Les incroyables projets de Republic
Voici la galaxie des projets d’avions de combat signés Republic entre 1930 et 1980, fruits d’un prolifique bureau d’études dirigé de main de maître par un ingénieur brillant, Alexandre Kartveli.
Chasseurs lourds, avions à décollage vertical : l’incroyable bestiaire Republic.
Osons pour commencer une heureuse lapalissade : un bureau d’études, c’est fait pour… étudier. À partir de là, rien d’étonnant lorsque s’ouvrent les archives de bureau d’études que de trouver des montagnes de projets, de plans. Certains fanas de l’aviation cultivent ainsi en doctes entomologistes des collections d’appareils extraordinaires où se bousculent des chasseurs capables de dépasser Mach 5, des avions de transport géants, des bombardiers nucléaires, des navettes spatiales. Excellente occasion ainsi de situer l’état de la recherche chez un constructeur. Prenons par exemple Republic Aviation à travers la collection réunis par le photographe Howard Levy (lire Le Fana de l’Aviation n° 465 à 472). Pas autant d’appareils que ceux produits en 100 ans par Boeing, ni l’inventivité des “Skunk Works” de
Lockheed, mais ce fut pourtant un bureau d’études prolifique.
Pas de bureau d’études sans ingénieurs. Le premier nom qui vient est Alexandre Prokofieff de Seversky. Une personnalité marquante qui dépasse largement le cadre de cet article. Contentons-nous ici de dire que ce natif de la Géorgie baigne depuis son enfance dans l’aviation. Pilote de chasse pendant la Première Guerre mondiale, il quitte la Russie avec la Révolution et s’installe aux États-Unis. Il navigue dans le petit monde de l’aviation militaire et fonde en 1923 sa première société. La crise de 1929 entraîne sa banqueroute mais, peu après, de riches investisseurs de Wall Street lui permettent de se relancer. Il s’entoure alors d’un petit groupe d’ingénieurs, le plus souvent venus de la lointaine Russie. Entre en scène Alexandre Kartveli, lui aussi natif de la Géorgie. Un destin pas banal, qui l’a fait passer en France par SupAéro en 1922, puis chez Louis Blériot et les Avions Bernard. En 1927, il traverse l’Atlantique et devient l’ingénieur en chef de Seversky en 1931.
Premier avion, premier coup de maître
Kartveli mise sur le tout métal, d’abord avec un hydravion, le SEV-3, rapidement décliné à travers de multiples dessins en chasseur, le P-35. Ce dernier est fabriqué en série, avec plusieurs versions. Les études s’enchaînent dès lors. Apparaissent des projets plus originaux comme le “Super Clipper”, un transatlantique de 76 m d’envergure. Les chaînes d’assemblage tournent, cependant les actionnaires se lassent de Seversky et profitent de l’un de ses voyages pour l’évincer à la tête de sa société, qui prend alors le nom de Republic Aviation en octobre 1939. Kartveli conserve cependant la tête du bureau d’études et cultive une frénésie de projets, d’études.
Des chasseurs lourds mais solides
Le P-35 conduit son concepteur à lui trouver un successeur encore plus réussi. Cette quête passe par toute une série de projets. Certains demeurent au stade d’ébauches sur le papier, d’autres font l’objet de dossiers assez avancés pour être présentés aux militaires. Citons entre autres le P- 44 “Rocket”, resté au stade de la planche à dessin. Kartveli ne se décourage pas et dessine l’AP-10 – la légende veut que l’ébauche fût griffonnée sur une enveloppe. Il tient son chasseur de nouvelle génération. Avec chacun des noms tournant autour du tonnerre (“Thunder” en anglais), le P- 47 “Thunderbolt” lance une lignée de chasseurs lourds mais solides qui font la réputation de leur constructeur. L’avion est perfectionné tout au long de la Deuxième Guerre mondiale.
Autre chasseur avec le projet AP-18, un intercepteur haute altitude qui prend la désignation officielle de XP- 69. Il est issu d’études lancées sur un avion équipé d’un moteur placé au centre du fuselage, comme sur le Bell P-39. Un premier projet, le AP-12 “Rocket”, fut proposé en 1940 avec le puissant Wright R-2160 “Tornado” (2 500 ch). Il évolua en 1941 vers le XP- 69, géant de près de 8,4 t à vide, 12 t au maximum. Le projet se prolonge jusqu’au stade de la soufflerie, avant d’être abandonné en mai 1943.
Alors que projets et fabrications en série indiquent que Republic se spécialise dans les chasseurs, en 1943 apparaît sur les planches à dessin un élégant grand quadrimoteur de reconnaissance, le XF-12 “Rainbow” (premier vol le 4 février 1946). Republic en pro-
pose un dérivé, le RC-2, capable de transporter 46 passagers. Les compagnies aériennes Pan Am et American Airlines sont séduites. Cependant, le RC-2 ne peut rivaliser avec les appareils de Boeing, Douglas et Lockheed, et termine dans la corbeille à papier. Le RC- 4, plus petit (14 passagers), n’intéresse pas d’avantage les compagnies aériennes. Les propositions d’avions embarqués ne connaissent pas plus de succès auprès de l’US Navy. Seules les études d’un petit hydravion fi nissent par déboucher sur le RC-3 “Seebee”, unique succès de Republic sur le marché civil (1 060 exemplaires).
Le temps de la réaction
Le grand saut technologique suivant est la propulsion à réaction. Avant même la fi n du confl it, les ingénieurs se penchent sur l’installation d’un réacteur dans une cellule de P- 47. Les études débouchent sur le P-84. Là encore, l’avion évolue au fil des recherches, adoptant l’aile en flèche (F-84F), puis les entrées d’air à l’emplanture des ailes (RF-84F). C’est encore une réussite et les chaînes tournent à plein régime. Le bureau d’études noircit par dizaine des plans sur les tables à dessins. L’AP-31 modélise un chasseur su- personique avec une particularité qui ne manque pas d’attirer l’attention : son aile a une épaisseur et une corde plus grande à l’extrémité qu’à son emplanture. L’US Air Force en commande un prototype, le XF-91 “Thunderceptor” (premier vol en mai 1949). Kartveli poursuit sa quête d’un chasseur performant. Citons l’étonnant AP-54, qui a comme caractéristique majeure de reprendre l’incroyable voilure du XF-91. Autre projet, l’AP-55, qui adopte un empennage en V inversé.
Les études sur un successeur du F-84 commencent au tout début des années 1950. Elles se focalisent sur l’AP- 63 qui intéresse les militaires ; ils lui donnent la désignation de F-105 “Thunderchief” (lire le hors-série “Classique” du Fana de l’Aviation n° 61). Le début des années 1950 marque une période très ambitieuse avec le lancement d’un chasseur à grande vitesse. Rien de moins que Mach 3, quand les premiers supersoniques peinent à atteindre Mach 2. Kartveli voit les choses en grand avec l’AP-57, un appareil entièrement en titane, équipé d’un puissant statoréacteur combiné à un turboréacteur et emportant six missiles en soute. Un prototype est commandé avec la désignation XF-103. Les études se heurtent à d’innombrables problèmes techniques, notamment l’usinage du titane. En août 1957 tout s’arrête, le projet engloutissant au passage 109 millions de dollars. Les études sur un chasseur à hautes performances se poursuivent un temps avec l’AP-75, grand bimoteur. L’US Air Force opte pour le F- 4 “Phantom” II.
Citons parmi les projets restés lettre morte l’AP-76, concurrent du North American X-15 ou le AP-96, une navette spatiale.
Dans une position délicate
Au début des années 1960, Republic aligne des projets dans le concours TFX (avion de frappe tactique), qui vise à équiper l’US Air Force et l’US Navy d’un avion de combat à aile à géométrie variable. General Dynamics l’emporte néanmoins. La fabrication en série du F-105 occupe alors les usines, mais les programmes militaires se font moins nombreux. Autrefois au pinacle, Republic se retrouve bientôt dans une position délicate. En 1965, Fairchild, dont les usines sont voisines, en prend le contrôle. Le bureau d’études poursuit néan-
moins ses travaux, notamment dans le cadre du grand concours pour un chasseur apte à faire face au MiG-25. Le programme FX (chasseur du futur) entraîne des études en soufflerie à la fin des années 1960. Las, c’est McDonnell Douglas qui gagne la compétition avec le futur F-15.
filière des avions de combat à décollage et atterrissage verticaux (Adav) semble prometteuse dès les années 1950. Un des premiers projets consiste à modifier le F-84 pour qu’il puisse décoller verticalement. Inutile de dire que l’avion est totalement transformé, avec des réacteurs sur les ailes et d’autres placés à la verticale dans le fuselage. Kartveli dessine en 1960 l’AP-100, avion de combat massif avec trois soufflantes animées par six réacteurs. Trop compliqué, vite oublié. Peu après, Republic et le Néerlandais Fokker font équipe pour l’Otan avec le projet D-24 “Alliance”, étudié autour du réacteur à poussée vectorielle Bristol Siddeley “Pegasus” (qui propulse le “Harrier”) et d’ailes à géométrie variable. “Alliance” ne dépasse pas le stade de la maquette.
projet sur le même thème : un avion de combat en collaboration avec les Allemands de EWR (Entwicklungsring Süd – regroupe Bölkow, Heinkel et Messerschmitt). Tuyères basculantes, réacteurs rangés en soute qui se déploient pour le vol vertical, aile à géométrie variable