Le Strategic Air Command à Hollywood
Quand les bombardiers nucléaires de l’USAF font leur cinéma
Les bombardiers du Strategic Air Command brillent sur les grands écrans dans les années 1960.
Le septième art s’est très vite saisi de l’arme nucléaire, et avec elle de l’aviation stratégique, ajoutant du relief à des scénarios qui auraient eu peine à décoller sans elle. À l’écran, l’arme nucléaire vient entretenir une nouvelle mode qui envahit toute la société américaine, celle de la culture populaire de l’atome. L’âge d’or de cette production correspond à une période bien précise, les années 1950. C’est l’époque des grandes peurs de la guerre froide et de la paranoïa anticommuniste en surfant sur une double révolution technologique, celle de l’atome et de l’aviation à réaction. Fort opportunément, le Strategic Air Command va s’appuyer sur Hollywood dans le but d’asseoir son influence auprès des citoyens américains, tout en soutenant par ses messages bien ciselés les fondements de la politique de dé- fense des États-Unis. Mais, dans le show-business, il n’y a pas loin entre le Capitole et la Roche tarpéienne.
Une réunion avec les grands cinéastes
Dès 1942, le président Eisenhower organise une réunion avec les grands cinéastes pour les inviter à mobiliser l’opinion sur les objectifs de la guerre. En 1947, fort de cette expérience, le Pentagone installe à Hollywood un bureau de liaison, au plus près des studios. Sa mission consiste à apporter un appui direct aux scénarios et, surtout, une aide logistique par la fourniture de moyens – bases, avions, bâtiments de guerre, matériels, personnels. En échange, le Pentagone attend des scénarios positifs sur les armées. Dès lors, tout est en place pour bâtir
un complexe militaro-cinématographique. L’année 1947 correspond aussi au déclenchement de la guerre froide. Il faut donc rassurer, et donc insister sur le rôle fondamental des forces aériennes, ultime rempart du camp de la liberté,erté,, et ligneg de défense des États-Unis. C’est également l’année de la création du Strategic Air Command qui, tout en recourant à Hollywood, ajoute son propre message,, celui de la supréma-atie de l’Air Power.
Sur les écrans, lele SAC pourra asseoiroir son influence surr le Congrès et bloqueruer les ambitions de l’US Navy qui n’est pasas en reste dans la coursee aux budgets. L’USAF a un atout : la modernitéité de l’arme aérienne, lorsqueorsque l’US Navy commet ce que l’on pourrait qualifier d’erreur médiatique. Ne disposant pas encore de sous-marins nucléaires, les marins optent pour des scénarios vantant un passé glorieux, celui des combats du Pacifique ou de l’Atlantique, lorsque l’USAF se tourne vers les techniques de pointe, magnifiant les lignes argentées de ses bombardiers. C’est en T-33 que les aviateurs se déplacentplacent de bases en bases. LL’aviation sert de décorsd et de thèmesthèm à trois films mmajeurs : Le Gra n d Secret (Above and beyond) sorti en 1952, Strat Strategic Air CCommanom d (1951955) et Le Té Téléphone rouge ( A r Gathering of Eagles), ddistribué een 1963. CCes films ont en commun d’avoir reçu le soutiensoutie direct du SAC qui fournit avions et bases aériennes. Par souci pédagogique, l’USAF et Hollywood imposent de longues séquences documentaires, donnant un cinéma austère et taci- turne, fort heureusement compensé par des plans très soignés. En 1960, l’US Navy prend l’USAF à contrepied, en n’hésitant pas à se moquer d’elle-même dans Opération jupons (Operation Pettycoat). Servie par un Tony Curtis et un Carry Grant très en formes, cette comédie pétillante, par son succès en salle, passera à la postérité.
L’Air Power à l’ère nucléaire
Ces trois films correspondent à l’apogée du SAC. En effet, en moins de 10 ans, son chef, le général Curtiss LeMay, en fait une force considérable. Nommé à la tête du tout nouveau commandement en octobre 1948, il en est le patron jusqu’en juillet 1957. Le SAC passe alors de 837 appareils à 2 711, dont 600 ravitailleurs en vol. Les effectifs sont multipliés par quatre pour atteindre 224 000. Le tout occupe 38 bases à travers le monde. L’USAF est toutepuissante : en 1960, elle consomme 47 % du budget du Pentagone, l’US Navy 29 % et l’Army 22 %. En ces années 1950, la défense des ÉtatsUnis n’est alors pensée qu’en fonc-
tion de la stratégie nucléaire, délaissant d’autres formes d’engagement, d’autant que le SAC formalise les plans de frappes sur l’adversaire – le premier sous-marin nucléaire lancemissiles n’est en service qu’en 1960. Les séquences filmées des opérations aériennes viennent à ce stade démystifier un monde fermé au plus grand nombre. Hollywood parvient à composer avec le secret, tout en restant vraisemblable et, forcément, on succombe à l’esthétique des appareils. Le Strategic Air Command est servi par James Stewart, une carte maîtresse pour l’Air Force. L’acteur est aussi colonel de réserve avec 20 missions de guerre sur B-24 à son actif ! Peu après le film, il est nommé général une étoile. Outre ses immenses qualités d’interprétation, dans les westerns ou les Hitchcock, l’acteur est particulièrement convaincant dans l’univers de l’aviation qui met en scène les B-36 et les B-47. On l’écoute présenter le déploiement planétaire du SAC, cartes animées à l’appui. La caméra est placée dans les cockpits pour nous faire découvrir le travail d’équipage d’un B- 47 dans les moments critiques des missions. Dans Le Téléphone rouge, les B-52 et les salles de commandement informatisées (l’autre révolution du moment) sont bien là pour montrer que l’USAF est passée dans la modernité. Ces films confortent l’image d’aviateurs réfléchis, maîtrisant parfaitement leur machine, l’alignement parfait des avions et plans serrés faisant masse. De quoi rassurer le citoyen américain sur la capacité de défense des ÉtatsUnis, une musique symphonique aux relents frissonnants de patriotisme magnifiant le tout. Dans cette série de production, Le Téléphone rouge vise à rétablir une crédibilité mise en cause par le choc de la crise de Cuba. Ce sera le dernier film aéronautique de propagande de cette période de la guerre froide.
L’atome, une valeur positive
Des séquences pédagogiques sur la stratégie nucléaire s’insèrent dans les synopsis. C’est une discussion entre Tibbets et son commandement dans Le Grand Secret, un briefing aux équipages dans Strategic Air Command, un exposé devant une commission parlementaire en visite sur une base dans Le Téléphone rouge. Le texte est une recopie du discours officiel. La séquence de récitation du catéchisme du SAC remplit bien sa fonction, soutenue en cela par l’autorité de celui qui parle ; un scientifique, un haut gradé bienveillant. Plus encore, Le Grand Secret cherche à répondre à la question : pourquoi Hiroshima ? La démarche fait sens. Le raid avait fait débat au sein même des scientifiques du programme Manhattan. Robert Taylor, dans l’uniforme de Tibbets, donne la réponse : “Sauver 500 000 vies américaines, sauver aussi 500 000 vies au Japon, mais en quelques secondes en sacrifier 100 000.” La dissuasion nucléaire, en d’autres termes, la paix par la terreur, est née ce 6 août à Hiroshima : “Cette arme interdira ensuite toutes les guerres.” L’adversaire dans tout cela ? Chacun sait qu’il est désormais soviétique. Il n’est pas cité. Nul besoin : les aviateurs portent les valeurs de l’Amérique et de son mode de vie, occasion d’un défilé de clichés sur l’American way of life, le rêve d’une Europe de l’Ouest encore en reconstruction. La partie de base-ball dans Strategic Air Command survolé par un B-36 renvoie au match de beach-volley dans