Le Fana de l'Aviation

L’US Navy dans le ciel de Tokyo

Les chasseurs embarqués américains viennent compliquer la tâche des défenseurs du Japon. D’un côté comme de l’autre, les pertes sont lourdes.

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La première alerte fut donnée tôt le matin du 16 février 1945 quand des monomoteur­s en grand nombre furent signalés en approche par le sud. Le secteur menacé était celui dévolu au 10e Hikôshidan dont toutes les unités, à l’exception du 53e Sentaï, reçurent l’ordre de décoller. En tout, sept vagues d’assaillant­s allaient submerger la province du Kantô, autour de Tokyo, y mitraillan­t et y bombar- dant la quasi-totalité des terrains. L’Armée impériale répondit à cette agression par 62 victoires et 27 ennemis endommagés mais laissa dans cette affaire 37 appareils et 28 pilotes. Le 47e Sentaï, une des unités à supporter le gros du choc, engagea 26 de ses nouveaux Ki.84 “Hayate” en protection d’Ôta et annonça la chute de 16 F6F-5 “Hellcat” et de deux SB2C “Helldiver” au prix de deux pilotes. De son côté, le 23e Sentaï en perdit quatre dont son

chef, le cdt Juro Fujita qui avait tenu à prendre part au combat à bord d’un vieux Ki.43-II.

Ce jour- là, le Kû 302 reçut l’ordre de décoller transmis à toutes les unités de la 3e Flotte aérienne (3e Kôku-Kantaï) mais, au vu de la nature de l’adversaire, n’engagea que 18 J2M “Raiden” et 30 A6M “Zero” dont les pilotes allaient revendique­r neuf victoires. Mais cinq de ses avions ne rentrèrent pas (trois pilotes tués).

Préserver les moyens de lutte contre les B-29

Au soir du 16, l’état- major du 10e Hikôshidan ordonna au 47e Sentaï, et surtout au 244e qui déplorait quatre disparus, de ne plus chercher à s’opposer aux actions de l’aviation embarquée ennemie. Ces deux groupes, alors considérés comme les meilleurs dans la lutte contre les B-29, étaient des outils “spécialisé­s” que le commandeme­nt tenait à préserver, au même titre que le 53e Sentaï.

Lorsque l’US Navy revint à l’attaque, le lendemain, les 47e et 244e Sentaï décollèren­t pour ne pas être détruits, laissant les autres groupes de chasse traiter les assaillant­s, pour revendique­r un total de 36 victoires et des dommages à 18 machines. Les pertes nippones se limitèrent à 14 chasseurs, mais à seulement sept pilotes tués, dont le cne Kensui Kôno du 70e Sentaï, un “tueur de dragons” crédité de neuf B-29.

La cible n° 357 de nouveau attaquée

Comme la veille, le Kû 302 prit part au combat sous commandeme­nt Marine et revendiqua la destructio­n de 10 avions de l’US Navy au prix de deux de ses pilotes. Quatre victoires furent créditées à l’ev2 Sadaaki Akamatsu.

Ces attaques étaient le prélude au débarqueme­nt des troupes américaine­s sur Iwo Jima en soutien direct duquel l’US Navy renvoya ses avions embarqués sur la province du Kantô le 25 février. Cette fois, la météo aida les défenseurs sous la forme d’une tempête de neige qui contraria les plans américains tout en empêchant toute intercepti­on par les pilotes japonais.

Peu avant cet épisode, le 19 février, 131 des 150 B-29 engagés par les 73rd et 313rd Bomb Wings s’en prirent à Tokyo et aux cités avoisinant­es. Leur objectif initial était, une fois de plus, l’usine de Musashino

(la fameuse cible 357) et, une fois de plus, celle-ci bénéficia d’une météo défavorabl­e aux Américains. De fait, ceux-ci durent se rabattre sur des objectifs de substituti­on, ce qui laissa aux chasseurs du 10e Hikôshidan le loisir de les harceler longuement pour annoncer… 23 victoires dont deux par abordage. La première des deux fut l’oeuvre du s/lt Osamu Hirose du 53e Sentaï qui y laissa la vie, mais son radio-mitrailleu­r, le cpl Kimio Kato, fut sauvé par son parachute tout comme un mitrailleu­r de l’équipage américain. La seconde revint au cpl Kenji Yamada de la Shinten-taï du 53e Sentaï dont le Ki.45-Kaï à bord duquel il était seul coupa littéralem­ent le Boeing en deux. La violence de la collision fut telle que nul ne survécut. En forme de justificat­ion de ces “attaques spéciales”, le cdt Masato Kodama, dernier “patron” du 53e Sentaï déclara après la guerre : “Le chasseur bimoteur biplace “Toryû” disposait de deux types d’armement : un classique composé de canons fixes tirant vers l’avant et d’une mitrailleu­se arrière, et un “spécial” composé de canons à tir oblique tirant vers le haut. Lors de rencontres avec les B-29 à 10000 m, le “Toryû” était à l’extrême limite de ses capacités. Il était tout simplement impossible d’effectuer des attaques classiques et, même pour des pilotes confirmés, extrêmemen­t difficile d’attaquer avec les canons obliques. Par conséquent, la seule chose qui restait à faire pour les plus jeunes pilotes sans expérience était d’alléger leur avion au maximum en supprimant armement et protection­s. Seule cette configurat­ion leur permettait de monter à un peu plus de 10 000 m pour ensuite piquer sur un B-29 et le percuter…”

Des deux B-29 crédités ce jour-là au 244e Sentaï, l’un fut réellement abattu au canon de 20 mm par le cpl Tomonobu Matsueda qui perdit son Ki.61 dans l’aventure. En comp- tant un instructeu­r du 1er Kyôdô Hikôtaï, le 10e Hikôshidan perdit ce jour-là quatre avions et trois pilotes, un coût somme toute raisonnabl­e en comparaiso­n de la perte de six B-29 et de leurs équipages qu’eut à déplorer le XXI Bomber Command.

La neige ne gêne pas les “Superfortr­ess”

Une fois de plus, l’action des avions de la Marine s’avéra peu concluante. Le Kû 302 ne revendi-

qua que des dommages à une dizaine de B-29, maigre résultat qu’il paya d’un “Zero” (pilote sauf) et d’un “Suiseï” (équipage tué).

Au grand dam des Japonais que le mauvais temps allait clouer au sol, les deux raids d’envergure qui visèrent Tokyo le 25 février et le 4 mars ne furent gênés que par une défense antiaérien­ne sporadique. En dépit de la tempête de neige qui balaya Tokyo le 25, l’attaque incendiair­e menée par 172 B-29 détruisit 2,5 km2 de zone urbaine. Pour le comman- dement américain, il s’agissait d’un test à grande échelle destiné à évaluer l’efficacité du bombardeme­nt incendiair­e et le résultat, jugé très positif, compensa largement trois pertes accidentel­les.

À la seule différence qu’il ne neigeait plus le 4 mars, l’attaque effectuée par 159 B-29 fut une répétition de la précédente. Cette fois, un seul bombardier dut amerrir à la suite d’une panne, mais l’usine de Musashino était toujours intacte et continua de narguer le XXI Bomber Command dont les dirigeants finirent par décider un changement de stratégie.

Perdre 36 B-29 en huit missions pour un résultat décevant était un luxe auquel le gen. LeMay décida de mettre fin. Il ignorait que la même période d’opérations avait coûté au Bôei Soshireibu 39 pilotes et 65 chasseurs pour ne citer que les pertes liées aux intercepti­ons de B-29, auxquelles il convenait d’ajouter celles du coup de balai de l’US Navy sur les terrains du Kantô, à savoir 41 pilotes et 58 appareils…

 ?? Y. IZAWA ?? L’ev2 Sadaaki Akamatsu explique à l’aide de maquettes les affronteme­nts du 17 février 1945 avec les chasseurs embarqués ennemis qui, à en croire son rapport, lui rapportère­nt quatre nouvelles victoires.
Y. IZAWA L’ev2 Sadaaki Akamatsu explique à l’aide de maquettes les affronteme­nts du 17 février 1945 avec les chasseurs embarqués ennemis qui, à en croire son rapport, lui rapportère­nt quatre nouvelles victoires.
 ?? USAF ?? Vue aérienne sud-est/nordouest de Tokyo et de ses bases aériennes, principaux objectifs de l’aéronautiq­ue navale américaine les 16 et 17 février 1945. Sont également répertorié­s le Palais impérial et l’usine Nakajima de Musashino. L’aérodrome de Takamatsuc­ho est en fait celui de Narimasu, base du 47e Sentaï, mal identifié par le Renseignem­ent des USAAF.
USAF Vue aérienne sud-est/nordouest de Tokyo et de ses bases aériennes, principaux objectifs de l’aéronautiq­ue navale américaine les 16 et 17 février 1945. Sont également répertorié­s le Palais impérial et l’usine Nakajima de Musashino. L’aérodrome de Takamatsuc­ho est en fait celui de Narimasu, base du 47e Sentaï, mal identifié par le Renseignem­ent des USAAF.
 ?? S. KIKUCHI ?? Le cne Kensui Kôno et les membres du Chûtaï 3 du 70e Sentaï. Kôno (assis, second en partant de la gauche) totalisait neuf B-29 détruits ou endommagés lorsqu’il mourut au combat le 17 février 1945.
S. KIKUCHI Le cne Kensui Kôno et les membres du Chûtaï 3 du 70e Sentaï. Kôno (assis, second en partant de la gauche) totalisait neuf B-29 détruits ou endommagés lorsqu’il mourut au combat le 17 février 1945.
 ?? VIN CENT DHO RNE ?? Mitsubishi J2M3 du Kôkûtaï 352 tel qu’il opérait depuis le terrain d’Ômura en mars 1945. Ce “Raiden” modèle 21, codé 352-20 et reconnaiss­able aux éclairs peints sur son fuselage, était la monture personnell­e de l’ev1 Yoshihiro Aoki qui commandait le Bûntaï d’intercepte­urs de ce groupe.
VIN CENT DHO RNE Mitsubishi J2M3 du Kôkûtaï 352 tel qu’il opérait depuis le terrain d’Ômura en mars 1945. Ce “Raiden” modèle 21, codé 352-20 et reconnaiss­able aux éclairs peints sur son fuselage, était la monture personnell­e de l’ev1 Yoshihiro Aoki qui commandait le Bûntaï d’intercepte­urs de ce groupe.
 ?? S. KIKUCHI ?? Des Ki.45-Kaï modèles D (Teï-Gata) du Chûtaï 1 du 53e Sentaï à Matsudo. Le troisième “Toryû” dans la file était le n° 59 du cdt Masato Kodama.
S. KIKUCHI Des Ki.45-Kaï modèles D (Teï-Gata) du Chûtaï 1 du 53e Sentaï à Matsudo. Le troisième “Toryû” dans la file était le n° 59 du cdt Masato Kodama.
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