La stratégie des calories
Les carburants d’aviation
Rien ne se serait fait dans l’aviation sans le carburant. Comment faire toujours plus puissant pour aller plus vite, plus loin ?
Le principe de Carnot définit le moteur à combustion interne par la transformation de chaleur en énergie. En aviation, le problème est d’obtenir le plus de chaleur possible dans des moteurs les plus petits possible. Les solutions sont multiples. L’une d’elles est indispensable : un carburant approprié.
Dès les débuts de l’automobile, il fut évident que la qualité des essences de pétrole était irrégulière. Certaines, plus volatiles que d’autres, semblaient a priori supérieures parce que leur vaporisation plus rapide facilitait leur mélange avec l’air, assurant ainsi une meilleure combustion. Mais, avec les avions, lorsqu’ils furent capables de prendre rapidement de l’altitude, l’essence n’ayant pas le temps de refroidir, la diminution de pression atmosphérique accélérait sa vaporisation avant son arrivée au carburateur ; c’était le vapor-lock, la formation dans les tuyaux de bulles bloquant l’arrivée d’essence liquide. Il fallut donc choisir pour l’aviation des essences adaptées ; comme leurs caractéristiques dépendent de celles du pétrole à partir duquel elles sont raffinées, elles furent d’abord désignées en France par leur provenance, soit, pour l’aviation militaire pendant la Première Guerre mondiale “l’essence de Sumatra” et, dans une moindre mesure, “l’essence légère de Bornéo” ; le V8 Hispano-Suiza de 180 ch du Spad VII donnait une puissance maximale de 182 ch avec la première, de 179 avec la seconde.
Pendant ce conflit, pour tirer plus de puissance des moteurs existants, vitesse de rotation et taux de compression furent augmentés. Cependant, la compression produit un échauffement et, dès que celle-ci dépassa le taux de 4, un autre phénomène pas vraiment inconnu prit de l’ampleur car, sous l’effet de cette chaleur, le carburant s’enflammait prématurément, d’où cliquetis et perte de puissance auxquels seule une réduction des gaz pouvait mettre fin. Les essences de pétrole s’enflammaient généralement à 275 °C, aucune ne permettait donc de dépasser le taux de compression de 5,6 où la compression élève la température du mélange carburé de plus de 300 °C. L’emploi de compresseurs efficaces sur les moteurs à taux de compression considéré comme élevé pouvait en conséquence produire une détonation aux effets éventuellement plus
délétères : diminution de puissance, forte augmentation de température, voire piston crevé, culasse fendue, bielle flambée, vilebrequin tordu, piston éclaté, carter ouvert… La liste des avanies mécaniques relevées dans les archives montre que l’incident n’avait rien d’anodin.
L’unique remède consistait à rendre le carburant moins volatil avec un additif antidétonant. Un premier fut vite trouvé : le benzol. Bien connu avant la Grande Guerre, ce produit de la distillation de la houille pouvait être mélangé à l’essence en très forte proportion, voire utilisé presque pur. Il n’en manquait pas en France bien qu’en temps de guerre il fût aussi largement utilisé dans la fabrication des explosifs. Les Allemands y eurent abondamment recours, qui manquèrent de pétrole dès 1914.
Dans l’entre- deux-guerres en Europe, le benzol fut la base des carburants spéciaux brûlés dans les moteurs de haute compétition. Exemple : pour donner 2 800 ch avec son taux de compression de 7, exceptionnellement élevé, le moteur Rolls-Royce R du Supermarine S6B de la Coupe Schneider de 1931 avalait 960 l à l’heure d’un cocktail inédit composé de 30 % de benzol, 60 % de méthanol, 10 % d’acétone, et de moins de 1 % d’un produit nouveau, rare, méphitique, déjà décrié, terriblement efficace, un poison dont la véritable identité, plomb tétraéthyle, était le plus souvent camouflée sous des appellations faussement rassurantes.
Le toluène, isolé au RoyaumeUni et en France au XIXe siècle, fut préconisé comme antidétonant au cours des années 1920 au RoyaumeUni par Sir Henry Tizzard, ancien officier pilote, principal conseiller technique de la RAF, futur président en 1933 de l’Aeronautical Research Committee (ancien British Advisory Committee for Aeronautics), qui établit d’ailleurs un classement des essences ( Toluene number) en fonction de son dosage.
L’alcool éthylique, à condition qu’il ne contînt presque pas d’eau (alcool à plus de 90°), est antidétonant avec l’avantage d’être plus léger que l’essence, mais son pouvoir calorique étant inférieur, sa consommation est sensiblement plus élevée.
1921 : le plomb tétraéthyle
La puissante industrie automobile américaine poussait les recherches pour éliminer la plaie du cliquetis des moteurs trop chauds. C’est la raison pour laquelle des recherches menèrent au plomb tétraéthyle, isolé en 1921 par un chimiste attaché à une filiale de General Motors, Thomas Midgley Jr ; il suffisait d’en ajouter un ou deux millilitres par litre d’essence pour que son efficacité fût totale. L’apparition du plomb tétraéthyle (TEL en anglais) fut une révolution.
Malheureusement, cette espèce d’huile incolore se révéla d’emblée si toxique que son emploi suscita très vite des protestations. Midgley luimême fut sérieusement incommodé une première fois. Cependant, l’intérêt de cet additif était capital car il permettrait de tirer plus de puissance des moteurs existants, c’est-à-dire, pour l’aéronautique, d’obtenir plus de puissance sans avoir à utiliser de moteurs plus gros et plus lourds, tout en consommant moins ! Sa fabrication fut donc lancée par Du Pont de Nemours… La mort de 10 personnes en plus de nombreuses intoxications dans l’usine et le laboratoire soulevèrent un tollé. La production fut stoppée. Elle reprit en 1924 dans une nouvelle société, filiale de General Motors et Standard Oil (aujourd’hui
Exxon), Ethyl Gasoline. On évita désormais le mot plomb, en commercialisant (cher) des flacons du produit diabolique dont l’étiquette portait les marques Ethyl Fluid ou, plus enjôleuse, l-T Mix Blue Aviation Ethyl Fluid pour un mélange de TEL et de composés d’éthylène.
En 1925, le service de santé publique américain fit suspendre la vente du TEL pendant un an, le temps d’une enquête. Les experts s’avouèrent incompétents. Midgley et ses collaborateurs jurèrent qu’il n’existait aucun substitut ; l’État du New Jersey où l’usine était implantée obtint son déménagement et on en resta là. Midgley en personne s’efforça d’abord de convaincre la presse de l’innocuité du TEL, mais ne put longtemps nier sa dangerosité.
Cependant, il affirma publiquement qu’il était détruit par la combustion. Contre-vérité qui ne fit pas illusion chez les professionnels. Au début des années 1930, certains avionneurs ou motoristes britanniques estimèrent important de tenir les navigants écartés des gaz d’échappement de l’essence au plomb, car, en brûlant, le plomb tétraéthyle répand dans l’atmosphère des molécules au moins aussi pernicieuses que lui, et certains le considèrent comme le facteur de pollution atmosphérique le plus nocif. Il ne fut interdit aux États-Unis qu’en 1975 parce qu’il était nuisible… aux pots d’échappement catalytiques, puis en Europe à partir de 1998 pour des raisons sanitaires, sauf dans quelques cas particuliers dont l’aviation. Il demeure donc utilisé ; son fabricant serait l’un des 500 plus riches industriels américains…
Au cours des années 1930, on prétendit aussi – et c’était également faux – que grâce à d’autres adjuvants, le TEL devenait inoffensif. Un scientifique, universitaire de renom (mais appointé par Ethyl Gasoline), certifia que rien ne permettait de conclure à une dangerosité quelconque. Puis Midgley dut se mettre en retrait, victime d’une forme de saturnisme, intoxication grave au plomb. Il mourut à 54 ans.
Cependant le monde s’enfonçait inexorablement dans la guerre et le plomb tétraéthyle n’avait plus besoin
de mensonges pour sa défense ; il devenait une arme de guerre qu’il n’était plus temps de contester, d’autant plus indispensable et stratégique que les États-Unis en détenaient le monopole.
En avril 1933, les Américains établirent une nouvelle spécification militaire pour augmenter à 100 avec un apport de TEL l’indice d’octane du carburant d’aviation ; en 1940, ils en produisaient 230 t par jour (environ 320 000 l). Cependant, au début, les militaires l’utilisaient peu parce qu’il était trop cher. Mais, avec la multiplication par milliers de leurs avions à moteurs suralimentés, et avec la croissance très rapide des taux de compression, en cinq années de guerre les Américains en produiraient plus de 7 millions de tonnes.
En 1936, en France, le ministère de la Santé publique autorisa l’accroissement de la dose de plomb tétraéthyle de 0,3 à 0,8 cm3 par litre d’essence, notamment pour les avions de combat, vraisemblablement pour arriver à “l’essence D” à 100 octane. Cela n’alla pas sans difficultés car le mélange du TEL avec les essences ordinaires provoquait notamment de la corrosion dans les cylindres tandis que l’augmentation des températures de combustion dues à la hausse des taux de compression endommageait les échappements et posait des problèmes de refroidissement.
Les essences d’aviation furent normalisées en France de 1937 à la guerre, en trois catégories : ordinaire (sans additif, moins de 75 octane) pour moteurs de faible puissance et de taux de compression inférieur à 5 ; A, au benzol pour taux de compression inférieurs à 6 et petits compresseurs (généralement 78 octane) ; B pour moteurs puissants (généralement 87 octane). Un peu plus tard furent ajoutées C (92/100 octane) et, pour un usage essentiellement militaire, D (100/130 octane).
1925 : apparition de l’indice d’octane
Un mot nouveau est lâché : octane. Au moment où l’avenir du TEL était mis en question, Midgley et son équipe avaient isolé parmi la centaine de composants de l’essence, une molécule qui explose facilement, l’n-heptane, et une autre, l’isooctane (nom savant : triméthylpentane) qui, au contraire, brûle régulièrement, possédant de ce fait une propriété antidétonante. Ce fut une découverte décisive grâce à laquelle les différentes qualités de carburants purent être catégorisées par un “indice d’octane”, qui est non pas le rapport mais un équivalent au rapport idéal entre les teneurs en isooctane (indice 100) et n-heptane (indice 0) d’un “mélange étalon”, selon l’expression du magazine L’Aéronautique en 1932 ; car la composition des essences varie considérablement, comme nous l’avons vu. Une essence à 75 octane a donc les propriétés antidétonantes d’un mélange théorique comportant 75 % d’isooctane et 25 % d’heptane.
Les Américains furent les premiers à produire le triméthylpentane pour faire passer l’indice d’octane de leur essence d’aviation de 50 à 75, puis 87 et 92. Les autres pays suivirent lentement ; en septembre 1932, on pouvait lire dans L’Aéronautique : “… la notion, nouvelle en France, de nombre d’octane, courante depuis assez longtemps en Amérique.” Malheureusement, la mesure de l’indice dépend de conditions variables dont la température, et la norme encore floue provoquait une confusion certaine. Par exemple, pour un même produit, les indices britanniques étaient légèrement supérieurs aux américains. Néanmoins, la tendance fut, dans les ministères concernés, de normaliser des indices de plus en plus élevés année après année.
L’augmentation de l’indice d’octane était nécessaire pour tirer plus de puissance à cylindrée constante, et pour pouvoir utiliser la suralimentation par compresseur (l’air est échauffé par la compression d’où risque de détonation, etc.). En contrepartie elle imposait des modifications aux moteurs qui tourneraient plus vite et plus chauds.
La nouvelle essence au plomb bouscula les motoristes qui s’adaptaient tout juste à la 87 pour les avions de combat. En Europe, les Britanniques, qui produisirent aussi de l’isooctane, réagirent rapidement à partir de 1934. Pour éviter trop de transformations, beaucoup de motoristes limitèrent alors la durée d’em
ploi des forts indices sur les moteurs existant, c’est-à-dire au décollage et au début de la montée, la croisière étant exécutée avec un carburant d’indice plus faible. Le DGA-6 Mr Mulligan conçu aux États-Unis en 1934 par Ben Howard pour la course en ligne du Bendix Trophy ne comportait pas moins de trois réservoirs pour trois essences de 80, 87 et 100 octane.
Quelques chiffres donnés en 1933 par l’ingénieur en chef des moteurs Bristol, Roy Fedden, dans la revue Flight, illustraient de manière spectaculaire ce qu’apportait l’amélioration du carburant, en prenant l’exemple du moteur en étoile Bristol “Pegasus”. Sa puissance maximale de 570 ch avec l’essence ordinaire à 69 octane (indice américain), passait à 790 avec de la 92, tandis que la consommation horaire diminuait de presque 15 %. En 1934, l’USAAC, qui avait rencontré des problèmes de détonation avec l’essence dite “de combat” titrée à 92 octane (comparable au super 87 de l’aviation commerciale), essaya avec le moteur Pratt & Whitney “Wasp” de ses Boeing P-26A de chasse quatre essences à plus ou moins 100 octane contenant diverses quantités de plomb. Les chasseurs volèrent plus vite et sans problème de détonation. D’une année sur l’autre, le Pratt & Whitney “Twin Wasp” passa de 1 065 ch au décollage avec la 87, à 1 215 ch avec la 100, là aussi avec réduction de consommation spécifique. La messe était dite. Cependant, l’USAAC n’eut jamais, avant 1940, les budgets nécessaires pour acheter le nouveau et plus coûteux carburant en quantités suffisantes.
1922 : l’alcool, une vieille idée
Malheureusement en Europe, sauf au Royaume-Uni, l’essence était importée de sources étrangères. En France, en 1922, des 9 millions de tonnes brûlées chaque année, 6 provenaient d’Amérique du Nord. En écho à la politique d’indépendance énergétique lancée la même année par le président du Conseil Raymond Poincaré, La Revue des études coopérative (n° 7, deuxième trimestre 1923), entre autres, se complut à le déplorer pour servir les intérêts du monde agricole, plus exactement des céréaliers, viticulteurs et sucriers qui se voyaient capables de substituer un alcool biende-chez-nous aux produits du pétrole que la France n’avait pas encore, car l’exploitation pétrolière dans l’empire colonial français commença en 1924 avec la Compagnie française des pétroles (aujourd’hui Total), principalement en Algérie.
Ce n’était pas nouveau ; lorsque l’automobile cherchait son énergie au début du XXe siècle, ce groupe de pression avait organisé un premier concours en 1901. En 1902, le ministre du Commerce, Jean Dupuy, avait suscité un grand prix d’automobiles à alcool afin de promouvoir
le “carburant national”, le Circuit du Nord, qui fut gagné par Maurice Farman, pas encore aviateur. Au printemps de 1922, le comice agricole de Béziers organisa le Concours du carburant national dans l’espoir de défaire la France d’une dépendance de l’étranger. Cette manifestation à laquelle assistèrent des spécialistes de l’aéronautique, et dont le quotidien national Le Matin, traditionnellement lié à ceux-ci, fit un compte rendu précis, fut un défilé de véhicules routiers de toute sorte dont le carburant était un composé d’essence, d’alcool à 95°, de phénol et d’hexanol. “Des applications parfaitement réussies ont été faites depuis longtemps avec un mélange de 33 % d’alcool, 33 % d’essence et 33 % de benzol”, précisait le journaliste. La recherche du “carburant national” à base d’alcool dura jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Mais, au milieu des années 1930, dès lors que les services techniques de l’Aéronautique réclamèrent des essences à 87 octane (contenant de l’alcool éthylique ou du benzol) pour l’aviation militaire, l’importation nécessaire du plomb tétraéthyle et de l’isooctane, trop coûteuse, la relança. Le mélange benzol-alcool avec ou sans essence fut préconisé une fois de plus, comme le Djavol, essayé sur un Caudron 271 “Luciole” à moteur Lorraine 5 de 110 ch – et qui possédait, selon son promoteur, un indice d’octane élevé (très approximatif) de 96. Malheureusement pour l’aviation, le benzol avait le sérieux inconvénient d’avoir un point de congélation élevé ; il se figeait au froid d’altitudes qu’un “Luciole” ne pouvait atteindre. Seul l’Azur, supercarburant pour automobile contenant de l’alcool, fut vendu jusqu’en 1945, rappelle l’historien de l’automobile Jean-Pierre Dauliac (1).
1939 : l’essence “100/150”
L’indice d’octane de l’essence d’aviation varie aussi selon la qualité du mélange avec l’air ; il est plus bas avec un mélange pauvre qu’avec un mélange riche ; aussi, le plus souvent, deux valeurs sont données, mais là encore avec des variations puisque la “100” américaine faisait en réalité 98 ou 99 ! La meilleure essence d’aviation française en 1939 était la 87/100 à laquelle succéda vite la C ou 92/100 octane, puis enfi n la D ou 100/130, adoptée en avril 1940 avec le moteur Hispano-Suiza 12 Y 45 suralimenté par le compresseur Turbomeca, pour lui permettre de tourner à plus de 2 200 tr/min en altitude. Britanniques et Américains utilisaient alors couramment la 100/130, lui adjoignant, à partir de la fi n des années 1930, la 115/145 ou 100/ 150 pour les moteurs à forte pression d’admission (vers 45 pouces de mercure, 1,5 fois la pression atmosphérique standard, et au-delà) ; l’hydravion transatlantique Boeing 314 fut, en 1939, un des tout premiers utilisateurs de ce dernier carburant, encore très cher, dont l’Amérique produirait 11 millions de tonnes jusqu’à la fi n de la Deuxième Guerre mondiale.
Avec cette dernière essence et un bon compresseur, les pressions d’admissions (PA) des moteurs militaires courants furent poussées lors d’essais en mars et avril 1944 à des extrêmes inimaginables quelques années plus tôt. Au régime de secours, le V12 Alison V-1710 des P-38J “Lightning” donna 2 000 ch à 3 000 tr/min avec 75 pouces à l’admission (2,5 fois la pression atmosphérique standard d’environ 30 pouces) ; à cette même pression d’admission (limitée à 72 pouces en opération), le Packard “Merlin” V-1650 du North American P-51B “Mustang” donnait 1 860 ch ; le Pratt & Whitney R-2800 du P-47D pouvait être poussé à 65 pouces et 2 700 tr/min pour donner 2 600 ch, voire 70 pouces avec injection d’eau. À ces régimes d’urgence le P-51B gagnait jusqu’à
25 km/h, le P-38J jusqu’à 27 km/h, le Republic P- 47D “Thunderbolt” jusqu’à 30 km/h. Toutefois, le R-2800 surchauffait en montée et le V-1710 atteignait l’extrême limite de ses capacités. Seul le “Merlin” semblait pouvoir aller plus loin ; ses ultimes versions d’après-guerre furent d’ailleurs poussées à 2 080 ch au décollage.
La RAF qualifia début 1944 la 100/150 avec le moteur “Merlin” 66 du “Spitfire” Mk IX pour obtenir une pression d’admission supplémentaire de 25 livres, soit… 81 pouces ! À l’occasion de la chasse aux bombes volantes V1, les Britanniques mesurèrent avec ce supercarburant la progression suivante des vitesses maximales au niveau de la mer : 576 km/h avec la 100/150 au lieu de 540 avec la 100/130 pour le “Spitfire”
Mk IX ; 586 km/h au lieu de 577 pour le “Spifire” Mk XIV à moteur “Griffon” ; 622 km/h au lieu de 599 pour le Hawker “Tempest” Mk V à moteur “Sabre” ; 627 km/h au lieu de 580 pour le De Havilland “Mosquito” Mk III. Mais des difficultés d’approvisionnement en 100/150 – 2 000 t par mois –, obligèrent le Royaume-Uni à revenir, dans une certaine mesure, vers la 100/130.
Les sièges des soupapes rongés par le composé
Pour ses avions de chasse, la 8th Air Force américaine, basée en Grande-Bretagne, réclama en mai 1944 la livraison immédiate de 100/150. Celle-ci posa aussitôt des problèmes avec un fort encrassage des bougies par le plomb. Au début de 1945, au TEL qu’elle contenait fut par conséquent substitué un composé d’éthylène et un acide… qui rongeait à ce point les sièges de soupapes qu’il fallait les changer en moyenne toutes les 100 heures de fonctionnement. Insupportable. Aussi, dès le 1er avril 1945, la 100/150 au plomb redevint la règle, et les pilotes apprirent à nettoyer leurs bougies par de forts coups de gaz avant de couper les moteurs.
La 115/145 est toujours produite en très petite quantité pour les moteurs spéciaux d’avions de course, notamment les “Merlin” des “super” “Mustang” poussés à 2 800 ch avec injection d’eau et de méthanol et une pression d’admission de 145 pouces (4,8 atmosphères) ! La 100/130 est toujours en usage,
mais avec moins de plomb (environ 0,6 g/ l au lieu du double) afi n de convenir aux moteurs de petite puissance conçus au départ pour la 80/87 ; c’est pourquoi elle est nommée 100 LL pour low lead (basse teneur) en plomb. Elle confère aujourd’hui à l’aviation qui sent si fort le kérosène un fumet de nostalgie.
En Allemagne, pendant l’entredeux-guerres, la situation fut très différente car le traité de Versailles y interdit jusque dans la seconde moitié des années 1920 la production de moteurs de moyenne et grande puissance. Le problème de la détonation n’y fut donc abordé qu’à partir de 1927. Faute de TEL, l’industrie chimique fut priée de trouver des palliatifs et les motoristes des substituts. Finalement, en 1938, le DVL (Deutsche Versuchsanstalt für Luftfahrt, établissement de recherches aéronautiques allemand) fut chargé du problème sans y apporter de bonne solution. Dans le même temps BASF (IG-Farben) trouva notamment des catalyseurs spéciaux, et, surtout, le moyen de produire des essences synthétiques aux propriétés antidétonantes convenables par hydrogénation de la houille et du lignite.
1928 : les carburants de sécurité
La volatilité de l’essence qui s’enflammait ou explosait trop facilement en combat ou lors d’accidents suscita l’intérêt pour des carburants dits de sécurité parce que moins inflammables comme les huiles lourdes, gazole ou distillats du goudron de charbon. Ceux- ci nécessitaient des moteurs spéciaux avec compresseur et injection directe. Les recherches furent engagées après la Première Guerre mondiale par de nombreux motoristes dans le monde, mais les seules qui aboutirent à une production en série furent celles de Junkers Motoren avec le Jumo 205 (en 1932) aux deux vilebrequins entraînés par des pistons opposés deux à deux dans un même cylindre. Junkers tentait ainsi de corriger l’excès de poids des culasses renforcées pour résister aux taux de compression élevés de ces moteurs. Ceux-ci étaient d’ailleurs défavorisés par une faible puissance massique et l’impératif de réchauffer en permanence le carburant pour faciliter son inflammation ; certains ne pouvaient être démarrés que par injection d’un produit plus volatile ou par un moteur auxiliaire à essence. Augmenter leur puissance passait aussi par une augmentation de cylindrée et l’on aboutissait à des solutions énormes comme le Clerget 16H de 81 l de cylindrée, un 16 cylindres français à quatre turbocompresseurs dont on espérait 2 000 ch, mais qui fut abandonné au début de ses essais en 1939. Repris à la fin du XXe siècle, le moteur Diesel d’aviation – dérivé de l’automobile – n’a pas non plus connu le succès attendu.
Connu depuis le XIXe siècle pour alimenter les lampes, le kérosène, autre produit du pétrole moins inflammable que l’essence, est devenu un carburant d’aviation avec les turboréacteurs dont les premiers exemplaires fonctionnaient aussi à l’essence. Le kérosène possède un pouvoir calorique sensiblement plus élevé que celleci, produisant donc plus d’énergie à volume égal, or, si les turbomachines produisent des puissances très fortes, c’est grâce à des températures de combustion plus élevées. En outre, le kérosène, à l’inverse du gazole, se fige à des températures extrêmement basses de l’ordre de - 60 °C, alors que la température minimale rencontrée par les avions dans la stratosphère est d’environ -50 °C. Les Américains en ont fait le “Jet Propellant” (JP – combustible pour réacteur), et en ont développé plusieurs variétés parfois spécialement, aux États-Unis, pour des avions aux performances particulières comme les Lockheed U-2 (très haute altitude et très basse températures) ou SR-71 (échauffement cinétique très important) ou les avions embarqués. Au JP-1 succéda en 1951 le JP- 4 contenant 50 à 60 % d’essence, remplacé à partir de 1978 par le JP- 8 moins inflammable. L’aviation civile utilise principalement le Jet A-1 équivalent au JP- 8 militaire avec des additifs différents.
1944 : les mauvais lubrifiants
Le bon fonctionnement des moteurs dépend aussi considérablement de la qualité des lubrifiants, des joints, des systèmes d’allumage. Le bon exemple est ici celui de l’aéronautique allemande qui ne put développer de moteurs à pistons aussi puissants que les Alliés parce que les lubrifiants synthétiques fabriqués à partir du charbon par son industrie chimique étaient de mauvaise qualité – parfois inutilisables en fin de guerre. Or les moteurs allemands consommaient des quantités d’huile très excessives faute de joints efficaces. Enfin, on ne peut ignorer qu’à partir du milieu de 1944, les adversaires des Alliés, l’Allemagne et le Japon, commencèrent à manquer sérieusement de pétrole pour alimenter leurs armées. Quant au refroidissement, problème exacerbé par la suralimentation des compresseurs et additifs, il fut plus ou moins résolu par les aérodynamiciens.