Les chasseurs de saucisses
L’aviation en 1918 - Épisode 9
La chasse aux ballons d’observation entre 1914 et 1918 ? Il faut aveugler à tout prix l’ennemi ! Sus aux saucisses !
Dans la gigantesque guerre d’artillerie que fut la Première Guerre mondiale, le réglage des tirs des canons est une question primordiale pour l’ensemble des belligérants. Ce réglage peut difficilement se faire par des observateurs au sol compte tenu de la puissance de l’artillerie qui tire sur des objectifs hors de la porte de la vue des artilleurs. L’aviation va dès lors être sollicitée, avec une longueur d’avance pour la France dont l’action de ses aviateurs est une des causes de la victoire de la bataille de la Marne au mois de septembre 1914. Mais elle n’est pas la seule à accomplir cette tâche, qui peut aussi être effectuée par des observateurs postés dans des ballons captifs, qui, si l’on en croit les statistiques françaises, vont effectuer environ les 3/4 des observations sur le champ de bataille.
De ce point de vue, l’Allemagne dispose au début de la guerre d’une certaine avance en ayant à sa disposition des compagnies d’aérostiers équipés de ballons allongés, dits Drachenballon (littéralement, ballons cerfs-volants), bien plus stables que les quelques vieux ballons sphériques français en service dans les places fortes françaises de Verdun, Toul, Épinal et Belfort, très peu adaptés car tournant sur eux-mêmes
face au vent. Les Français vont vite constituer des compagnies d’aérostiers (jusqu’à 94 en 1918) qu’ils vont équiper d’une copie du Drachen allemand, le ballon type H, puis courant 1915 par le type L, équipé d’un empennage et très stable face au vent, réalisé par le capitaine Albert Caquot (polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussées). L’année suivante, Caquot sort un modèle équipé d’un empennage triple, le type M, qui sera utilisé par tous les belligérants y compris par l’Allemagne qui en réalise aussitôt une copie.
Tous ces ballons deviennent des silhouettes familières pour les soldats qui en voient toujours devant ou derrière leurs tranchées. Les Français les surnomment couramment “saucisses”, un surnom qui s’impose de par leur forme et qui se répand dans la presse, même si on trouve dans un journal de marche le surnom plus fleuri de “couille” qui est précisément celui donné par les soldats allemands : “Nülle”, qui peut se traduire aussi par “service trois pièces”, une forme que peut faire évoquer le Drachenballon du début de guerre. Quelle que soit leur dénomination, leur apparition sur les lignes n’annonce en général rien de bon pour les soldats sinon un prochain orage d’artillerie… De ce fait, leur destruction s’impose vite comme un objectif militaire afin d’aveugler l’artillerie ennemie. Mais l’entreprise va vite s’avérer aussi risquée que compliquée. Risquée, car ces ballons sont invariablement protégés par un autocanon et des mitrailleuses en batterie prêtes à tirer sur tout assaillant éventuel. Compliquée, car les attaquer à la mitrailleuse n’a pour effet que d’en percer l’enveloppe, sans grands dommages. Gonflés à l’hydrogène, ils pourraient s’enflammer facilement au contact d’une flamme mais aucun armement adéquat n’existe en 1914.
Premiers aviateurs à l’assaut des saucisses
Les premières attaques contre les ballons captifs sont tentées par l’aviation française dès le début de la guerre, à l’initiative même des aviateurs qui y voient un objectif d’opportunité. Le premier cas documenté dont on dispose vient de l’Escadrille MF 8 stationnée en Lorraine, à Toul, où le lieutenant Pierre Perrin de Brichambault volant sur un Maurice Farman MF VIIbis repère fin août 1914 un Drachen en survolant les lignes et revient lors d’un vol ultérieur l’attaquer à coup de projectiles incendiaires, sans succès. Plus chanceux sera son camarade d’escadrille, le lt Albert Moris qui, le 1er septembre 1914, s’attaque seul à bord de son MF VIIbis n° 123 à un ballon – probablement le même – à l’aide de fléchettes. Les archives allemandes indiquent qu’un observateur du Luftschiffer-Bataillon 3, l ’ oberleutna nt Albrecht Oldenburg, est tué ce jour à Arracourt, près de Lunéville. On ignore si Moris a déchiré l’enveloppe, tué directement l’observateur d’une fléchette dans la nacelle ou fait exploser le ballon, mais toujours est-il que son exploit laisse une trace dans les archives françaises sous la forme d’une mention faite par le général Joffre dans son ordre du jour en date du 8 octobre 1914 : “Dans une armée on a détruit par des fléchettes un Drachen-ballon. Les Drachen sont indispensables à l’ennemi pour son artillerie lourde et l’on doit attacher la plus grande importance à leur destruction. Dans une autre armée, un avion a descendu un Aviatik par le feu de sa mitrailleuse.”
Joffre mentionne bien dans son texte l’importance de la destruction des Drachen, cette question va vite passer dans les faits au second plan, tout comme les récompenses accordées aux quelques aviateurs qui vont s’y essayer. Cet ordre du jour fait par ailleurs mention de la première victoire aérienne contre un avion descendu en combat aérien, obtenue par l’équipage du sergent Frantz et du soldat Quenault (lire Le Fana de l’Aviation n° 539), décorés respectivement de la Légion d’honneur et de la Médaille militaire, et dont l’exploit fera la une des journaux. Moris, en revanche, bien que promu au grade de capitaine, n’a aucune mention dans la presse de son exploit et manque de passer à l la postérité c comme le premier aviateur victorieux au combat aérien. Contraint de se poser en zone ennemie en 1915, il passe le restant de la guerre en c captivité et d décédera prématurément en 1920.
Un second D Drachen est détruit le 6 décembre 1914 par un Voisin LA de l’Escadrille V.14 monté par le caporal Julien Serviès (pilote) et le s-lt Louis Barrès (observateur), qui ont réussi à bombarder leur cible située au sud de la forêt d’Houthulst, en Belgique, blessant les deux observateurs présents dans la nacelle. Mais, touchés par la DCA, ils sont contraints de se poser dans les lignes ennemies et, tout comme
On ne faisait que des petits trous ; les plus culottés ne demandaient même pas la descente
Moris, finiront la guerre en captivité. Il faut attendre le 15 juin 1915 pour voir la destruction du troisième Drachen à Villers-lès-Mangiennes, près de Verdun, par un Caudron G.3 de l’Escadrille C.18 piloté par le brigadier Maxime Lenoir emmenant en observateur le lt Pierre Rivier. Selon les déclarations de Lenoir, devenu un célèbre as aux 11 victoires en 1916, le Drachen aurait été détruit avec des balles incendiaires qui ont été précisément expérimentées contre un autre Drachen deux semaines plus tôt par l’as Jean Navarre, dont l’observateur, le lt Moinier, possédait une carabine tirant de telles munitions bien qu’il n’ait pu placer un coup au but. Plus chanceux dans son tir, l’équipage Lenoir-Rivier n’obtient cependant aucune récompense pour son exploit qui ne sera reconnu à Lenoir comme la deuxième de ses 11 victoires aériennes que bien plus tardivement, au mois d’août 1916.
Il ne faut pas pour autant en conclure un manque d’intérêt de l’état- major pour l’attaque des Drachen, qui commande aux constructeurs un appareil conçu pour cette tâche, le Voisin LB, dit Voisin- Canon, équipé d’un canon de 37 mm. Le 11 mai 1915, deux prototypes pilotés par le sgt Joseph Frantz et l’adjudant Aimé Grasset sont détachés à l’Escadrille VB 109 à Bruay-en-Artois et passent aussitôt à l’action en prenant pour cible les Drachen ennemis. Les résultats sont vite décevants : le 15 mai 1915, l’appareil de Grasset avec pour tireur le matelot Michel Le Hénaff tire 18 obus contre un Drachen allemand qui est hissé à terre. Dans la journée, les deux Voisin-Canon, entre Arras et Lens, en attaquent de concert un autre qui est également ramené au sol, sans dommages visibles malgré les 18 obus tirés… Un autre ballon est contraint d’être hissé à terre le lendemain à Méricourt après 14 obus tirés. Frantz se souvient : “Les Drachen descendaient mais ne prenaient pas feu, les obus incendiaires de 37 n’existant pas. Il aurait fallu trouver un obus incendiaire qui laisse une trace, pour enflammer l’enveloppe… Quand les Allemands se sont rendu compte qu’on ne faisait que de petits trous, les plus culottés des observateurs ne demandaient même pas la descente. Ils étaient bien défendus, il faut dire.”
Six exemplaires de série transformés à partir de Voisin LA sont commandés au constructeur le 18 juin 1915, suivis de 12 autres le 9 juillet pour une production totale inconnue estimée à une trentaine d’exemplaires. Ils équipent des sections d’avions-canons qui sont répartis parmi les escadrilles Voisin sur le front et se voient homologuer cinq victoires durant l’année 1915, quatre contre des avions et une seule contre un Drachen incendié le 2 octobre 1915 par le sgt Comès et son tireur, le matelot Maurice Jousselin. Ces deux hommes faisaient partie de la 10e Section d’avions-canons, composée de quatre Voisin LB rattachés à l’Escadrille V.21 et qui, durant l’offensive française de Champagne, ont été chargés d’aveugler l’artillerie allemande en détruisant ses Drachen, avec des résultats très mitigés puisque leur victoire est la seule homologuée obtenue dans le rôle pour lequel ils ont été conçus.
Les fusées Le Prieur entrent en scène
Alors que seulement trois Drachen ont été homologués à l’aviation française durant l’année 1915, 1916 marque de nets progrès dans leur destruction avec l’apparition d’une nouvelle arme, une fusée inventée par l’enseigne de vaisseau Yves Le Prieur, brillant inventeur à qui on doit de multiples réalisations dans de nombreux domaines dont l’aviation. Il n’est pas stricto sensu l’inventeur de la fusée à poudre noire, mais a l’idée d’en équiper un avion pour la tirer contre les
Drachen et faire enflammer leur enveloppe gonflée à l’hydrogène grâce au jet gazeux incandescent de la fusée qui aura percé l’enveloppe. Les fusées sont disposées dans des tubes fixés sur les mâts d’aile d’un chasseur Nieuport (quatre par côté) et mises à feu électriquement à partir du poste de pilotage.
La précision est très aléatoire, mais le tir d’une salve de huit projectiles, généralement tirés entre 100 et 200 m de la cible, suffit pour que l’un touche le Drachen. Un premier test est effectué par Le Prieur à partir d’un Farman au mois de février 1916, puis, le 4 mai, un essai grandeur nature à partir d’un chasseur Nieuport est réalisé sur l’aérodrome du Bourget par un pilote du Camp retranché de Paris (CRP), le sgt Joseph Guiguet. Il détruit un Drachen avec les fusées devant tout un parterre d’officiels, dont le président de la République Raymond Poincaré qui ne manque pas de l’en féliciter.
Les Drachen surpris par la nouvelle arme
En pleine bataille de Verdun, le chef de l’aviation française, le colonel Régnier, propose alors au gén. Nivelle, qui entreprend toute une série de contre-offensives sur le secteur, d’utiliser cette nouvelle arme de manière massive sur une zone afin d’y détruire tous les Drachen et d’y aveugler l’artillerie allemande. À l’aube du 22 mai 1916, juste avant une attaque menée pour tenter de reprendre le fort de Douaumont à l’ennemi, huit Nieuport 16 équipés de fusées Le Prieur sont rassemblés sur le terrain de Vadelaincourt. À leurs commandes, sept pilotes de chasse chevronnés accompagnent le sgt Joseph Guiguet venu du CRP avec son appareil : l’as Charles Nungesser de l’Escadrille N 65, cité depuis la veille au communiqué et à ce moment titulaire de huit victoires (lire Le Fana de l’Aviation n° 551 et 552), puis le sgt Jean Chaput de la N 57, alors titulaire de trois victoires ( Le Fana de l’Aviation n° 555), le cne Louis Robert-de-Beauchamp ( Le Fana de l’Aviation n° 516) et le lt Georges de Boutiny de la N 23, l’adj. Henri Réservat de la N 65, puis le lt André Dubois de Gennes et l’adj. Lucien Barault de la N 57.
L’attaque prend les Drachen Allemands par surprise, car tous les pilotes précités incendient un Drachen, à l’exception de Boutiny qui ne peut mettre à feu ses fusées et Barault qui manque sa cible. Seul Reservat ne rentrera pas de la mission, touché par la DCA qui l’a contraint à se poser dans les lignes allemandes où il est capturé. Barault tente de revendiquer sa victoire mais la supercherie est vite découverte et il est le seul des huit pilotes à ne pas obtenir de citation à l’ordre de l’armée pour l’attaque.
À compter de cette date, d’autres attaques sont menées par des Nieuport 16, puis des Nieuport 17 équipés de fusées Le Prieur au point que 33 Drachen sont homologués aux aviateurs français durant l’année 1916. Mais l’exercice reste extrêmement périlleux : revenus de leur surprise, les Allemands multiplient la couverture de DCA autour de leurs Drachen qui sont en outre parfois protégés par une patrouille de chasse. Le sgt Joseph Guiguet, muté depuis à l’Escadrille N 3, en fait la cuisante expérience le 1er juillet 1916 alors qu’il attaque une saucisse : “Plusieurs obus ont éclaté très près de moi et ont touché mon moteur alors que j’étais sur les lignes allemandes. Je me suis alors dirigé en vol plané vers les lignes françaises, quand j’ai été pris à partie par un chasseur allemand qui m’a tiré dessus. Heureusement que je volais sans moteur, à la limite de la vitesse de décrochage, ce qui a perturbé sa visée…” Il en réchappe, blessé à l’épaule droite et dans le dos, posé de justesse dans les lignes françaises et quitte pour plusieurs semaines d’hôpital.
Les balles incendiaires au phosphore
Peu de temps après l’entrée en service des Le Prieur, une autre arme va être placée à disposition des pilotes, les balles incendiaires au phosphore tirées par des versions rechambrées en 11 mm des mitrailleurs Hotchkiss ou Vickers, et produites en petite série pour l’aviation. Plusieurs pilotes combinent les deux systèmes d’armes, certains préférant la mitrailleuse 11 mm pour sa plus grande précision, tandis que d’autres préfèrent
Des obus ont éclaté très près de moi et ont touché mon moteur sur les lignes allemandes
emporter les fusées et conserver une mitrailleuse standard dont la cadence de feu est supérieure. Le sgt Pierre de Cazenove de Pradines, as aux sept victoires, témoigne bien du dilemme quand il abat l’unique ballon de son tableau de chasse le 20 août 1917 : “Un jour, le chef de la SPA 81, le capitaine Raymond Bailly, a demandé un volontaire pour aller détruire un ballon à Montfaucon. Je me suis proposé et j’ai commencé à m’entraîner. Équipant mon Spad de fusées Le Prieur sur les mâts d’aile, déclenchées par une commande électrique, j’ai vite repéré ma proie sur laquelle j’ai piqué alors que des batteries de DCA ouvraient le feu. Au bon moment j’ai actionné le tir et les fusées sont parties dans toutes les directions dans un impressionnant nuage de fumée. Quand il s’est dissipé, je me suis trouvé en train de voler vers un ballon qui était intact. Les fusées étaient parties dans toutes les directions, excepté sur la cible ! Le lendemain, je suis retourné sur place mais cette fois-ci équipé de balles au phosphore dans ma mitrailleuse, et là j’ai pu flamber ce ballon.”
Un seul pilote se spécialise dans la chasse aux “saucisses” durant l’année 1916 et devenir le premier as de la spécialité : le sgt Marcel Bloch (homonyme du célèbre avionneur), affecté à l’Escadrille N 62. Le 5 juin 1916, en compagnie d’un équipier et couvert par six autres chasseurs, il tire sa salve de fusées contre un premier Drachen sur le front de la Somme et le revendique détruit – il ne lui sera pas homologué. En pleine offensive de la Somme, l’attaque des Drachen est demandée par l’état-major et Bloch décide de se spécialiser dans cette technique, incendiant cinq d’entre eux en trois mois, mais frôlant la mort à chaque victoire.
“Le 1er juillet 1916, c’était la journée d’attaque. Je pars, j’attaque un premier Drachen et réussis à l’abattre malgré l’intervention de nombreux avions ennemis se précipitant à ma poursuite, les aérodromes ennemis étant proches. Je rentre sans être gêné. Tout va bien. Je reprends d’autres fusées et je pars à la recherche d’un autre captif, j’en découvre un. Au moment de piquer pour déclencher mes fusées, un appareil allemand qui m’a pris en chasse s’interpose entre le Drachen et moi. Il tire frénétiquement pour m’empêcher d’intervenir et me crible de balles. Je vire légèrement et riposte par une bande [un chargeur de sa mitrailleuse], tout en me tenant à la verticale à 400 m du sol. L’avion est touché. Il pique, semble tomber pour s’écraser, mais je n’ai pas le temps de le suivre. L’essentiel est qu’il m’ait laissé la route libre. Je continue ma descente vers le Drachen et j’ai la chance de l’incendier à son tour. Oui, ce jour- là, je ressentis certainement la plus forte émotion de ma vie. C’était à Gueudecourt.”
Le chasseur transformé en passoire
Ce que ne précise pas Bloch dans son témoignage, c’est qu’il est pris pour cible par une nuée de tirs qui transpercent son appareil qui, touché au moteur, vole en perdant de l’altitude. Or il est à ce moment à 30 m de hauteur… Il parvient à se poser dans les lignes britanniques où il constate qu’outre le fait que son fuselage soit transpercé de toutes parts, qu’un éclat d’obus a tranché net un des montants d’ailes. Les deux Drachen lui sont homologués et constituent ses deux premières victoires officielles. Il doit
prendre un nouveau Nieuport 16 (n° 1254) pour repartir à l’attaque le surlendemain 3 juillet, mais il est pris dans le tir d’une mitrailleuse au sol dont une balle lui traverse le pouce et lui fait manquer sa salve de fusées. Obstiné, il revient à l’attaque avec ses balles incendiaires, mais un nouveau tir lui transperce une cuisse : il parvient à incendier sa cible et parvient in extremis à se poser dans les lignes britanniques, à la limite de l’évanouissement, où il est ramassé à la petite cuillère par les tommies et envoyé à l’hôpital où il restera deux mois.
Le Nieuport en rase-mottes
De retour au front au mois de septembre 1916, il repart à la chasse : “Le 30 septembre je réussis à abattre en flammes ma quatrième saucisse. Je rentre une fois de plus transformé en écumoire.” Cela ne le dissuade pas de repartir vaillamment à l’attaque le lendemain ; il détruit sa cinquième saucisse lors d’un premier vol avec une manoeuvre audacieuse. Il repart en mission et parvient à en détruire une autre au sol mais les Allemands ne se laissent cette foisci pas surprendre et tirent de toutes leurs pièces, trouant son Nieuport qu’il parvient à ramener en rasemottes pour l’écraser de nouveau dans les lignes britanniques. Cité au communiqué du 2 novembre 1916, il pense à juste titre avoir un peu trop sollicité la chance et abandonne la chasse aux saucisses pour partir en Russie et servir d’instructeur aux pilotes locaux. Il sera victime d’un grave accident sur un appareil russe qui le laissera gravement mutilé et mettra un terme à sa carrière de pilote.
Un joueur de rugby court après les ballons
L’année 1917 n’apporte aucun changement significatif avec seulement 30 Drachen détruits, princ ipalement à l’occasion des offensives f ra nç a i s e s du Chemin des Dames (avril, neuf d détruits), à Verdun (août, six détruits) et sur le fort de la Malmaison ( (octobre, sept détruits). Les huit autres D Drachen détruits sporadiquement hors de ces offensives sont pour l’essentiel à mettre au crédit d’un seul pilote, assez courageux ou assez fou pour se risquer de son propre chef sur un tel objectif : le sgt Maurice Boyau, de l’Escadrille SPA 77. Capitaine de l’équipe de France de rugby lors du Tournoi des cinq nations, son escadrille stationne en Lorraine où aucune opération militaire d’envergure n’a lieu durant toute l’année 1917. Les affrontements aériens sont rarissimes… C’est pratiquement par esprit sportif que Boyau va chercher querelle sur les lignes ennemies alors que dans nombre d’unités de chasse les pilotes de ce front ne se cantonnent qu’au strict minimum. Il est aidé en cela par plusieurs équipiers partageant son état d’esprit, tous des sportifs accomplis au point que le journaliste Jacques Mortane surnommera précisément la SPA 77 “l’escadrille des sportifs”.
Après avoir remporté sa première victoire le 23 mars 1917 contre un biplace d’observation, Boyau part à l’attaque des Drachen le 23 mai 1917 à bord de son Nieuport 23 équipé de balles incendiaires. Si l’observateur ennemi saute en parachute sans demander son reste, le Drachen ne s’enflamme pas et est hissé au sol. Boyau persévère et, le 3 juin 1917, parvient à enflammer son premier ballon avec l’aide de son équipier Jean Sardier. Enhardi par ce succès, Boyau passe de nouveau à l’attaque le surlendemain. De retour d’une mission de reconnaissance photographique sur Sarrebourg, il découvre une saucisse qu’il attaque aussitôt. Son Nieuport pique en tirant sur le ballon qui est ramené au sol. Les mitrailleuses au sol ripostent et l’entourent dangereusement de balles traçantes. Mais il parvient à la dernière minute à enflammer sa cible que l’observateur évacue en parachute. Boyau raconte la suite : “J’étais descendu de 4 000 à 400 m. Quand j’ai voulu reprendre de la
hauteur pour rentrer, mon moteur, défaut de pression, n’a pas voulu reprendre. Toutes mes tentatives pour utiliser le moyen de secours usité en pareil cas (nourrice) échouent ; et je me rends compte alors que mon moteur manque d’essence. Je ne suis plus qu’à 200 m et, désespérant de regagner les lignes, j’avise une prairie au bord d’une route”. Le long de cette route bordée d’arbres arrivent deux automitrailleuses allemandes qui voient se poser l’avion français et s’approchent pour le capturer. Avec l’énergie du désespoir, Boyau actionne sa pompe et parvient in extremis à faire repartir son moteur et à faire décoller son Nieuport sous le nez de ses poursuivants, qu’il gratifie d’un doigt d’honneur bien senti ! Le grand Maurice, qui détonne avec sa taille d’1 m 81 qui en fait un géant pour l’époque, repart à la chasse aux Drachen le 24 juin 1917 près de Nancy à la tête d’une patrouille d’attaque de trois Nieuport, couverts par une autre patrouille de son escadrille. Cinq chasseurs allemands s’interposent et sont engagés par la patrouille de couverture ; Boyau entre alors dans la mêlée après avoir détruit le Drachen et va abattre un chasseur allemand, obtenant ainsi un “doublé” qui le fait accéder au rang d’as. Passant sur chasseur Spad vers le mois de septembre 1917, il termine l’année avec 11 victoires au compteur, dont six Drachen, devenant l’as de la spécialité. Deux autres pilotes le dépassent durant l’année 1918 où la physionomie de la guerre aérienne change considérablement.
Le Spad XIII très efficace
Le 21 mars 1918, l’armée allemande lance une violente offensive à la jonction des troupes anglaises et françaises, profitant des renforts ramenés de Russie qui lui donne une supériorité numérique pour tenter une percée décisive avant que les Alliés ne puissent bénéficier des troupes américaines encore à l’instruction. L’offensive est un réel suc- cès au point de détruire la 5e Armée anglaise. Les troupes françaises accourent pour combler la brèche… Dans ces conditions dramatiques, l’aviation française va être fortement sollicitée, d’abord pour attaquer au sol les colonnes allemandes et ralent tir leur progression, e ensuite pour tenter d’aveugler l’artillerie allemande dans cette guerre de mouvement n nouvelle.
La chasse franç çaise dispose alors, a avec le Spad XIII, d’un appareil particulièrement adapté pour la chasse au Drachen : avion le plus rapide du front avec 218 km/h, il e est particulièrement solide et pique comme un rapace, deux qualités utiles pour distancer les chasseurs de protection et limiter au minimum le temps de passage dans la zone protégée par la DCA. Plusieurs escadrilles se spécialisent dans la chasse aux saucisses, dont les SPA 154 (40 ballons), SPA 152 (31), SPA 77 de Boyau (24,17) et