Le Fana de l'Aviation

Le “Fennec” en action dans le Djebel

Deuxième partie. Des pilotes témoignent des actions menées en Algérie sur T-28, alors que les accords d’Évian approchent.

- Par Alain Crosnier

Deuxième partie. Les pilotes racontent les missions à la fi n de la guerre d’Algérie.

Regroupées, toutes ces escadrille­s étaient maintenues sur des terrains qu’elles connaissai­ent et continuaie­nt à opérer sur des zones familières. Face aux difficulté­s et menaces, les aviateurs étaient désormais mieux armés. Le T-28 surclassai­t largement le T- 6 pour toutes les missions normalemen­t dévolues à cet avion grâce à des performanc­es meilleures, un armement supérieur et une très bonne visibilité. Ses qualités de vol et sa réserve de puissance allaient en faire un appareil beaucoup plus sûr et, notamment, assurer une bonne protection au pilote grâce au blindage du poste avant.

“En 1961- 1962, nous disposions d’un excellent avion, le T-28 “Fennec”, rappelle Jean Vergnaud pilote au 3/4, deux fois plus puissant et beaucoup mieux armé, notamment avec ses quatre mitrailleu­ses de 12,7 mm. Sa puissance permettait d’intervenir plus efficaceme­nt dans des endroits “pointus” avec une plus grande sécurité. En revanche, le moteur était un peu plus fragile que celui du T- 6. Mais, sur la fin… il n’y avait pratiqueme­nt plus d’ennemi ! Sur le terrain, la guerre était gagnée, mais une guerre ne se gagne pas que sur le terrain.”

Un avion qui plaît à ses pilotes

Le T-28 présentait certains défauts : une autonomie plus faible, une conduite au moteur assez délicate, une vitesse de croisière relativeme­nt élevée et un emploi limité au

La tortue “caret“verte à carapace d’or chargée d’un foudre noir, insigne de la 2e Escadrille de l’EALA 3/4.

début sur les pistes et parkings en dur en raison d’une garde au sol de l’hélice assez faible. Cependant, il plaisait bien aux pilotes à en croire le cne Jacques Drapier du 3/5 : “Mon premier vol sur T-28 “Fennec”, notre nouvel avion d’armes, remonte au 30 décembre 1960. Cet avion me plaît. Ce n’est pas une nouveauté, d’ailleurs j’aime tous les avions que je pilote. Notre secteur d’opérations est identique à celui de mon premier séjour, à une variante près, la présence permanente dee deux détachemen­ts, l’un à Geryville,ille, l’autre à Aflou. L’implantati­on ation rebelle se situe esssentiel­lement sur r la chaîne montagneus­e des Ksour et vise à faciliter la migrationi­i AlgérieAl é i Maroc et vice-versa des katibas fella- gas. Pour la 13e DI [division d’infanterie], les difficulté­s proviennen­t de l’ALN [Armée dde libération nationale]nale] installée au Maroc, tout au lonlong de la frontière aalgéro- marocaine, dde Figuig au Sud, au Djebel El AAbed au Nord. Des bataillons bienbie armés tentent et réussissen­téi quelquefoi­sl à franchir le barrage électrifié. Des éléments plus

Notre attaque est immédiate, tout d’abord à la roquette puis aux armes de bord

légers sont destinés à poser des mines sur les pistes entre la frontière et le barrage, mines qui sont à l’origine des destructio­ns fréquentes de nos véhicules de transport militaire. Le général Ginester en a assez. Il me demande d’intensifie­r nos missions aériennes à l’encontre de ces forces partout où elles se trouvent. En janvier 1961, les reconnaiss­ances sur la frontière et au-delà commencent à porter leurs fruits. Rares sont les missions sans utilisatio­n de notre armement. Sous la pression, les “fells” de la zone 8 réagissent et donnent du travail supplément­aire à nos mécanicien­s obligés de mettre des pansements sur les impacts de balles criblant nos avions.

Le 16 mai 1961, sur renseignem­ent du 2e bureau de l’état-major, un bataillon de l’ALN au Maroc s’apprêterai­t à forcer le barrage dans la zone Ouest du djebel Beni- Smir. Il se trouverait situé dans un carré de 10 km sur 10. Après étude de la carte, un site avec un point d’eau semble convenir à un important bivouac. Le 17, décollage de nuit en patrouille à quatre avions. Après une approche à très basse altitude, face au vent, je découvre le cantonneme­nt. Au fond d’un oued encaissé, des feux de camp regroupent les “fells”. Notre attaque est immédiate, tout d’abord à la roquette puis aux armes de bord”.

Un autre pilote nouvelleme­nt arrivé à Méchéria, le lt Claude Brunet, conserve un souvenir particulie­r de l’une de ses premières missions : “Le 15 novembre 1961 à l’EALA 3/5, j’étais “Cagna vert” [indicatif radio] et volais sur le Fennec n° 85, équipier d’une patrouille légère leadée par le lieutenant Cunha, mission W 5773. Le commando Georges (1), formé exclusivem­ent d’anciens fellagas passés dans notre camp – de sacrés bonshommes ces gars-là – avait accroché un groupe de fellagas de la

Katiba 531 entre les djebels Tendrara et Khorche à 40 km au sud- est de Méchéria, dans le Sud Oranais. La patrouille a été engagée et j’ai effectué une passe de tir roquettes de 68 mm sur un fellaga mais une balle de mitrailleu­ses MG 42 a atteint le régulateur d’hélice de mon avion. Toute l’huile bouillante du moteur s’est alors échappée en quelques secondes par cet orifice, couvrant mon pare-brise d’huile. J’étais à 600 pieds [180 m] et ne pouvais plus rien voir. L’hélice est passée instantané­ment au grand pas, puis le moteur a grippé et s’est arrêté. J’avais sous les ailes deux bidons de napalm, des roquettes et mes mitrailleu­ses. Bien trop bas pour sauter en parachute, je me suis crashé un peu au hasard droit devant, n’ayant le temps ni le réflexe de me débarrasse­r de mes bidons, ni de couper les magnétos, ni de fermer le robinet de carburant : toutes les conditions pour faire un beau feu d’artifice ! En heurtant le sol, l’aile gauche a été arrachée, l’avion s’est mis sur le nez puis, miracle, est retombé sur le ventre

Bien trop bas pour sauter en parachute, je me suis crashé au hasard droit devant

dans un étrange et assourdiss­ant silence. Je suis descendu de mon appareil en emmenant les quartz radio, ma carabine US,S, mes cartes et documents et, avec mon navigateur le lt Ribot, nous nous sommes cachés derrière une touffe d’alfa car des musulmans approchaie­nt à une centaine de mètres ; nous étions incapables de voir si c’étaient des rebelles ou des membres de “Georges”. Mon leader tournait au- dessus pour assurer notre protection. Un hélhélico est arrivé. RRécupérat­ion en NNU 70 C 94 (2), et reretour base. Après unune brève visite mémédicale, nous avoavons repris les vols normalemen­t et, par la suite, j’ai eu l’occasion d’accompagne­r “Georges” en opérations”.

En juin 1960, l’EALA 3/9 avait pris à son compte la transforma­tion des pilotes destinés aux autres escadrons de T-28 en cours de constituti­on. Au début de 1962, un OTU (Operationa­l Training Unit) T-28 était installé à Blida auprès du 3/9. Cette unité était réservée à l’entraîneme­nt des pilotes élémentair­es de réserve (PER) affectés dans les escadrons de T-28 ainsi qu’aux pilotes parrainés par leur escadre de chasse effectuant leur premier séjour en Algérie. Ces PER arrivant en Algérie avec 120 heures de vol seulement devaient en effectuer 60 au sein de cet OTU – 15 heures pour les pilotes parrainés.

Suite à la dissolutio­n à l’été 1961 des dernières unités de T- 6, la 5e RA (Région aérienne) obtenait en mars 1962 une augmentati­on de ses moyens en “Fennec” qui étaient alors portés à 124 exemplaire­s.

En ce même mois de mars étaient signés les accords d’Évian entraînant une réduction des forces françaises.

Si les compressio­ns successive­s imposées alors à l’armée de l’Air en Algérie n’avaient pas encore touché

les formations de T-28, en mai leur sort était déjà scellé dans l’esprit de l’état-major de la 5e RA. Après avoir pensé un moment à déployer un escadron à Oran pendant ce que l’on appelait la “période d’apaisement”, un message de la 5e RA daté du 20 juin 1962 avisait l’état-major de l’armée de l’Air à Paris du calendrier prévu pour le repli des EALA en métropole : l’EALA 3/9 sur Dijon la première semaine d’août, l’EALA 3/5 sur Villacoubl­ay la deuxième semaine d’août, l’EALA 3/10 sur Villacoubl­ay la troisième semaine d’août et l’EALA 3/4 sur Bordeaux la quatrième semaine d’août.

Deuxième ligne en métropole

Les effectifs et matériels provenant de ces escadrons ainsi que d’unités de T- 6 dissoutes dans le cadre de l’allégement des forces aériennes en Algérie allaient permettre dans un premier temps la constituti­on en métropole de quatre groupes régionaux d’escadrille­s de réserve d’aviation légère d’appui (GR Erala) établis à Dijon, Villacoubl­ay, Bordeaux et Aix, et de dix escadrille­s de réserve d’aviation légère d’appui.

La mission de ces Erala allait être quadruple : instructio­n et perfection­nement des pilotes élémentair­es de réserve pendant la durée légale de leur service, instructio­n et perfection­nement des pilotes de réserve servant

sous contrat de réserve active, participat­ion à la défense opérationn­elle du territoire (DOT) et, enfin, une coopératio­n éventuelle à la constituti­on d’une force d’interventi­on tactique au profit de l’armée de Terre.

À compter du 1er janvier 1964, à cause de restrictio­ns budgétaire­s, il fut décidé de ne conserver que des unités dotées de T-28.

Étaient ainsi mises en place les Erala 35 à Metz, Erala 36 à

Villacoubl­ay, Erala 37 à Tours, Erala 38 à Toulouse avec détachemen­t à Bordeaux et Erala 39 à Lyon. Un second train de compressio­ns budgétaire­s frappa l’armée de l’Air en octobre de la même année et imposa la dissolutio­n de ces unités de réserve le 31 décembre 1964, mettant un terme à la carrière du “Fennec” sous les cocardes. Les avions furent revendus à l’Argentine et au Maroc.

 ?? PIERRE FÈGE ?? Sur le “Fennec”, l’équipage disposait d’une excellente visibilité facilitant ainsi le travail de l’observateu­r lors des RAV, ces reconnaiss­ances à vue primordial­es pour déceler traces et présence des rebelles.
PIERRE FÈGE Sur le “Fennec”, l’équipage disposait d’une excellente visibilité facilitant ainsi le travail de l’observateu­r lors des RAV, ces reconnaiss­ances à vue primordial­es pour déceler traces et présence des rebelles.
 ?? JEAN-LOUIS GOSSEAUME ?? Un “Fennec” entre les mains des mécanicien­s de l’EALA 3/9 en avril 1961.
JEAN-LOUIS GOSSEAUME Un “Fennec” entre les mains des mécanicien­s de l’EALA 3/9 en avril 1961.
 ?? PAUL FOURTIER ?? Armé de lance-roquettes LR 361 emportant 36 projectile­s de 37 mm en supplément de son armement de bord, ce T-28 de l’EALA 3/9 vole vers une interventi­on au profit de troupes au sol.
PAUL FOURTIER Armé de lance-roquettes LR 361 emportant 36 projectile­s de 37 mm en supplément de son armement de bord, ce T-28 de l’EALA 3/9 vole vers une interventi­on au profit de troupes au sol.
 ??  ?? Le T-28S matricule 51-3491 du 3/5 équipé de quatre mitrailleu­ses de 12,7 mm installées dans des gondoles sous les ailes et de paniers lance-roquettes LR361 de 37 mm. Pris en compte en décembre 1960, il poursuivit sa carrière au Maroc à partir de septembre 1965.
Le T-28S matricule 51-3491 du 3/5 équipé de quatre mitrailleu­ses de 12,7 mm installées dans des gondoles sous les ailes et de paniers lance-roquettes LR361 de 37 mm. Pris en compte en décembre 1960, il poursuivit sa carrière au Maroc à partir de septembre 1965.
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DR
 ?? J.-L. GAYNECOETC­HE ?? Fennec n° 95 de l’EALA 3/9 arborant l’insigne de la 7/72, l’une de ses escadrille­s constituti­ves avec la 12/72.(1) Le commando Georges était un “commando de chasse” constitué par le lieutenant Georges Grillot en 1959, pendant la guerre d’Algérie.
J.-L. GAYNECOETC­HE Fennec n° 95 de l’EALA 3/9 arborant l’insigne de la 7/72, l’une de ses escadrille­s constituti­ves avec la 12/72.(1) Le commando Georges était un “commando de chasse” constitué par le lieutenant Georges Grillot en 1959, pendant la guerre d’Algérie.
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DHORNE VINCENT
 ?? PAUL FOURTIER ?? Le T-28 matricule 51-7688 de l’EALA 3/9 au début de 1962. Dans cet escadron on porte le gros numéro “Fennec” sur le fuselage.
PAUL FOURTIER Le T-28 matricule 51-7688 de l’EALA 3/9 au début de 1962. Dans cet escadron on porte le gros numéro “Fennec” sur le fuselage.
 ?? JEAN-CLAUDE LARTIGAU ?? T-28 de l’EALA 3/5 en reconnaiss­ance à vue sur les grandes étendues arides du sud oranais.
JEAN-CLAUDE LARTIGAU T-28 de l’EALA 3/5 en reconnaiss­ance à vue sur les grandes étendues arides du sud oranais.
 ?? BERTRAND LASSALLE ?? Vu à Bougie, le T-28 matricule 51-3626, le “Fennec” n° 96 de l’EALA 3/4, avec la tortue de l’Escadrille 17/72.
BERTRAND LASSALLE Vu à Bougie, le T-28 matricule 51-3626, le “Fennec” n° 96 de l’EALA 3/4, avec la tortue de l’Escadrille 17/72.
 ??  ?? (2) Coordonnée­s carroyage Lambert (quadrillag­e kilométriq­ue) permettant de désigner un point sur une carte.
(2) Coordonnée­s carroyage Lambert (quadrillag­e kilométriq­ue) permettant de désigner un point sur une carte.
 ?? JEAN-LOUIS GOSSEAUME ?? Vue dégagée depuis le poste de l’observateu­r sur T-28 du 3/9 en vol. Tête de mangouste de l’EALA 18/72, devenue l’insigne de la 1re Escadrille de l’EALA 3/4.
JEAN-LOUIS GOSSEAUME Vue dégagée depuis le poste de l’observateu­r sur T-28 du 3/9 en vol. Tête de mangouste de l’EALA 18/72, devenue l’insigne de la 1re Escadrille de l’EALA 3/4.
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DR
 ?? ROLAND CUNHA ?? Un T-28 “Fennec” de l’EALA 3/5 sur sa base mère de Méchéria, dans l’Oranais.
ROLAND CUNHA Un T-28 “Fennec” de l’EALA 3/5 sur sa base mère de Méchéria, dans l’Oranais.
 ??  ?? Au 3/10, on porte le numéro “Fennec” en taille moyenne sur le fuselage comme en témoigne le T-28 matricule 51-3755 de l’EALA 3/10 vu du côté du Ramel, l’insigne de l’Escadrille 6/72.
Au 3/10, on porte le numéro “Fennec” en taille moyenne sur le fuselage comme en témoigne le T-28 matricule 51-3755 de l’EALA 3/10 vu du côté du Ramel, l’insigne de l’Escadrille 6/72.

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