J’ai piloté le Loire 45
Dans le n° 30 du magazine de février 1972, Jacques Lecarme, pilote d’essais, nous fit découvrir le Loire 45.
Jacques Lecarme nous raconte le Loire 45 en février 1972.
Le programme 1930 d’intercepteurs fut un compromis boiteux entre exigences de groupes de pression. La vieille garde voulait du Spad 7, et refusait “de combattre derrière une vitre” (général Pinsard). Les esprits avancés voulaient l’aile basse pour y voir. D’autres eurent le snobisme de l’aile “polonaise” (1) et de l’aile haute. Pour “tout voir”, on fit faire par Hanriot un bipoutre à hélice arrière.
Indépendamment de la “formule”, les ingénieurs choisis étaient plus ou moins talentueux, moins ou plus bourrés de préjugés. Si bien que certaines solutions furent éliminées pour motifs très variés, aérodynamiques ou technologiques.
Le Cema [Centre d’essais du matériel aérien] ayant reçu en septembre 1933 les Loire 45 et Mureaux 170, et les qualités de vol analysées, un simple essai de combat entre le rédacteur et le capitaine de Fonds Lamothe, avec échange des armes à la mi-temps, fut concluant.
(1) Surnom donné pour l’aile “mouette” rendue célèbre par la série des chasseurs polonais PZL dont s’inspirait le Loire 45. Aucun de ces deux avions ne pouvait être accepté et jamais les deux faux combattants n’avaient eu si peur…
Le concours des avions d’interception de 1930 avait essayé de créer pour ces avions la visibilité avant. Nous disons bien créer, car la visibilité de combat des Nieuport 62, Spad 91 et LGL 32 était nulle.
Malheureusement, au lieu d’expérimenter en vol, on créa de toutes pièces un règlement de points sur les zones entourant l’axe de visée. Bien sûr, pour gagner, il fallait obtenir le meilleur total des points, et non pas la meilleure visibilité ! Le lt Ruth créa alors un appareil photo qui, mis à la place des yeux du pilote, avec déplacements de tête possibles, permettait un enregistrement rigoureux des secteurs morts. Faute d’objectifs à grande ouverture, on utilisait un sténopé (trou d’aiguille) et de longues poses. Puis les “Techs” (nom donné par les pilotes d’essais du Cema ou CEV aux esprits supérieurs) cotaient suivant un barème.
Le rédacteur fut alors prié par le col. Gastin, responsable de la CAP [Commission d’admission des prototypes], de trouver autre chose. Après essais et nombreuses mesures sur
tous avions, de tous pays, on trouva que le système des points pouvait être retenu, après modifications sérieuses, sous les deux conditions suivantes :
1- la première, absolue. L’horizon, et plus ou moins 10° en dessus et au- dessous, doit être entièrement visible, en vol et l’atterrissage. On admet pour cela des mouvements de tête raisonnables, plus ou moins 5 cm en hauteur, plus ou moins 20 cm latéralement, pour recouper les secteurs visibles ;
2- la seconde. La visibilité à la verticale basse, exigée par le programme (voir échancrure, néfaste aérodynamiquement, du D. 500) était secondaire. Il était bien plus important de voir en virage, tout l’intérieur de ce dernier.
“On pouvait enfin atterrir en voyant devant”
La condition amena le rédacteur à proposer au bureau d’études de Saint-Nazaire, M. Pérez, de tordre les racines infléchies de l’aile du Loire 45, pour les voir par la tranche et de les amincir. Par oscillations de tête, on recoupait les secteurs et la condition 1 était remplie. MM. Perez et Asselot réussirent à modifier l’avion à une vitesse record et les conséquences aérodynamiques furent peu notables. On pouvait enfin atterrir en voyant devant. Si la section centrale de l’aile masquait deux secteurs vers le centre, elle était plus haute que la tête du pilote qui voyait donc l’horizon. Pour le Mureaux 170, dont l’aile était à plat sur le fuselage, ce fut très difficile. L’avion, merveilleux grimpeur, resta aveugle de 9 heures à 3 heures, l’atterrissage se faisant en regardant les roues…
Pour la deuxième condition, elle fut contestée durement par le haut commandement. Le rédacteur a entendu le gén. Pinsard affirmer : “L’aile basse est inadmissible. À la grande rigueur, j’accepte le biplan !” Le Loire 45, heureusement, fut réalisé par une équipe excellente ; il était irréprochable sur la tenue aux efforts, la qualité du travail, l’aménagement. En qualités de vol, l’avion était excellent en profondeur qui n’eut pas à être retouchée. Comme tout le monde à l’époque, il dut subir une augmentation de dérive vers le haut, faite sur place d’ailleurs, au début, au moyen d’un “chapeau”.
La plaie de cet avion fut le moteur. Non pas qu’il eût été mauvais, car il était supérieur en endurance à l’Hispano (à la réputation due au bel émail noir des groupes de cylindres). Mais à l’époque, il y eut sur K 14 des troubles de carburation difficiles à comprendre. Après bien des vols au Cema sur la tête de série des Loire 46, on constata, à la fois, du givrage par-ci par-là, et surtout, l’émulsion de l’essence, par les vibrations, dans la cuve carburateur. Le remède de la suspension élastique du moteur ne fut apporté que plus tard à cause du flottement sur Bloch 200, vers le milieu 1934 je crois.
En voltige, l’avion était honnête. Moins brillant que le Dewoitine 500 mais très supérieur au pauvre Spad 510, si médiocre sur tous les points. ■