Diabolique et inutile
Le Messerschmitt 163 “Komet”
Deuxième partie. Comment une arme miracle tourne au fi asco complet.
Les Allemands ont-ils cru au Messerschmitt 163 ? Cet avion, dans sa version de combat, ne dut son existence qu’aux incohérences d’un pouvoir totalitaire exercé par de dangereux incompétents. Dès qu’il se fut installé à la chancellerie, Hitler déversa des sommes considérables dans toute sorte d’instituts de technologie ou de bureaux d’études qui, dès lors, assurèrent leur pérennité en se targuant de résultats enjolivés malgré une longue succession d’échecs. Il s’agissait au départ de s’appuyer sur les bases solides d’une industrie souvent brillante pour compenser par des sauts technologiques les carences de la puissance militaire allemande.
Le Messerschmitt 163 “Komet” était le fruit de recherches tout à fait respectables sur un concept d’aile volante imaginé par Alexandre Lippisch. Faute d’installations pour une éventuelle production, ce dernier fut associé à Willy Messerschmitt, mais, très rapidement, les deux personnalités se trouvèrent en conflit, Messerschmitt défendant un pro-
duit concurrent apparemment plus raisonnable. Il était évident qu’avec son moteur-fusée qui, par définition, délivre des poussées exceptionnelles pendant une durée très courte, le projet de Lippisch aurait des capacités de combat très limitées comparées à un avion de chasse dont les deux turboréacteurs fourniraient une poussée équivalente mais plus durable. Lippisch finit par quitter Messerschmitt.
avril 1944, furent signés les marchés de série du 163B – B pour “Berta”. Sur r les 545 puis 1 800 exemmplaires commandés, moins oins de 200 furent construits. uits. Le 163B, plus gros, armé é avec deux canons de 20 ou 30 mm, n’était pas encore au point lorsque, le 26 juin 1942, le prototype fit son premier vol en planeur, sans armes ni équipements, remorqué par un bimoteur Me 110. Un deuxième prototype était attendu, entièrement équipé, mais toujours sans moteur.
l’époque, la Wehrmacht triomphait en pleine euphorie. Le développement du Me 163 n’avait aucun caractère d’urgence. Un an plus tard, la situation avait changé du tout au tout. Bloquées à l’Est, les forces allemandes attendaient à l’Ouest la marée grossissante des bombardiers lourds alliés et l’inévitable débarquement des armées anglo-américaines sur l’Europe continentale ; partout la Luftwaffe perdait ses avantages numériques et techniques ; son développement, jusque-là négligé, deve- nait une course contre la montre. Le Me 163B V21 VA+SS fut le premier “Berta” à décoller avec le nouveau moteur-fusée le 24 juin 1943. Quelques mois plus tard, pour le maintenir en état de vol, il fallut emprunter le moteur-fusée “froid” d’un Me 163A. L L’entraînement et la formation des pilotes étaient alors assurés par des planeurs dont un “StummelHabitch”, aux ailes rognées pour avoir les qualités de vol du Me 163A, et des Me 163A et B sans moteu moteur, parfois lestés avec de l l’eau, remorqués par des Me 110. 11
Les raids alliés perturbent les entraînements
la trentaine de 163B de série promise à la fin de 1943, deux seulement, V9 et V14, furent livrés les 24 et 31 décembre, tandis que les raids des aviations alliées perturbaient de plus en plus l’entraînement des jeunes pilotes allemands. En janvier 1944, le major Wolfgang Späte, champion de vol à voile, pilote de chasse hautement confirmé, commandant l’EK 16, comptait 27 pilotes stagiaires à transformer sur “Berta”. Pendant un vol de réception effectué avec le plein de carburant et de munition, Späte atteignit l’altitude de 13 500 m. Mais le “Berta” présentait un grand nombre de défauts encore à corriger, dont de fréquentes extinc- tions de moteur intempestives à l’origine de plusieurs accidents souvent fatals. Späte lui-même fut hospitalisé après une commotion cérébrale. Aussi enthousiasmant qu’il fût pour ses jeunes pilotes – il escaladait les cieux à plus de 10 000 pieds / minute (180 km/h) et filait à 600 ou 700 km/h en palier et manoeuvrait mieux que les meilleurs chasseurs à hélice à basse (250 km/h grand minimum) comme à haute vitesse – le Me 163 demeura toujours extrêmement dangereux à cause de sa motorisation.
partir d’une escadrille créée en janvier avec 12 Me 163B qui n’existaient pas, une escadre de Me 163 fut formée mi-février 1944, la Jagdgeschwader (JG) 400 avec les trois “Berta” livrés. La première “interception” par un Me 163 eut lieu le 14 mai par… le seul “Berta” disponible. Späte s’élança aux commandes du V21 que les mécaniciens avaient eu la malencontreuse idée de recouvrir avec 20 kg de peinture brillante rouge tomate. Guidé par radar, Späte découvrit très loin devant lui et plus haut quatre chasseurs américains (des P-47 selon les historiens Jeff Ethell et Alfred Price) croisant à environ 350 km/ h. En montée à pleine puissante, il rendit légèrement la main pour se maintenir plus bas ; cette faible accélération verticale négative suffit à éteindre la fusée, révélant un défaut récurrent du moteur. Deux minutes plus tard il put le rallumer mais, dans sa hâte, fasciné par sa proie qu’il approchait 500 km/h plus vite qu’elle, il oublia de surveiller sa vitesse et, à 960 km/h, fut surpris par le phénomène de compressibilité. Son aile gauche s’affaissa brutalement, tandis que le nez de son
avion passait sous l’horizon. Il n’eut plus rien d’autre à faire qu’à rentrer à la maison. Pendant ce temps, un deuxième escadron était positionné à Venlo, aux Pays-Bas, où il ne servirait à rien, tandis que le projet de Späte d’organiser un rideau défensif de 163 sur des bases établies tous les 100 km passait à la trappe.
En mai et juin, les opérations des Me 163 furent interdites, probable- ment à la suite de pannes du moteur, l’une d’elle ayant expédié à l’hôpital le chef d’escadron Robert Olejnik. Après la levée de l’interdiction fin juin, aucune mission n’aboutit – à cause du manque d’expérience des pilotes avec le guidage par radar et des performances de l’avion – jusqu’en juillet, quand l’unteroffizier Schiebeler réussit à accrocher un P-38 “Lightning”. Mais avant d’arri- ver à sa hauteur et à portée de tir, le moteur Walter s’éteignit, à bout de carburant. Le bimoteur put s’enfuir en piquant plein gaz sur le dos.
Le premier escadron de la JG 400 fut installé fin juillet 1944 à Brandis dans la région de Leipzig, avec pour mission principale la protection des usines d’essence synthétique – et de matières premières pour explosifs – à Leuna et Pölitz. Bénéficiant d’une aire de décollage de plus de 2 km de long, Brandis était trop éloigné de ces usines, et n’avait pratiquement pas d’installations ni pour le personnel, ni pour les avions, ni pour le stockage des ergols utilisés par les moteurs.
Pas le temps d’ajuster un tir
Les 163 décollaient seuls ou par deux ou trois, les uns derrière les autres, vers des formations de bombardiers, nombreuses à partir de la fin de juillet, évoluant à 20 ou 30 km de Brandis. Parfois certains s’élançaient en formation, ce qui, selon Späte, était extrêmement dangereux car, en rebondissant sur le sol après avoir été larguées, les roues de l’avion leader pouvaient aller frapper son ailier. “Plusieurs de ces groupes furent capables d’engager des formations ennemies. Mais s’ils purent attirer leur attention, ils ne réussirent pas à mettre des coups au but. C’est juste qu’ils n’avaient pas le temps d’ajuster un tir. Si nos pilotes avaient la chance de tirer, ou bien ils étaient trop loin, ou bien ils étaient trop près”, regretta Späte (1). Ils attaquaient à 800 km/h des quadrimoteurs volant à 350 km/h, la vitesse de rapprochement était d’environ 125 m/s. Dans l’hypothèse où la cible pouvait être encadrée dans le viseur à 500 m de distance, il fallait attendre encore environ deux secondes pour placer ses canons à portée, et tirer pendant une seconde avant de devoir dégager brutalement ! Le gros inconvénient du canon MK 108 de 30 mm était sa faible vitesse initiale. La trajectoire des obus, de ce fait peu tendue, imposait de tirer d’assez près. Par ailleurs, les accélérations d’un virage suffisaient pour l’enrayer.
Lorsque, en décembre 1944, Späte prit le commandement de la JG 400, la production des Me 163 avait été définitivement interrompue. Le général en chef de la chasse