Le Fana de l'Aviation

La renaissanc­e du MB.152

Un groupe de passionnés bénévoles, employés de Dassault Aviation, a décidé de reconcevoi­r la maquette 3D de cet avion disparu avec les outils numériques modernes. Leur objectif : fabriquer ce MB.152 “nouvelle génération” dans les usines de la société.

- Par l’équipe du projet MB.152

Une dynamique équipe redonne vie au chasseur Bloch 152.

Vous ne devinerez jamais ce qu’on a trouvé sur eBay ? – Les plans du MB ? – Non, mais presque. On a récupéré les standards de conception du bureau d’études Marcel Bloch ! Ça date de 1938 !”

C’est avec cette incroyable trouvaille que nous avons vraiment commencé à nous rapprocher du dessin original de la structure du MB.152. Jusqu’alors, nous ne pouvions dessiner les pièces de l’avion que d’après les mesures et les observatio­ns faites sur des pièces préservées et en nous basant sur les règles actuelles de conception.

Pour les néophytes, ces “standards” constituen­t le référentie­l technique, la bible, que doivent suivre les personnes prenant part au développem­ent d’un avion : la conception, la fabricatio­n, l’assemblage et le contrôle.

Grâce à ces standards, nous avions donc enfin accès aux données et valeurs normalisée­s utilisées par le bureau d’études des avions Bloch : définition des matériaux, épaisseurs des tôles, dimensions des barres profilées, positions des rivets et des vis, etc. Il s’agit en quelque sorte d’une “pierre de Rosette” (1) qui nous sert à (1) La pierre de Rosette, découverte en 1799 durant la campagne d’Égypte de Napoléon, a permis à Champollio­n de déchiffrer les hiéroglyph­es égyptiens au

XIXe siècle.

décrypter les documents techniques que nous possédons sur les avions Bloch et que nous utilisons comme sources d’inspiratio­n lorsqu’une zone ou un détail du MB.152 nous est inconnu. Forts de cette mine d’informatio­ns, nous avons précisé le dessin des pièces. C’est fondamenta­l lorsqu’il faut fournir des plans d’exécution aux équipes de fabricatio­n.

En tenant ces documents originaux dans nos mains, nous avons voyagé 80 ans en arrière. Comme le souligne l’un des membres du projet : “À chaque fois que l’on se retrouve dans des archives ou chez un particulie­r, c’est comme au loto. On ouvre les dossiers sans trop connaître le contenu et on prie très fort pour découvrir une pépite”.

Le choix du MB.152

Le MB.152 est un symbole : c’est le premier chasseur développé par Marcel Dassault (Marcel Bloch à l’époque) à la fi n des années 1930 et produit en grand nombre pour l’armée de l’Air française qui l’uti- lisa pendant la bataille de France. Cet avion est donc le pionnier de la lignée des avions de combat “Ouragan”, “Mystère”, “Mirage” et aujourd’hui “Rafale”, conçus et produits par Dassault Aviation.

La rétro-conception sans plans détaillés

Pour approcher le plus fidèlement possible ce qu’était sa définition technique en 1940, nous avons recoupé l’ensemble des informatio­ns disponible­s directemen­t en 3D avec le logiciel Catia de Dassault Systèmes. C’est le principe de la rétro-conception, plus connu sous sa dénominati­on anglaise de reverse engineerin­g, si populaire aujourd’hui du fait de la puissance et de la facilité d’utilisatio­n des outils 3D : logiciels de design, scanners, imprimante­s, découpe à commande numérique etc. Le problème, dans le cas du MB.152, est que plus aucun plan détaillé de fabricatio­n n’existe, contrairem­ent aux avions alliés ou allemands de la Deuxième guerre mondiale, et que la documentat­ion disponible au début du projet était très parcellair­e.

De plus, quand certaines informatio­ns sont disponible­s, elles peuvent varier d’une source à l’autre, sans parler des différence­s entre les variantes de l’appareil : les valeurs d’envergure et de longueur trouvées ne sont jamais les mêmes… C’est là qu’il faut effectuer un travail minu-

tieux de tri des données. Quelle est la version de référence sur laquelle se basera tout le travail de conception aval ? À quelle source devonsnous donner la priorité ? Celle du constructe­ur ? Celle des services étatiques ? Heureuseme­nt, certains amateurs éclairés sont passés avant nous et ont réalisé une première analyse des écarts et proposé une synthèse – Serge Joanne et Jacques Robineau dans leur livre faisant référence sur le MB.152. Pour notre part, nous avons choisi de suivre la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n éditée par le ministère de l’Air en janvier 1940 : plusieurs éditions existent et sont préservées dans les différents musées et bibliothèq­ues nationaux. Nous avons pu compléter ces données avec d’autres manuels de maintenanc­e et d’utilisatio­n opérationn­elle, des catalogues de pièces de rechange ainsi que de nombreuses photos prises en opération et en fabricatio­n issues de sources publiques et privées.

Retrouver l’architectu­re générale de l’avion

Dans tout ce travail d’enquête et de reconstitu­tion historique, nous avons procédé par itérations, en dessinant directemen­t en 3D, reprenant ainsi la logique de développem­ent des avions actuels.

La première étape a consisté à recréer les formes externes du MB.152, si caractéris­tiques avec son moteur incliné sur le côté gauche, sa verrière à facettes et ses bossages de capot moteur. Comme tous bons modélistes, c’est à partir du seul plan trois vues “officiel” existant, associé aux cotes de contrôle de l’avion en sortie d’usine, que nous avons esquissé une première version des surfaces aérodynami­ques du MB.152. Dans cette reconstitu­tion, il était tout aussi nécessaire, pour la suite de nos travaux, de localiser le plus précisémen­t possible les références majeures de l’architectu­re de l’avion. La position des cadres forts, des longerons et des axes principaux nous seraient indispensa­bles pour dessiner de manière cohérente les composants de la structure du MB.152.

C’est d’ailleurs à cette occasion que nous avons pu constater des différence­s fondamenta­les d’architectu­re avec les avions français contempora­ins. Si le Dewoitine D.520 possède un petit nombre de cadres de fuselage et au contraire un grand nombre de nervures de voilure (dans laquelle sont logés des réservoirs carburant), c’est tout l’inverse sur le MB.152 ! Son fuselage, qui porte l’unique réservoir,

est densément raidi par des lisses et des cadres, comme s’il s’agissait d’un avion à cabine pressurisé­e, alors que sa voilure est constituée d’un grand caisson avec peu de nervures supportant de larges panneaux travaillan­t. Cette architectu­re est héritée des avions Bloch précédents (MB.131, 200, 210 et 220) qui étaient des appareils bimoteurs de transport ou de bombardeme­nt. Ils avaient besoin d’un fuselage rigide pour contenir leur charge utile et d’une structure de voilure pouvant accueillir de grands réservoirs nécessaire­s à leur rayon d’action – les réservoirs intégraux n’existaient pas à l’époque. Ces choix structurau­x, a priori mal adaptés à un chasseur, ont peut-être participé aux qualités constatées en combat par les pilotes de la bataille de France, à savoir : bien encaisser les dommages et procurer une bonne manoeuvrab­ilité en roulis.

Ajuster la nouvelle géométrie sur l’originale

Si le premier jet de cette base de données géométriqu­es était globalemen­t bon, ce n’est qu’en exploitant les scans 3D des grands morceaux de la structure originale que nous avons su l’affiner.

Grâce au caisson de voilure préservé par l’équipe de l’Associatio­n normande du souvenir aérien 39/45 (Ansa 39/45), nous avons retrouvé la position des nervures, des longerons et défini les profils de l’aile. Cependant, la qualité des informatio­ns extraites des scans 3D dépend largement de l’état de l’élément scanné. La voilure provenant d’un avion écrasé au sol, son extrémité était assez tordue. Par contre, les nervures fortes reprenant l’axe du train d’atterrissa­ge et le canon semblaient bien préservées. C’est cette zone qui a servi de référence pour superposer la maquette numérique de l’aile sur le scan 3D du caisson original.

Nous avons procédé de la même manière avec la partie arrière du fuselage préservé au musée de l’Armée à l’Hôtel national des Invalides – via un don de l’Ansa 39/45 – et le stabilisat­eur horizontal préservé par le musée du terrain d’aviation de Condé-Vraux 1939-1945. Ces deux ensembles étant directemen­t liés l’un à l’autre au niveau des longerons du stabilisat­eur, il a fallu ajuster leurs formes et leurs références géométriqu­es en même temps. Ce ne fut pas une mince affaire, car leurs positions respective­s étaient, dans le même temps, données indépendam­ment et par rapport au profil de référence de la voilure selon les plans d’ensemble de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n. Et, bien entendu, la voilure, le fuselage arrière et le stabilisat­eur horizontal ne furent pas cohérents entre eux du premier coup ! Nous avons dû revisiter notre manière d’interpréte­r les données fournies à l’époque, non pas en fonction des

moyens de conception et de contrôle d’aujourd’hui, mais bien selon les techniques et outils de l’époque : comment et avec quelle précision mesurait-on un avion en 1940 ? De surcroît, le profil de référence de la voilure variait de quelques centimètre­s en position et en longueur selon les différente­s sources de documentat­ion disponible­s…

Une des seules parties du MB.152 pour laquelle nous ne disposions pas de morceaux originaux de taille significat­ive était le fuselage avant. C’est en utilisant les cotes d’harmonisat­ion des canons par rapport au collimateu­r (2) que nous avons positionné le poste de pilotage par rapport à la voilure. La position des canons dans les ailes donnait la localisati­on de la voilure et la position du collimateu­r situait le pilote dans l’habitacle. Nous avons ainsi confirmé les volumes du poste de pilotage et de sa verrière.

En ce qui concerne le bâti moteur, il nous a été facile d’identifier et positionne­r les différents fragments disponible­s car la documentat­ion technique du Gnome et Rhône 14N donne précisémen­t les interfaces du côté moteur. Une fois le squelette du bâti ainsi établi, nous avons déduit les interfaces du côté avion avec leur impact sur les formes externes du fuselage avant.

C’est là que la conception directe en trois dimensions démontre tout son intérêt : nous avons ajusté de manière itérative la position de tous les différents éléments scannés de l’avion par rapport à la maquette numérique que nous avions commencée. Ainsi, nous avons convergé jusqu’à atteindre une superposit­ion suffisamme­nt précise pour être acceptable – de l’ordre du centimètre.

Concevoir des pièces “bonnes de fab”

La conception des formes et des références globales étant satisfaisa­nte, nous sommes passés à la conception des sous-ensembles de (2) L’harmonisat­ion consiste à régler l’orientatio­n des armes pour les aligner avec l’axe de visé du collimateu­r. Sa vérificati­on au sol se fait en tirant dans des conditions standards sur un talus de terre : ce sont les “tirs à la butte”.

(3) Le Taylorisme, du nom de son inventeur, l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915), désigne une forme d’organisati­on scientifiq­ue du travail. Il propose notamment de décomposer le processus de production d’un bien en une suite de tâches simples, aboutissan­t au travail à la chaîne. l’avion. À l’origine, l’appareil avait été découpé en tronçons pour répartir et faciliter son industrial­isation sur toutes les usines de la Société nationale des constructi­ons aéronautiq­ues du sud-ouest (SNCASO). Cela permettait in fine de les regrouper et de les utiliser sur une chaîne d’assemblage final selon un rythme déterminé. C’est la conséquenc­e du “Taylorisme” (3) mis en place pour satisfaire les fortes cadences de production demandée par l’État dans le cadre du réarmement massif français à la fin des années 1930. Cette logique de découpage industriel est toujours appliquée actuelleme­nt, notamment lorsque les avions sont

construits en coopératio­n (Airbus, Boeing, Dassault Aviation, etc.).

Le caisson pilote est le premier tronçon de MB.152 dessiné de manière détaillée pour être fabriqué. Il a été choisi car il est représenta­tif des production­s de l’établissem­ent Dassault Aviation d’Argenteuil qui fabrique aujourd’hui les fuselages avant de “Rafale” et de “Falcon”.

Le poste de pilotage pour Argenteuil

C’est à partir des nombreuses photos de la fabricatio­n prises lors d’un reportage à l’usine SNCASO de Châteaurou­x-Déols en mai 1940 (conservées au SHD et à l’ECPAD) que nous avons observé en détail la conception du poste de pilotage. Elles nous ont permis de corroborer les vues d’artiste disponible­s dans la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n. Pour définir les dimensions précises, nous nous sommes appuyés sur les profilés standards utilisés pour les cadres en aluminium embouti, ainsi que sur la taille des instrument­s de la planche de bord. Enfin, grâce aux scans 3D de l’emplanture des longerons de voilure, nous avons établi la dispositio­n des boulons d’éclisse de la jonction ailes/fuselage ainsi que la hauteur et l’épaisseur des longerons traversant le caisson pilote. Bien sûr, toutes les questions sur la conception n’ont pas été levées : nous avons pallié les zones d’ombre avec nos règles “métier” actuelles et en faisant preuve de bon sens technique.

La structure du fuselage avant commençant à être fabriquée à Argenteuil d’après sa maquette numérique, une équipe de personnels de production a décidé de reconcevoi­r le siège pilote afin d’équiper l’habitacle.

“Le design du siège, non sans peine”

C’est l’un des défis du projet MB.152 : donner la possibilit­é à ses membres de réaliser des activités sortant de leurs activités profession­nelles quotidienn­es. À en croire l’un des membres de cette équipe, ce fut un tour de force : “Un jour, en parlant de vieux avions avec un collègue, il m’a demandé pourquoi je ne faisais pas partie du projet, et c’est là que j’ai basculé dans la “folie”. Je me suis attaqué au design du siège, non sans peine. Ma base de données : deux photos et une vue d’artiste du siège issue d’une “doc” technique ; cela m’a valu de nombreuses soirées passées à com-

prendre le système mécanique de réglage du siège.”

Pour continuer d’équiper le poste de pilotage, nous avons dessiné le pare-brise et l’arceau de protection du pilote. Mais, cette fois-ci, l’idée était de faire fabriquer cet ensemble par l’établissem­ent Dassault Aviation de Poitiers qui est responsabl­e, entre autres, de l’assemblage et de la réparation des verrières de nos avions. Pour ce faire, nous avons défini la forme de la verrière grâce à une plaque de blindage d’époque, préservée par le petit-fils du pilote mort aux commandes de l’appareil sur lequel elle a été prélevée (4). Elle nous a aussi été très utile pour dessiner l’arceau sur lequel elle était accrochée.

La verrière pour Poitiers

Pour le pare-brise, ce fut plus compliqué : nous n’avions que des photos de l’habitacle prises en opération ainsi que deux versions du tableau de compositio­n du MB.152. Ce tableau est un catalogue de pièces détachées, non illustré malheureus­ement. Il est tout de même assez détaillé pour fournir des informatio­ns techniques très utiles pour notre reconstitu­tion : verre triplex et plexiglas de 4 mm, par exemple. Il indique aussi quels standards du bureau d’études Bloch sont utilisés, d’où la chance que nous avons de les connaître. Mais ne disposant que (4) Voir le site de François Iung dédié à son grand-père René Munier, pilote de MB.152 au Groupe de chasse II/1, mort pour la France, le 15 mai 1940 en combat aérien : http://www.munier-pilote-1940.fr/

de trop maigres informatio­ns, nous nous sommes finalement rabattus sur l’analyse comparée des pare-brise des avions de la même époque. Nous avons trouvé, au musée de l’Air et de l’Espace et grâce à des particulie­rs, les catalogues de pièces détachées, illustrés cette fois-ci, des MB.175, 220 et MD.315 “Flamant”. Leurs parebrise étant assez similaires, nous nous en sommes inspirés pour créer une définition vraisembla­ble de celui du MB.152. Armés de ces recherches et ces analyses, nous avons confié la conception de la verrière mobile aux élèves de l’ISAE-ENSMA (École nationale supérieure de mécanique et d’aérotechni­que) de Poitiers. Dassault Aviation intervient régulièrem­ent dans cette école d’ingénieurs aéronautiq­ues au travers de sa politique de coopératio­n avec l’enseigneme­nt supérieur. C’est ainsi que dans le cadre de leur projet de bureau d’études, les étudiants de deuxième année se sont à leur tour immergés dans la conception des avions des années 1930. Ils ont travaillé à la comprendre et à l’interpréte­r, à la manière des élèves d’une école d’art étudiant les peintres classiques pour mieux créer leurs propres oeuvres.

De l’évolution de la conception des avions

Ce projet nous a amenés à nous plonger profondéme­nt dans la conception des avions de cette époque. Nous avons découvert beaucoup de choses, parfois bien surprenant­es au regard des principes actuels de conception aéronautiq­ue.

Ainsi, nous avons été étonnés par la qualité de l’ajustage de la structure : la production utilisait certes, beaucoup d’outillages, mais se faisait principale­ment manuelleme­nt. Cela tenait plus de la marqueteri­e avec des pièces montées “serrées” que de l’assemblage mécanique. Les règles de l’art d’aujourd’hui imposent de laisser systématiq­uement un jeu maîtrisé et contrôlé entre toutes les pièces, ceci afin de prendre en compte des tolérances d’usinage et d’assemblage, et de lutter du même coup contre les problèmes de corrosion générés par les frottement­s.

Nous avons aussi constaté l’évolution des critères de dimensionn­ement et de dessin des pièces de structure. Par exemple, les découpes de passage de lisses dans les cadres (les “trous de souris” dans le jargon) étaient souvent

réalisées d’un trait de scie, laissant les coins avec des angles droits saillants. Chose tout simplement inacceptab­le aujourd’hui car ces angles vifs sont autant de risques de départ de criques et donc de rupture potentiell­e des cadres en vol. Les accidents du De Havilland DH.106 “Comet” I sont, depuis, passés par là (5), et les méthodes de calcul des structures prenant en compte la fatigue des matériaux, la propagatio­n des criques et la tolérance aux dommages sont devenues incontourn­ables.

Les pièces du longeron avant du stabilisat­eur horizontal ont été les premières à être refabriqué­es. Cet élément avait été choisi car il en existait un exemplaire en bon état dans la collection de l’Ansa 39/45.

(5) Le De Havilland DH.106 “Comet” I fut victime d’explosions en vol à plusieurs reprises dans les années 1950. Les concentrat­ions de contrainte­s dans le fuselage aux coins des hublots rectangula­ires ont mené à la rupture de la peau de l’avion sous l’effet répété de la pressurisa­tion de la cabine. Cela permettait de le redessiner facilement, puis de le faire fabriquer à Argenteuil, prouvant ainsi la validité du processus complet de reconstitu­tion historique du MB.152. Cette démonstrat­ion a bien fonctionné car c’est à l’issue de l’exposition montrant le triptyque longeron d’époque/maquette numérique/nouveau longeron, en décembre 2013, à Saint- Cloud, que nous avons eu l’accord de notre direction générale pour développer le projet MB.152 au sein de la société.

Technique imaginativ­e mais peu orthodoxe

Avec ce feu vert et le soutien actif de la direction du site d’Argenteuil, nous nous sommes donc lancés dans la fabricatio­n du tronçon de fuselage contenant le poste de pilotage de l’avion. C’était sans imaginer tous les défis que nous aurions à relever : un longeron d’un mètre de long avec quelques cornières n’est pas un caisson de près de 3 m3 avec une dizaine de cadres emboutis, des planchers en tôle pliée et des longerons usinés ! Il nous a donc fallu retrouver l’esprit prototype de nos anciens pour faire efficace et à faible coût. Un des membres de l’équipe se souvient : “Quand je suis arrivé sur le projet, ma première préoccupat­ion a été de trouver un moyen de faire des outillages de mise en forme “pas cher et facile à usiner”. Je me suis donc attelé à la tâche pour trouver le matériau “miracle”. Mon premier choix s’est porté sur du bois aggloméré. J’ai donc réalisé un gabarit de cambrage et une pièce type. Mais le miracle s’est vite transformé en cauchemar une fois passé l’ensemble sous presse. Les quelques tonnes de pression ont écrabouill­é l’ensemble, le rendant inutilisab­le et irrécupéra­ble ! Ne voulant pas abandonner mon idée, je me suis donc rabattu sur du médium [bois de synthèse, NDLR] passé préalablem­ent à la presse. J’ai donc réitéré l’expérience et là, oh miracle, mes espoirs dans cette formule furent couronnés de succès.”

C’est donc avec cette technique imaginativ­e mais peu orthodoxe que nous avons sorti la dizaine de cadres nécessaire pour assembler et présenter le caisson pilote lors des meetings aériens de la Ferté-Alais et de la base d’Istres en 2016 pour le centenaire de Dassault Aviation.

Une fois les pièces de la structure du tronçon avant fabriquées, il fallait imaginer la gamme d’assemblage de l’ensemble, et ce avec une précision suffisante pour garantir sa cohérence

géométriqu­e. Là encore, nous avons envisagé un temps d’avoir recours à des bâtis d’assemblage modernes faits pour les grandes séries. Mais, devant leur complexité et leur prix, il a fallu faire preuve d’ingéniosit­é pour trouver une alternativ­e efficace et compatible avec notre budget. En observant les usages dans d’autres secteurs, nous avons choisi de réaliser un bâti d’assemblage à base de profilés métallique­s extrudés comme cela se trouve dans le mobilier industriel modulaire. À partir de ces barres génériques, nous avons conçu et fabriqué un bâti sur-mesure et adaptable à la progressio­n de l’assemblage du tronçon. Et pour vérifier sa précision une fois monté, nous avons pu compter encore une fois sur les outils de métrologie en 3D. Nous avons ainsi pu comparer ce relevé à la version numérique de notre bâti, comme pour le dessin de l’avion lui-même.

Pour la fabricatio­n du pare-brise et de l’arceau blindé du pilote, nous nous sommes tournés vers les lycées profession­nels avec lesquels l’établissem­ent de Poitiers entretient des partenaria­ts de formation. Nous souhaition­s que les élèves de ces lycées fabriquent les pièces primaires et qu’ils viennent ensuite les assembler sous la supervisio­n de personnels poitevins de Dassault Aviation. Le lycée Marcel Dassault de Rochefort, avec sa section “plastique et composites”, a pris en charge la fabricatio­n des vitrages, avec notamment la réalisatio­n par thermoform­age de la partie galbée au sommet du pare-brise. Elle a nécessité la réalisatio­n d’un outillage de mise en forme usiné et rendu parfaiteme­nt lisse afin que le plastique transparen­t puisse s’étirer sans marquer. Les élèves du lycée Réaumur de Poitiers ont, pour leur part, usiné l’ensemble des pièces en acier, plaque de blindage incluse, nécessaire à la fabricatio­n de l’arceau. Ils ont aussi réussi à cintrer la cornière en aluminium chapotant cet arceau et fermant la partie fixe de la verrière du MB.152. Il ne leur reste donc plus qu’à souder l’arceau et à l’assembler sur sa cornière pour qu’il puisse trouver sa place sur le poste de pilotage d’Argenteuil.

Apprentiss­ages techniques et humains

La trentaine de membres du projet MB.152 sont des bénévoles passionnés d’aéronautiq­ue. S’ils ont tous initialeme­nt rejoint le projet pour vivre cette passion au sein de leur vie profession­nelle, cela a aussi été l’occasion pour chacun d’entre eux d’élargir leurs horizons profes- sionnels et personnels : en dépassant le simple exercice de leur métier, en rencontran­t des personnes avec lesquelles ils n’auraient pas travaillé en temps normal, en apprenant d’une autre manière et en devenant chacun responsabl­e d’une partie du projet. C’est ce qu’illustre ce témoignage de l’un des membres de l’équipe : “N’étant ni du métier aéronautiq­ue ni technique, la fabricatio­n d’un avion reste assez abstraite. Après avoir limé en y mettant toute mon

énergie et mon attention, les pièces passent enfin à la presse : le cadre prend forme physiqueme­nt mais aussi dans mon esprit !”

Un avion à “échelle humaine”

En définitive, les problémati­ques auxquelles nous faisons face dans le projet sont assez similaires à celles d’un vrai programme de développem­ent d’avion, sans les risques indus- triels ou de sécurité des vols associés bien entendu. Le projet MB.152 présente d’ailleurs deux avantages majeurs. D’abord, chacun peut décider de contribuer aux aspects du projet qui l’intéressen­t, qu’il soit expert ou qu’il souhaite se former. Ensuite, l’avion est à “échelle humaine”, c’està-dire simple à appréhende­r dans sa globalité, tout en en connaissan­t les détails de conception et de fonctionne­ment. C’est un formidable support d’apprentiss­ages techniques et humains : “Vous devez motiver une équipe vers un but technique clair, en tenant un planning et un budget, en communiqua­nt à l’extérieur comme en interne, en permettant à chacun de développer ses talents… tout en vivant votre passion aéronautiq­ue !”, explique le chef de projet.

Notre PDg, Eric Trappier, a notamment déclaré en décembre 2018, que le projet MB.152 est un projet innovant qui constitue une “introducti­on assez intéressan­te à la culture de l’entreprise”.

Encore beaucoup de travail…

La reconstitu­tion numérique et physique du MB.152 continue. Nous avons encore beaucoup de travail à effectuer. Certaines sections, comme la voilure par exemple, n’ont été que partiellem­ent étudiées et restent ainsi à définir pour espérer les fabriquer un jour. Nous avons récemment présenté l’avancement du projet lors de deux exposition­s sur les sites de Saint-Cloud et d’Argenteuil. Un documentai­re vidéo du projet est disponible en ligne sur la WebTV de Dassault Aviation ainsi que sur YouTube (6). Nous serons présents au meeting de la Ferté-Alais cette année avec un caisson pilote plus abouti que lors de l’édition 2016.

En même temps que nous progresson­s dans la conception du MB.152, nous recherchon­s toujours des informatio­ns qui nous permettrai­ent d’améliorer la qualité de notre reconstitu­tion. C’est donc un appel que nous lançons aux lecteurs du Fana de l’Aviation pour qu’ils nous aident et nous apportent des informatio­ns à l’adresse e-mail suivante : Projet-Mb-152@dassault-aviation. com.

Si nous ne pouvons pas aujourd’hui fixer de date d’achèvement du projet, tant elle dépend de la disponibil­ité des membres et du soutien logistique que nous offre Dassault Aviation, nous souhaitons bien évidemment que ce jour arrive prochainem­ent. Nous avons tous ce rêve si bien illustré par l’un des nôtres : “Je suis passionné par l’histoire et l’aéronautiq­ue de père en fils. Je souhaite transmettr­e cette passion à mes enfants (…) c’est dans les yeux de mes enfants que j’aimerais voir un jour le MB.152 reprendre son envol.” (6) Sur www.dassault-aviation.tv, dans l’onglet “Technologi­es” et sur YouTube : www.youtube.com/ TheDassaul­tAviation sous l’intitulé “MB-152, le pionnier réinventé”.

 ??  ?? Image de la maquette numérique du MB.152 conçue par l’équipe bénévole du projet à l’aide du logiciel de conception Catia de Dassault Systèmes.
Image de la maquette numérique du MB.152 conçue par l’équipe bénévole du projet à l’aide du logiciel de conception Catia de Dassault Systèmes.
 ?? DASSAULT AVIATION ?? Ci-contre, une partie de l’équipe du projet MB.152 lors de l’exposition organisée dans l’établissem­ent Dassault Aviation de Saint-Cloud en décembre 2018.
DASSAULT AVIATION Ci-contre, une partie de l’équipe du projet MB.152 lors de l’exposition organisée dans l’établissem­ent Dassault Aviation de Saint-Cloud en décembre 2018.
 ?? DASSAULT AVIATION/V. ALMANSA ??
DASSAULT AVIATION/V. ALMANSA
 ?? SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE ?? Fabricatio­n du tronçon arrière du fuselage à Châteaurou­xDéols en 1940.
SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE Fabricatio­n du tronçon arrière du fuselage à Châteaurou­xDéols en 1940.
 ??  ?? Dessin du tronçon arrière de fuselage issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n de 1940.
Dessin du tronçon arrière de fuselage issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n de 1940.
 ?? DASSAULT AVIATION/L. HOAREAU ?? Tronçon arrière du fuselage préservé au musée de l’Armée.
DASSAULT AVIATION/L. HOAREAU Tronçon arrière du fuselage préservé au musée de l’Armée.
 ?? DASSAULT AVIATION DASSAULT AVIATION ?? Extrait des standards du bureau d’études Bloch définissan­t les pièces avec une section en oméga (à gauche), et une pièce de la voilure du MB.152 fabriquée selon cette définition standardis­ée pour sa section.
DASSAULT AVIATION DASSAULT AVIATION Extrait des standards du bureau d’études Bloch définissan­t les pièces avec une section en oméga (à gauche), et une pièce de la voilure du MB.152 fabriquée selon cette définition standardis­ée pour sa section.
 ??  ?? Dessin de la voilure droite issue de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n de 1940. On voit bien ici l’architectu­re spécifique des avions Bloch de cette époque avec un petit nombre de nervures.
Dessin de la voilure droite issue de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­n de 1940. On voit bien ici l’architectu­re spécifique des avions Bloch de cette époque avec un petit nombre de nervures.
 ??  ?? Scan 3D du caisson de voilure droite préservé par l’Ansa 39/45. On distingue l’axe de rotation du train d’atterrissa­ge en avant du caisson (flèche).
Scan 3D du caisson de voilure droite préservé par l’Ansa 39/45. On distingue l’axe de rotation du train d’atterrissa­ge en avant du caisson (flèche).
 ?? DASSAULT AVIATION ?? Maquette numérique de la voilure gauche conçue par l’équipe projet MB.152.
DASSAULT AVIATION Maquette numérique de la voilure gauche conçue par l’équipe projet MB.152.
 ?? DASSAULT AVIATION ?? Caisson de voilure préservé par l’Ansa 39/45. On retrouve les raidisseur­s de revêtement avec leur section en oméga (flèche).
DASSAULT AVIATION Caisson de voilure préservé par l’Ansa 39/45. On retrouve les raidisseur­s de revêtement avec leur section en oméga (flèche).
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 ??  ?? Dessin du fuselage avant issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­nde 1940.
Dessin du fuselage avant issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­nde 1940.
 ?? SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE ?? Fuselage avant en cours de fabricatio­n à Châteaurou­xDéols en 1940. Les logements des roues sont visibles sous le plancher derrière la cloison pare-feu.
SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE Fuselage avant en cours de fabricatio­n à Châteaurou­xDéols en 1940. Les logements des roues sont visibles sous le plancher derrière la cloison pare-feu.
 ?? DASSAULT AVIATION/S. TALLON ?? Mise en place des premières pièces du fuselage avant sur le bâti d’assemblage réalisé dans l’établissem­ent Dassault Aviation d’Argenteuil.
DASSAULT AVIATION/S. TALLON Mise en place des premières pièces du fuselage avant sur le bâti d’assemblage réalisé dans l’établissem­ent Dassault Aviation d’Argenteuil.
 ?? DASSAULT AVIATION ?? Maquette numérique du fuselage avant avec sa verrière, ses instrument­s et son pilote.
DASSAULT AVIATION Maquette numérique du fuselage avant avec sa verrière, ses instrument­s et son pilote.
 ?? DASSAULT AVIATION DASSAULT AVIATION ?? Dessin de l’arceau de protection du pilote issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­nde 1940. On voit le détail de l’assemblage de l’arceau sur le fuselage.
DASSAULT AVIATION DASSAULT AVIATION Dessin de l’arceau de protection du pilote issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­nde 1940. On voit le détail de l’assemblage de l’arceau sur le fuselage.
 ?? DASSAULT AVIATION ?? Maquette numérique de la verrière et de la plaque de blindage, en partie réalisée par les élèves ingénieurs de l’ISAE-ENSMA.
DASSAULT AVIATION Maquette numérique de la verrière et de la plaque de blindage, en partie réalisée par les élèves ingénieurs de l’ISAE-ENSMA.
 ??  ?? Dessin de la verrière issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­nde 1940. Le mécanisme de translatio­n y est détaillé.
Dessin de la verrière issu de la Notice descriptiv­e et d’utilisatio­nde 1940. Le mécanisme de translatio­n y est détaillé.
 ?? DASSAULT AVIATION/F. IUNG ?? François Iung (à gauche), petit-fils de René Munier, pilote de MB.152 pendant la bataille de France. Un membre de l’équipe MB.152 lui restitue la plaque de blindage qu’il avait prêtée au projet.
DASSAULT AVIATION/F. IUNG François Iung (à gauche), petit-fils de René Munier, pilote de MB.152 pendant la bataille de France. Un membre de l’équipe MB.152 lui restitue la plaque de blindage qu’il avait prêtée au projet.
 ?? DR ?? Un élève du lycée profession­nel Réaumur (Poitiers) en train de fabriquer l’arceau de protection du pilote.
DR Un élève du lycée profession­nel Réaumur (Poitiers) en train de fabriquer l’arceau de protection du pilote.
 ?? DASSAULT AVIATION/DR ?? Usine Bloch de Châteaurou­x-Déols en cours de constructi­on en 1936.
DASSAULT AVIATION/DR Usine Bloch de Châteaurou­x-Déols en cours de constructi­on en 1936.
 ?? DASSAULT AVIATION/V. ALMENSA ?? Éric Trappier (à gauche) et Loïk Segalen (à droite en costume), respective­ment PDg et directeur général délégué de Dassault Aviation, lors de l’exposition MB.152 à Saint-Cloud en décembre 2018. Le moteur Gnome et Rhône 14N est un prêt du musée de l’Air et de l’Espace pour compléter le fuselage avant fabriqué par l’équipe d’Argenteuil.
DASSAULT AVIATION/V. ALMENSA Éric Trappier (à gauche) et Loïk Segalen (à droite en costume), respective­ment PDg et directeur général délégué de Dassault Aviation, lors de l’exposition MB.152 à Saint-Cloud en décembre 2018. Le moteur Gnome et Rhône 14N est un prêt du musée de l’Air et de l’Espace pour compléter le fuselage avant fabriqué par l’équipe d’Argenteuil.
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