Le Fana de l'Aviation

Cessna “haute visibilité”

Le grand classique Cessna 195 connut également une discrète carrière militaire, évoquée ici par une restaurati­on aux couleurs – elles – peu discrètes.

- par Xavier Méal

Un LC- 126C porte l’uniforme américain pour le plus grand plaisir des yeux.

Aux Etats-Unis, si vous prononcez le nom de Mike Barron dans le cercle des initiés des avions dit “classiques” (construits entre 1945 et 1955), on vous répond tout de suite “Cessna 195”. Et vice-versa. Et pour cause, sa société Barron Aviation, à Perry dans le Missouri, est depuis deux décennies synonyme de “tout ce dont vous pouvez avoir besoin si vous avez un de ces légendaire­s Cessna 195”. Lancé en 1947 – la même année que le Beech “Bonanza” –, le Cessna 195 est un délicieux anachronis­me quand on le regarde avec 60 ans de recul. Sa production débuta en juillet 1947 et se poursuivit bien longtemps après que les moteurs à plat soient devenus le standard de l’aviation générale. Son moteur en étoile et son train classique en font au premier coup d’oeil un pur produit de ces années dites dorées de l’aviation américaine – l’entre-deux-guerres – mais en fait seules ses lignes gracieuses sont issues de ces années-là. Car sa cellule entièremen­t en aluminium bénéficia de toutes les avancées techniques issues du formidable accélérate­ur technologi­que qu’avait été la Seconde Guerre mondiale, la plus visible étant son aile cantilever, sans le moindre mât. Aujourd’hui encore, environ 500 à 550 des 1 180 Cessna 195 construits volent encore, et Mike Barron estime qu’une centaine dort dans divers états dans des hangars ou des granges. Mais très peu sont des LC-126, la version militaire du légendaire 195 – et la moins connue. Durant le rassemblem­ent AirVenture, à Oshkosh dans le Wisconsin, il suffit d’arpenter quelques minutes le “carré des Cessna 195” – qui en regroupe plusieurs dizaines d’exemplaire­s – pour finir immanquabl­ement par tomber sur le campement de Barron Aviation. Si le maître des Cessna 195 n’est pas déjà en grande discussion, une question toute simple suffit à le lancer : en quoi le LC-126 diffère-t-il de son homologue civil ? Et c’est parti !

“Alors que la guerre de Corée débutait, explique alors Mike Barron, l’US Army et l’US Air Force se mirent en quête d’un avion utilitaire, capable d’opérer dans des environnem­ents très différents tout en emportant une charge utile appréciabl­e à bonne vitesse. Les fantassins voulaient un utilitaire polyvalent, l’Air Force un avion de secours aériens pour les régions arctiques. Ils n’eurent pas à chercher

bien longtemps, car le Cessna 195 “Businessli­ner” offrait tous les attributs recherchés dans les deux cas. Les militaires américains établirent une longue liste de modificati­ons afin de s’assurer que l’avion, qui serait désigné LC-126, soit en mesure de s’acquitter des tâches qui allaient lui incomber quel que soit l’endroit où il serait et quelles que soient les conditions auxquelles il serait confronté.

Au total, Cessna produisit 83 LC-126, en trois versions. Quinze LC-126A furent achetés par les militaires en 1949 et livrés en 1950. Cinq LC-126B furent achetés en 1951, et 63 LC-126C en 1952. Chaque LC-126 fut livré en configurat­ion sur roues, mais avec une paire de flotteurs EDO 3430 et une paire de skis. Ces avions furent utilisés comme “bonnes à tout faire” et pour l’entraîneme­nt.

Décliné en trois versions

La version A était en grande partie un Cessna 195 standard, auquel on avait néanmoins ajouté une portetrapp­e de secours sur le côté gauche, un compartime­nt à bagages agrandi, un kit de fi xation des flotteurs, un marche-pied et des poignées externes pour accéder plus facilement audessus de l’aile, un équipement radio spécifique, une porte principale éjectable, des plans verticaux auxiliaire­s sur le plan horizontal de la queue pour la configurat­ion hydravion et des anneaux pour pouvoir soulever l’avion avec une grue. Les 12 premiers LC-126A furent affectés en janvier 1950 au 10th Air Rescue Squadron basé à Elmendorf, en Alaska. Il s’avéra vite que les skis fournis avaient du mal à le porter dans les 2,50 m de neige fréquemmen­t rencontrés dans les régions arctiques et ils durent être élargis. Ceci mis à part, le LC-126 fut immédiatem­ent apprécié par les pi-

lotes et tout autant par les mécanicien­s du fait de sa maintenanc­e très facile.

La version B était basée sur la A, à laquelle on avait ajouté un couvercle sur le chauffage installé dans la cabine, le kit de train d’atterrissa­ge par vent de travers Goodyear et de l’équipement radio. Elle était destinée à l’Army National Guard pour l’entraîneme­nt au vol aux instrument­s.

La version C, la plus modifiée des trois, vint après que les militaires eurent bien évalué les versions A et B. Elle comportait tout ce qui a été décrit précédemme­nt, plus un compartime­nt à bagages agrandi auquel on accède par une grande trappe, qui permettait l’emport d’une civière simple ou double, deux feux (blanc et jaune) à l’extrémité du cône de queue, des sièges baquets recevant un parachute et un habillage de cabine et de sièges capitonné. Il recevait encore une trappe d’évacuation type hydravion sur le côté gauche du fuselage, et tout l’intérieur de la cellule était protégé par une bonne couche de zinc-chromate. Les LC-126C furent déployés partout aux Etats- Unis, certains servant ici ou là d’avion personnel à un officier supérieur, mais aucun ne fut utilisé en Corée.”

En quête du Cessna 195 version warbird

La majorité des LC-126 furent finalement affectés aux unités de la Garde Nationale, et au moment de l’introducti­on du nouveau système inter-service de désignatio­n des aéronefs militaires en 1962, il ne restait déjà plus aucun LC-126A en compte. Les LC-126B reçurent la nouvelle désignatio­n U-20B, les LC-126C devenant U-20A.

La Garde Nationale continua de les utiliser jusqu’en 1963, une douzaine passant ensuite sur le registre civil. Le LC-126A matricule 491949 a atterri au National Museum of the US Air Force sur la base de Wright-Patterson, dans l’Ohio, et un LC-126C est conservé par le United States Army Aviation Museum à Fort Rucker, dans l’Alabama, où il servit au sein de l’école de pilotage de l’Army. Quatre LC-126 sont connus pour avoir été transférés à l’US Navy, bien que leur utilisatio­n réelle par la marine américaine ne soit pas attestée.

“Je voulais un LC-126C, poursuit Mike Barron, non seulement parce que c’est une sorte de warbird, mais aussi parce que pour mes affaires et notre style de vie familial, il était plus adapté qu’un Cessna 195 standard. Le grand compartime­nt à bagages qui ouvre sur la partie arrière de la cabine

permet de transporte­r une hélice ou des pièces de bonne taille jusque chez nos clients. Ou d’emporter tout ce qu’il faut pour partir camper dans la forêt !” Il fallut plusieurs années de patience à Mike Barron avant de mettre la main sur l’avion tant désiré. “Ce LC-26C est le numéro de série 7815, produit par Cessna en 1952 et qui reçut le matricule 516972 avec l’US Air Force. Il a servi à Fort Rucker, au moins durant les dix dernières années de sa carrière militaire, puis est devenu l’avion du Fort Rucker Flying Club jusque vers 1962. Quand il a été vendu comme surplus, il est parti au Texas où il a volé jusqu’en 1967 puis a été démonté. Il a été ensuite acheté par le défunt Thomas Henley, qui l’a restauré et fait voler à nouveau en 1991. Je l’ai acheté à ses fils en 2002.”

10e escadron de chasse et de pêche...

La famille Barron fit voler le LC-126C pendant deux ans avant de décider de le restaurer. “Nous avons remplacé quelques tôles du fuselage, remis un Jacobs R-755-A2 de 300 ch accouplé à une hélice Hamilton Standard 2B20 – la combinaiso­n correcte pour un LC-126 –, réinstallé le kit de train d’atterrissa­ge Goodyear spécial vent de travers qui permet de garder les roues alignées sur l’axe de la piste même avec l’avion “en crabe” jusqu’à 25°. Puis nous avons décidé de lui donner la livrée d’un LC-126A du 10th Air Rescue Squadron – celle du matricule 49-1948, le deuxième exemplaire de la série des LC-126A –, à la fois pour des raisons esthétique­s mais aussi parce que son emploi par cette unité a généré quelques-unes des anecdotes les plus excitantes de l’histoire de l’aviation militaire – hors récits de combats. Certes, ce LC-126C particulie­r n’a jamais volé en Alaska, mais les gars du 10th ont accompli des choses héroïques et cette livrée est vraiment attrayante.

En Alaska, l’ennemi était la météorolog­ie, les distances et la topographi­e. Au vu des challenges, c’est un quasi miracle que quelques LC-126 aient survécu. Il nous arrive fréquemmen­t, sur les rassemblem­ents d’avions anciens et sur les spectacles aériens, de rencontrer des gars qui ont piloté le LC-126 dans l’Air Force. Beaucoup d’entre eux ont opéré en Alaska, où ils ont atterri sur à peu près toutes les surfaces possibles… On nous a ainsi relaté des atterrissa­ges sur des crêtes rocheuses, des routes de terre sinueuses, des rives de cours d’eau et jusque dans 2,50 m ! Ces vétérans nous ont raconté que l’avion s’enfonçait parfois d’un mètre dans la neige et qu’ils avait dû creuser pour placer des rampes devant l’avion pour le ramener “à la surface”. Leur procédure d’atterrissa­ge court standard était quelque chose de... particulie­r ! Ils ralentissa­ient jusqu’à juste un poil au-dessus de la vitesse de décrochage, contrôlaie­nt le taux de descente et l’angle avec la puissance, puis montaient sur le frein juste avant que l’avion touche le sol et restaient fermement appuyés dessus ! L’avion touchait la queue en premier et s’arrêtait en environ 30 m ! J’ai déjà pratiqué ce genre d’atterrissa­ge avec un Helio “Courier”, mais je n’ai jamais essayé avec un 195 et ne le ferai que si je n’ai plus d’autre option ! Ces gars en ont vu de toutes les couleurs… Le 10th Air Rescue Squadron était aussi surnommé “10e escadron de chasse et de pêche”, car il fournissai­t parfois ses services aériens à des VIP venus en Alaska pour une partie de pêche ou de chasse… Tous les vétérans nous ont raconté qu’ils manquaient toujours de place pour caser dans l’avion tout ce qu’ils avaient à emporter ; alors ils avaient l’habitude d’attacher tout et n’importe quoi sur les flotteurs… Ça volait un peu de travers parfois, mais c’était très acceptable selon eux ! Ils ont tous gardé un attachemen­t et des souvenirs très forts avec cet avion.” Prochain projet pour Mike Barron : aller avec son LC-126 jusqu’en Alaska !

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Mike Barron aux commandes de son LC-126C sur le lac Poygan, non loin d’Oshkosh, dans le Wisconsin.
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NMUSAF Le LC-126A matricule 49-1949 est préservé dans sa configurat­ion hydravion du 10th Air Rescue Squadron, au National Museum of the US Air Force, sur la base de WrightPatt­erson, dans l’Ohio.
 ?? XAVIER MÉAL ?? Quand Mike Barron expose son LC-126C au sol, il équipe le poste de pilotage avec le matériel d’époque qu’il a pu retrouver ici et là comme ce casque radio.
XAVIER MÉAL Quand Mike Barron expose son LC-126C au sol, il équipe le poste de pilotage avec le matériel d’époque qu’il a pu retrouver ici et là comme ce casque radio.
 ?? XAVIER MÉAL ?? Le tableau de bord a retrouvé sa configurat­ion militaire d’origine.
XAVIER MÉAL Le tableau de bord a retrouvé sa configurat­ion militaire d’origine.
 ?? XAVIER MÉAL ?? Le compartime­nt à bagages permet de loger une civière.
XAVIER MÉAL Le compartime­nt à bagages permet de loger une civière.
 ?? XAVIER MÉAL ?? Les lignes élégantes du Cessna LC-126C sont inspirées des années 1930, mais sa constructi­on entièremen­t métallique est moderne.
XAVIER MÉAL Les lignes élégantes du Cessna LC-126C sont inspirées des années 1930, mais sa constructi­on entièremen­t métallique est moderne.
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Les avions du 10th Air Rescue Squadron opérant en Alaska et jusque dans les régions arctiques recevaient des marquages haute visibilité, afin d’être très visibles du ciel quand ils étaient au sol.

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