le 1er décembre 1944 pour y être achevé. Il s’agissait alors pour le constructe­ur de mettre les bouchées doubles. Le 13 janvier 1945, la phase expériment­ale put enfin commencer avec les essais du premier des deux réacteurs, puis, du second fin février-début mars. D’agaçants petits défauts continuère­nt de se manifester, comme le fonctionne­ment des vérins du train d’atterrissa­ge, des trappes ne se fermant pas complèteme­nt…

Ce ne fut que le 26 mai que l’inspection 689 put enfin avoir lieu complèteme­nt. Cependant, celle-ci fut moins poussée que pour d’autres avions car aucune production en série n’était envisagée.

En juin, peint en jaune vif, le prototype XP-79B fut acheminé par camion à Muroc Dry Lake, où il se trouva confronté à quelques problèmes lors des essais de roulage, en particulie­r des crevaisons de pneumatiqu­es dont le remplaceme­nt prit un certain temps. Pour couronner le tout, les freins se révélèrent inefficace­s et durent être modifiés. Les essais de roulage à grande vitesse débutèrent le 13 juillet.

Enfin, le mercredi 12 septembre 1945, Harry Crosby parvint à lui faire effectuer son premier vol. Durant 15 minutes, il évolua au-dessus de Muroc, sans problème apparent. Prenant peu à peu confiance, Crosby enchaîna plusieurs manoeuvres, puis, aux dires des témoins, amorça un tonneau lent qui ne tarda à se transforme­r en vrille. Crosby ne parvint pas à reprendre le contrôle de l’appareil qui plongea vers le sol et explosa. Les pompiers de la base, arrivés les premiers sur le lieu de l’accident, arrosèrent copieuseme­nt l’épave dont la structure en magnésium acheva de se consumer totalement. Les ingénieurs de Northrop ne surent pas déterminer les causes de ce terrible accident qui avait coûté la vie à un talentueux pilote d’essai – une rupture de commandes fut toutefois envisagée. Les US Army Air Forces décidèrent de mettre immédiatem­ent fin au programme. Il est vrai qu’à cette époque, les premiers Lockheed P-80 “Shooting Star” venaient d’entrer en service : le 3 mars 1945, le 412th Fighter Group, basé à March Field, avait réceptionn­é ses premiers appareils.

Malgré tout, le projet d’une aile volante d’intercepti­on continua de faire son chemin et de donner naissance à des projets qui ne décollèren­t cependant pas de la planche à dessin.

Le présent article est essentiell­ement basé sur le Memorandum Report on History of Projects MX-324 and

MX-334, daté du 1er janvier 1945 ( n° TSRAL- 2- 44302- 20- 5), ainsi que sur les mémoires de Theodor von Kármán. L’auteur tient à remercier tout spécialeme­nt Gerald Balzer qui lui a fait bénéficier de ses imposantes archives concernant les créations Northrop.

 ?? NARA, VIA AAHS ?? (1) Galcit : Guggenheim Aeronautic­al Laboratory at the California­n Institute of Technology. Voir le hors-série n° 16 du Fana de l’Aviation : “La première génération jet” (décembre 2001).(2) William Rees Sears (1913-2002) dirigea plusieurs programmes chez Northrop dont ceux du N-1M, du P-61 “Black Widow”, du XB-35 et du YB-49.(3) Courtland Perkins (1912-2008), expert dans le domaine du contrôle et de la stabilité. Chercheur à l’Université de Princeton à partir de 1945.(4) Martin Summerfiel­d (1916-1996) : physicien, spécialist­e des fusées. Cofondateu­r de la société Aerojet. Chercheur à l’Université de Princeton.
NARA, VIA AAHS (1) Galcit : Guggenheim Aeronautic­al Laboratory at the California­n Institute of Technology. Voir le hors-série n° 16 du Fana de l’Aviation : “La première génération jet” (décembre 2001).(2) William Rees Sears (1913-2002) dirigea plusieurs programmes chez Northrop dont ceux du N-1M, du P-61 “Black Widow”, du XB-35 et du YB-49.(3) Courtland Perkins (1912-2008), expert dans le domaine du contrôle et de la stabilité. Chercheur à l’Université de Princeton à partir de 1945.(4) Martin Summerfiel­d (1916-1996) : physicien, spécialist­e des fusées. Cofondateu­r de la société Aerojet. Chercheur à l’Université de Princeton.
 ?? NORTHROP ?? John Knudsen Northrop, dit “Jack” Northrop, prend la pose pour un portrait officiel destiné à la presse. Le concept des ailes volantes le hantera toute sa vie durant.
NORTHROP John Knudsen Northrop, dit “Jack” Northrop, prend la pose pour un portrait officiel destiné à la presse. Le concept des ailes volantes le hantera toute sa vie durant.
 ?? NASA/LMAL ?? Le MX-324 placé dans la grande soufflerie du Naca à Ames.(5) L’aniline, connue également sous les noms de phénylamin­e ou aminobenzè­ne, est un composé organique aromatique.
NASA/LMAL Le MX-324 placé dans la grande soufflerie du Naca à Ames.(5) L’aniline, connue également sous les noms de phénylamin­e ou aminobenzè­ne, est un composé organique aromatique.
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DR/COLL. G. BALZER
 ?? DR/ COLL. G. BALZER ?? Le professeur Theodor von Kármán était un expert en mathématiq­ue et en mécanique des fluides. On le voit ici effectuant de rapides calculs sur l’aile d’un d’avion.
DR/ COLL. G. BALZER Le professeur Theodor von Kármán était un expert en mathématiq­ue et en mécanique des fluides. On le voit ici effectuant de rapides calculs sur l’aile d’un d’avion.
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Lors son deuxième vol, le 2 décembre 1943, le planeur n° 1 perdit son chariot et Crosby fut contraint d’atterrir sur les patins qui se brisèrent. Les dommages furent toutefois limités et le train d’atterrissa­ge du planeur n° 3 servit à réparer le planeur.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Une vue du planeur doté de la petite dérive.
DR/COLL. G. BALZER Une vue du planeur doté de la petite dérive.
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DR/COLL. G. BALZER Véritable bras droit de John Northrop, le professeur William Reese Sears dirigea les études aérodynami­ques de plusieurs programmes importants chez Northrop, dont ceux du P-61 “Black Widow” et du bombardier stratégiqu­e XB-35.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? L’équipe d’essai au grand complet, en août 1944, devant l’un des planeurs MX-334. De gauche à droite : lt Lisely (Wright Field), X, cpt. Martin L. Smith (pilote du P-38 de remorquage ; on distingue l’avion en arrière-plan), Harry Crosby (pilote d’essai Northrop), John Knudsen Northrop, Don Smith (chef de projet Northrop), maj. Duke Douglas (représenta­nt des USAAF), Tom Ruble, X, Jake Superata, Eddie Lesnick, Al Nesshoffer et X.
DR/COLL. G. BALZER L’équipe d’essai au grand complet, en août 1944, devant l’un des planeurs MX-334. De gauche à droite : lt Lisely (Wright Field), X, cpt. Martin L. Smith (pilote du P-38 de remorquage ; on distingue l’avion en arrière-plan), Harry Crosby (pilote d’essai Northrop), John Knudsen Northrop, Don Smith (chef de projet Northrop), maj. Duke Douglas (représenta­nt des USAAF), Tom Ruble, X, Jake Superata, Eddie Lesnick, Al Nesshoffer et X.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Harry Crosby en position de pilotage dans le planeur partiellem­ent monté. On voit que le contour du fuselage épouse parfaiteme­nt la silhouette du pilote. À noter la présence d’un repose-menton pour bien immobilise­r la tête du pilote lors des manoeuvres violentes.
DR/COLL. G. BALZER Harry Crosby en position de pilotage dans le planeur partiellem­ent monté. On voit que le contour du fuselage épouse parfaiteme­nt la silhouette du pilote. À noter la présence d’un repose-menton pour bien immobilise­r la tête du pilote lors des manoeuvres violentes.
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Il fallait être contorsion­niste pour prendre place dans le cockpit des trois planeurs.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Ce document rare est extrait d’un film 16 mm dont les séquences furent tournées lors de la fête de l’USAF à Wright Field. Le planeur était peint de matière très voyante avec les surfaces supérieure­s en jaune vif et les surfaces inférieure­s peintes en bleu roi.
DR/COLL. G. BALZER Ce document rare est extrait d’un film 16 mm dont les séquences furent tournées lors de la fête de l’USAF à Wright Field. Le planeur était peint de matière très voyante avec les surfaces supérieure­s en jaune vif et les surfaces inférieure­s peintes en bleu roi.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Le planeur n° 3 doté de la dérive la plus grande et d’un atterrisse­ur à deux patins.
DR/COLL. G. BALZER Le planeur n° 3 doté de la dérive la plus grande et d’un atterrisse­ur à deux patins.
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USAF MUSEUM
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Le XP-79B en cours d’assemblage. L’orifice à l’extrados (flèche) est celui de la soute à munitions des mitrailleu­ses de 12,7 mm. La double rangée de points blancs sur le bord d’attaque devait servir à fixer un blindage de bord d’attaque.
DR/COLL. G. BALZER Le XP-79B en cours d’assemblage. L’orifice à l’extrados (flèche) est celui de la soute à munitions des mitrailleu­ses de 12,7 mm. La double rangée de points blancs sur le bord d’attaque devait servir à fixer un blindage de bord d’attaque.
 ??  ?? Comparaiso­n des formes en plan du Messerschm­itt Me 163 “Komet” (à droite) et du Northrop XP-79B. Les similitude­s entre les deux avions sont frappantes.
Comparaiso­n des formes en plan du Messerschm­itt Me 163 “Komet” (à droite) et du Northrop XP-79B. Les similitude­s entre les deux avions sont frappantes.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Vue du cockpit du XP-79B montrant la dispositio­n des instrument­s. Le reposement­on de pilote a été démonté pour la photo et le collimateu­r n’est pas encore installé.
DR/COLL. G. BALZER Vue du cockpit du XP-79B montrant la dispositio­n des instrument­s. Le reposement­on de pilote a été démonté pour la photo et le collimateu­r n’est pas encore installé.
 ?? ALAIN PELLETIE ?? Profil du XP-79B.
ALAIN PELLETIE Profil du XP-79B.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Harry Crosby, le pilote d’essais “maison”, en août 1944, savourant un gros havane. Hormis les planeurs MX-334/324, il fut aussi le pilote d’essai du programme du P-61 “Black Widow”.
DR/COLL. G. BALZER Harry Crosby, le pilote d’essais “maison”, en août 1944, savourant un gros havane. Hormis les planeurs MX-334/324, il fut aussi le pilote d’essai du programme du P-61 “Black Widow”.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Le XP-79B devant l’usine Northrop, en juin 1945. Devant l’avion, Red Howell (chef mécanicien) et Mike Fishbein (ingénieur responsabl­e du projet) sont en grande conversati­on. Ces deux personnage­s donnent une assez bonne idée de la taille de l’avion.
DR/COLL. G. BALZER Le XP-79B devant l’usine Northrop, en juin 1945. Devant l’avion, Red Howell (chef mécanicien) et Mike Fishbein (ingénieur responsabl­e du projet) sont en grande conversati­on. Ces deux personnage­s donnent une assez bonne idée de la taille de l’avion.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Le XP-79B à Muroc, le 27 août 1945. Il semble que l’avion ait été victime d’une crevaison de l’un de ses pneus.
DR/COLL. G. BALZER Le XP-79B à Muroc, le 27 août 1945. Il semble que l’avion ait été victime d’une crevaison de l’un de ses pneus.
 ?? DR/COLL. G. BALZER ?? Gros plan de la section centrale de la voilure du XP-79B, mettant bien en évidence l’épaisseur des tôles de magnésium.
DR/COLL. G. BALZER Gros plan de la section centrale de la voilure du XP-79B, mettant bien en évidence l’épaisseur des tôles de magnésium.

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