Les “Lightning” sur l’Europe
Les P-38 furent engagés sur le théâtre d’opérations européen comme avions d’escorte des bombardiers, puis protégèrent les navires du Débarquement.
Si l’on excepte le court passage en Angleterre des P-38 des 1st et 14th Fighter Groups en 1942, ce ne fut pas avant l’automne 1943 que des “Lightning” furent engagés en quantité significative sur le théâtre d’opérations européen. En effet, ce fut au mois de septembre que les P-38H du 55th FG (38th, 338th et 343rd FS) se posèrent sur la base de Nuthampstead, en Grande-Bretagne. À cette époque, la 8th Air Force venait de débuter sa Combined Bombardment Of fensive ( CBO) contre le IIIe Reich et les vagues de bombardiers lourds déferlaient sur l’Allemagne. Cependant, le point faible de ce dispositif résidait dans les avions d’escorte qui, compte tenu de la faiblesse de leur rayon d’action, étaient contraints de faire demi-tour avant même d’être arrivés dans la zone de l’objectif. Les bombardiers étaient donc livrés à eux-mêmes sur la partie la plus dangereuse du trajet. Cette situation eut des conséquences tragiques, notamment le 14 octobre 1943, veille de l’entrée en opérations des P-38, lorsque la 8th Air Force perdit 60 des 294 B-17 qu’elle avait envoyés sur Schweinfurt.
Les P-38, avec leur rayon d’action confortable, se présentèrent comme l’avion d’escorte idéal. Le lendemain, le 55th FG effectua sa première mission sur l’Europe. 36 P-38H décollèrent pour une mission de chasse libre au-dessus des PaysBas, mais ils ne rencontrèrent aucun avion ennemi. D’ailleurs, il faut noter que le mois d’octobre fut particulièrement calme, et les trois missions d’escorte conduites ce mois-là furent réalisées sans encombre.
Premier raid sur le territoire allemand
Au mois de novembre, le 20th FG commença à percevoir des P-38H et les quelques appareils disponibles vinrent renforcer le 55th FG où ils firent office de quatrième escadron. Le 3 novembre, les “Lightning” effectuèrent leur premier raid de pénétration au-dessus du territoire allemand en escortant des “Flying Fortress” du 40th BW sur Wilhelmshaven. Au cours de cette mission, trois P-38 furent perdus. En novembre, les raids se poursuivirent sur Munster le 5, Melun le 7, et Brême le 13… Mais la Luftwaffe et la Flak faisaient des ravages dans les rangs alliés. À titre d’exemple, au-dessus de Brême, le 29 novembre,
les combats se soldèrent par la perte de sept avions allemands au prix de sept P-38 perdus et 16 autres plus ou moins endommagés. Pour le seul mois de novembre, le 55th FG perdit 18 avions et remporta un nombre équivalent de victoires. Heureusement, le mois de décembre fut beaucoup plus calme et les P-38 eurent à livrer peu de combats. Le ralentissement de l’activité aérienne fut principalement dû des conditions météorologiques qui mirent machines et pilotes à rude épreuve.
Les “Lightning” commencèrent à montrer leurs points faibles, moteurs et turbocompresseurs ne semblant pas apprécier le froid hivernal européen, ni les pilotes, qui eurent tôt fait de baptiser leur monture “The ice wagon” (le wagon frigorifique) tant le chauffage de la cabine était insuffisant. Nombreux furent ceux obligés de faire demi-tour dès le début des missions et non moins nombreux furent ceux qui regagnèrent l’Angleterre sur un seul moteur. Il est certain que ces problèmes mécaniques et le mécontentement grandissant des pilotes allaient être à l’origine du retrait prématuré des P-38 au cours du mois d’avril 1944. Toujours est-il que lorsque l’année 1943 s’acheva, deux groupes volaient sur P-38. Pour sa
part, le 28th FG (55th, 77th et 79th FS) était opérationnel depuis le 28 décembre. Il était commandé par le col. Barton Russell et doté, tout comme le 55th FG, de P-38J.
Les raids rassemblant un millier de bombardiers devinrent monnaie courante. C’est ainsi que le 29 janvier 1944, les “Lightning” des 55th et 20th FG participèrent au plus grand raid jamais organisé jusqu’alors. Pas moins de 900 bombardiers lourds escortés par 13 groupes de chasse bombardèrent Francfort. Les avions alliés furent attaqués par plus de 120 chasseurs ennemis. L’escorte s’adjugea 42 victoires dont 16 furent attribuées aux P-38. Le 20th FG en remporta dix et le capt. Lindol Graham trois à lui seul. Mais neuf “Lightning” furent perdus, dont deux à la suite d’une collision.
L’attaque des usines aéronautiques allemandes
En février, le 370th FG (401st, 402nd et 485th FS) arriva à Andover et le 474th FG (428th, 429th et 430th FS) à Moreton afin de recevoir leur dotation de P-38. Ils furent affectés à la 9th Air Force. Mais ce ne fut pas l’événement majeur de ce mois ; lors de la dernière semaine de février, les USAAF lancèrent l’opération Argument – plus connue sous le nom de Big Week – qui visait les usines aéronautiques allemandes. Cinq jours durant, 1 500 bombardiers lourds des 8th et 15th Air Forces se lancèrent à l’attaque, escortés par un nombre impressionnant de chasseurs. Le 20 février, les objectifs furent Leipzig, Tutow, Rostok, Brunswick et Gotha. L’escorte était constituée de 94 P-38, 73 P-51 et… 668 P- 47. Les P-38 combattirent peu et les P- 47 firent le gros du travail. Le 21 février, les cibles furent Brunswick, Achmer et Diepolhz. Le 22, Aschersleben, Bernburg, Halberstadt. Le 24, Gotha, Eisenach et Schweinfurt, et le 25, 76 P-38, 39 P-51 et 687 P- 47 escortèrent les bombardiers sur Regensburg, Augsburg et Furth.
Le mois de mars vit les premiers survols de Berlin par l’aviation alliée. Le premier avion à survoler la capitale du IIIe Reich fut le P-38J surnommé Texas Ranger IV du lt-col. Jack Jenkins. Il faisait partie d’un groupe de “Lightning” des 20th et 55th FG qui, le 3 mars, manqua son rendez-vous avec les bombardiers. Le même jour, le 364th FG (383rd, 384th et 385th FS), placé sous les ordres du col. R. S. Osborn, effectua sa première mission.
Le 8 avril 1944, la 8th Air Force envoya 644 bombardiers sur Brunswick et, ce jour-là, le 20th FG dut assurer la couverture de la 1st Bombardment Division. Malheureusement, le 20th FG fut cloué au sol par le mauvais temps et le ciel ne se dégagea qu’en fin de matinée. Le col. Rau ordonna alors une mission de chasse libre sur l’aérodrome de Salzwedel. Les P-38 décollèrent à 14 h 02 et arrivèrent sur l’objectif une heure et 52 minutes plus tard. Ils se lancèrent alors à l’attaque du terrain et des installations environnantes. Le résultat fut appréciable : sept avions allemands furent détruits ou sérieusement endommagés et 11 locomotives subirent le même sort. Les Américains furent pris à partie par sept Me 109 ; ils en détruisirent quatre et perdirent deux des leurs.
Un nouveau genre de missions
Le 10 avril, les “Lightning” entamèrent un nouveau genre de mission. En effet, chaque groupe reçut plusieurs “Droop Snoot”. Le 55th FG effectua le jour même une première mission avec deux escadrons d’avions armés chacun d’une bombe de 450 kg et d’un réservoir supplémentaire, tandis que le troisième escadron assurait la couverture. L’objectif initial était l’aéro- drome de Saint-Dizier, mais le ciel était couvert au-dessus de l’objectif et ce fut finalement Coulommiers qui fut pris pour cible. Le bombardement s’effectua depuis 6 000 m d’altitude et 28 bombes firent mouche. Le même jour, le 20th FG décolla pour une mission identique sur Florennes, mais du fait de la couverture nuageuse, les P-38 firent demi- tour et larguèrent leurs bombes dans la Manche. Ils redé-
collèrent l’après-midi et cette fois attaquèrent avec succès l’aérodrome de Gütersloh, en Allemagne. Les 27 appareils de la formation larguèrent 25 bombes de 450 kg et deux de 225 kg.
Le 15 avril eut lieu la première d’une série de grandes missions de chasse libre sur les aérodromes allemands, plus connus sous le nom de Jackpots. 14 groupes du 8th Fighter Command et deux groupes du IX FC participèrent à cette opération qui mobilisa 616 chasseurs-bombardiers dont 132 P-38. Les Américains surprirent la Luftwaffe au nid : 40 avions allemands furent détruits, 29 autres endommagés et 18 abattus en combat aérien. Mais les Allemands opposèrent une défense farouche et, au retour, 32 pilotes alliés manquaient à l’appel. Le seul 364th FG perdit sept de ses P-38.
Depuis leur entrée en action en Europe, les P-38 n’avaient pas remporté que des succès, loin de là. À cela étaient venus s’ajouter les problèmes mécaniques déjà évoqués. Le seul atout du P-38 était encore son rayon d’action, mais cet avantage disparut avec l’arrivée des P-51D “Mustang”. Une génération d’avions chassa l’autre. Dès le mois d’avril, le gen. Jimmy Doolittle décida de remplacer tous les P-38 et P- 47 de la 8th AF par des P-51. Cette transformation s’effectua très rapidement puisqu’en avril, la 8th AF disposait de trois groupes de P-38, de six de P- 47 et de cinq de P-51, et en mai 1945, elle alignait un unique groupe de P- 47 et 14 de P-51.
Dans le courant du mois d’avril, commencèrent les préparatifs du débarquement sur le continent. La 9th Air Force déplaça cinq de ses groupes de chasse dans le Kent et le 474th FG entra en action sur P-38. Par ailleurs, le 55th FG s’installa à Wormingford. Au début du mois de
mai, deux autres groupes devinrent opérationnels sur P-38 au sein de la 9th AF : le 367th FG et le 370th FG.
L’activité aérienne allemande faiblit et les chasseurs alliés s’en prirent aux voies de communication, notamment à l’activité ferroviaire. Des raids de plusieurs centaines d’avions furent organisés. Ces “Chattanoogas”, comme ils étaient appelés, étaient particulièrement destructeurs et les P-38, avec leur canon de 20 mm, firent des ravages. Le premier raid de ce genre eut lieu le 21 mai. Il mit en oeuvre 552 chasseurs ; 225 trains furent attaqués et 91 locomotives furent détruites, dont 23 au crédit du 55th FG.
Les missions “Droop Snoot” furent alors quasiment interrompues car une autre mission importante fut assignée aux P-38 dans le cadre de l’opération Overlord. Ils furent char- gés d’assurer la protection des quelque 4 500 navires de la flotte d’invasion. Le plan Neptune prévoyait une rotation des escadrons, de façon à ce qu’il y en eût en permanence deux au-dessus des navires.
Les bandes de débarquement
Dans la soirée du 5 juin, les P-38 furent les premiers avions alliés à recevoir autour de leurs ailes les fameuses bandes de débarquement blanches et noires. Jusqu’au 11 juin, ils patrouillèrent au- dessus de la Manche. À cette date, ils furent relevés par des avions de la RAF et reprirent leurs missions habituelles. Le jour même, le 55th FG effectua une mission “Droop Snoot” près de Tours, mais les P-38 furent pris à partie par une meute de Fw 190. Trois Focke-Wulf furent abattus pour la perte de deux “Lightning”.
Le 7 juillet, une centaine de P-38 escortèrent des B-24 qui allaient bombarder des installations pétrolières et aéronautiques en Allemagne (Lüskendorf, Halle, Aschersleben et Bernburg). Les avions américains furent attaqués par des Me 109, Fw 190 et Me 410. Ce 7 juillet allait être le jour de gloire des P-38 de la 8th Air Force : le 20th FG abattit sept de ses adversaires pour la perte d’un unique P-38, et le 55th abattit 18 avions allemands sans avoir à déplorer une seule perte. Le maj. J. D. Landers du 36th FS abattit trois Me 410 à lui tout seul.
Le 14 juillet, le 55th FG exécuta une attaque “Droop Snoot” sur un dépôt de V-1 près de Boulogne en utilisant des réservoirs de carburant empennés et des bombes incendiaires
de 90 kg, mais les résultats de ce bombardement ne purent être évalués. Dans la matinée du 18 juillet, 13 P-38 du 428th FS du 474th FG, commandés par le lt-col. Darling, attaquèrent une voie ferrée et un pont à Merey avec des bombes de 450 kg et des réservoirs de carburant auxquels était fixée une bombe incendiaire. Le pont fut sérieusement endommagé. Surgirent alors deux vagues d’une trentaine de Fw 190 et Me 109. Les P-38 firent face et le combat se solda par la destruction de sept avions allemands (quatre Me 109 et trois Fw 190) pour la perte d’un seul P-38, celui du lt George H. Holland.
Ce fut aussi au cours du mois de juillet que commença la conversion des groupes de P-38 sur P-51. Le bilan de ces groupes n’était pas mirifique : le 20th FG avait remporté 89 victoires pour la perte de 87 avions, quant aux 55th et 364th FG, leurs pertes étaient légèrement supérieures à leurs victoires. Le 364th effectua sa dernière mission sur P-38 le 29 juillet.
Dernière mission le 9 octobre 1944
Le 10 août 1944, le lt- col. Kyle Riddle, commandant le 479th FG, fut porté disparu ; il fut remplacé par le fameux col. Hubert Zemke. Le 18, ce dernier était à la tête de l’escorte qui accompagnait des B- 24 sur Nancy-Essey. Après le départ des bombardiers, les P-38 restèrent sur l’objectif pour mitrailler les secteurs épargnés. Ils détruisirent 43 avions ennemis, principalement des He 111, et en endommagèrent 28 autres.
Début septembre, les premiers “Mustang” arrivèrent au 479th FG et, le 13, un escadron en était déjà entièrement doté. Le 26, cette même unité participa à une mission de chasse libre dans le secteur Münster-Haltern. Les 31 P-38 et 12 P-51 engagèrent le combat avec une formation de Me 109 et en abattirent 29 ; le lt-col. Herren du 434th FS s’en adjugea trois. Ce fut bientôt la fin de la carrière des P-38 au sein de la 8th Air Force. Ceux- ci livrèrent un dernier combat le 28 septembre au-dessus de Halberstadt et effectuèrent leur dernière mission le 9 octobre 1944.
Le rééquipement des groupes de la 9th Air Force ne tarda pas à intervenir. En février 1945, le 367th FG passa sur P- 47 et le 370th passa sur P-51. Au moment de la capitulation allemande, il n’y avait en Europe plus qu’un groupe opérant sur P-38, le 474th FG.