Les “Stuka” mettent à genoux Sedan
Comment un bombardier en piqué décida du sort de la bataille. En mai 1940 le “Stuka” entra dans la légende.
Lancés à l’assaut de la France, les “Panzer” du général Guderian franchirent la Meuse en un temps record, grâce notamment à l’action des Junkers 87 “Stuka” de la Luftwaffe qui semèrent panique et désolation sur la petite ville de Sedan. Un mythe acheva de naître ce jour-là, mais un mythe en trompe-l’oeil.
Le 10 mai 1940, alors que toute l’attention était monopolisée par les combats dans le centre de la Belgique, d’importantes divisions blindées allemandes traversèrent le Luxembourg et la Belgique orientale. Sans subir la moindre attaque de l’aviation alliée – fait à la fois remarquable et étrange. Ce n’est que le 12 mai que le haut commandement français allait prendre conscience que l’attaque principale visait en fait Sedan et non pas le Nord de la Belgique comme en août 1914. En effet, le plan de bataille Fall Gelb (plan jaune), aussi appelé “coup de faucille”, ”, originellement conçu par ar le général von Manstein en s’inspirant ’i i des conceptions novatrices de l’utilisation des chars proposées par le gén. Guderian, reposait sur l’idée que les grandes unités blindées allemandes, après avoir franchi les Ardennes et la Meuse, devaient immédiatement progresser vers l’ouest, vers la Manche, sans se préoccuper de leurs flancs ouverts, afin de gagner la course de vitesse qui les opposerait aux Alliés.
Le Grand Quartier général français finit par sortir de sa torpeur, et tous les ponts sur la Meuse furent détruits le 12 mai en soirée. Au matin du 13 mai, il ne faisait plus doute que Sedan, à l’extrémité nord de la ligne Maginot, était l’objectif de divisions du Panzergruppe von Kleist (groupement blindé von Kleist), du nom d du gén. Paul Ludwig E Ewald von Kleist qui le commandait. Le premier échelon de ce groupement était constitué du 19e corps d’armée du gén. Guderian, c o mp r e n a n t les 1re, 2e et 10e Panzerdivision. À l l’aube du 10 mai, ses co colonnes de véhicules blin blindés, vues d’avion, ressem ressemblaient au plus gigantesque embouteillage b de l’histoire, s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres Mais il lui fallait franchir la Meuse, formidable obstacle naturel.
Les lignes de défense manquent de cohérence
Le secteur de Sedan était alors protégé par la 55e division d’infanterie, constituée essentiellement de troupes d’infanterie de deuxième
réserve – des hommes relativement âgés, manquant d’entraînement et disposant de peu de matériel. Dans la petite ville des Ardennes, le fleuve fait près de 60 m de large et il est impossible de le franchir à gué. Le long de la Meuse, des ouvrages fortifiés, casemates, fortins, tous en bétons armés, avaient été construits dès 1938 et lors de la “drôle de guerre”. Mais beaucoup de ces ouvrages n’étaient pas terminés et quand ils l’étaient, peu étaient totalement équipés. Certains n’avaient même pas de portes blindées. 200 m environ les séparaient les uns des autres. Les lignes de défense manquaient de profondeur et de cohérence, les berges de la Meuse n’étaient pas protégées par des fils barbelés, les tranchées n’étaient pas reliées entre elles. Les fantassins étaient soutenus par de l’artillerie (canons de 75, 105 et 155 mm) et se trouvaient sur un secteur au sud de Sedan entre les villages de Frénois et Bulson, dans le bois de la Marfée, situé sur un plateau dominant Sedan et la Meuse. Les transmissions se faisaient par lignes téléphoniques, supposées être enterrées, et non par radio.
La 55e DI disposait certes, à elle seule, de 140 canons dans son secteur, mais les Français ne disposaient que d’une quantité limitée de munitions, car le commandement suprême n’avait pas prévu que les Allemands concentreraient leur offensive dans ce secteur. Ainsi, les artilleurs avaient le souci d’économiser les munitions.
Le 10 mai précédent, les Junkers 87 “Stuka” de la Sturzkampfgeschwader 2 (StG 2, escadron de bombardement en piqué 2) avaient pilonné la forteresse belge réputée imprenable d’Eben Emael, juste au sud de Maastricht, tandis que la StG 77 s’était envolée de CologneButzweilerhof pour attaquer des positions ennemies le long de la Meuse près de Liège. Plus tard, en soirée, les deux unités avaient attaqué conjointement Anvers. Puis la StG 77 s’en était prise au fort Flémalle, où les “Stuka” avaient fait la démonstration parfaite de leur pouvoir destructeur. Néanmoins, le premier jour de l’opération d’invasion des Pays-Bas et de la Belgique, une douzaine de ces avions furent perdus, tous du fait des tirs de défense antiaérienne.
Au 10 mai, 317 Ju 87 étaient disponibles pour cette audacieuse campagne, sous commandement soit du II. Fliegerkorps du gén. Bruno Loerzer, soit du VIII. Fliegerkorps du gén. Wolfram von Richthofen (lire encadré page 19).
Le Junker 87B était une amélioration de la première version A. Il pouvait emporter une bombe en position ventrale de 500 kg ou de 250 kg, et quatre petites bombes de 50 kg (une paire sous chaque aile) là où le Ju 87A n’emportait qu’une unique bombe de 250 kg. Chaque aile recevait une mitrailleuse MG 17 de 7,92 mm, et la place arrière était équipée d’une MG 15 de 7,92 mm. Son moteur Jumo 211 de 1 200 ch lui autorisait une vitesse de croisière de 310 km, et une vitesse maximale de 390 km/h. Le Ju 87R était la version à long rayon d’action ( Reichweitenausführung en allemand, d’où le R) dérivée du Ju 87B ; il n’emportait qu’une unique bombe, sur la seule fourche ventrale, et recevait deux réservoirs de carburant de 300 l largables en vol, sous les ailes qui elles-mêmes contenaient également des réservoirs structuraux
À tour de rôle, les avions piquent (…) puis reprennent leur place dans la ronde
de 150 l chacun. L’autonomie du Ju 87R pouvait atteindre 1 400 km.
Le 12 mai, Guderian se fit transporter en avion jusqu’au quartier général du gén. von Kleist, à Ebly, en Belgique, où il arriva à 6 heures. En seulement deux jours, son XIX Armee-Korps avait traversé les Ardennes, et les deux tiers de ses effectifs, pour la plupart gonflés à la Pervitine, une amphétamine très répandue en vente libre, avaient atteint les rives de la Meuse, face à Sedan. L’homme n’était pas surnommé
“Heinz le Rapide” ( Schneller Heinz) pour rien. Néanmoins la colonne d’artillerie de sa 2. Panzer-Division avait été retardée dans les Ardennes.
Von Kleist, enthousiasmé par les récentes victoires en Belgique, intima à Guderian de frapper pendant que le fer était chaud, en attaquant le lendemain à 15 heures de façon à prendre les défenseurs français au dépourvu. Guderian fit part de son scepticisme quant aux chances de succès d’une attaque sans l’appui de sa 2. Panzerdivision et tenta de plaider un peu de temps mais Von Kleist l’interrompit et ordonna d’attaquer le lendemain. Cette première douche froide fut immédiatement suivie d’une seconde.
Guderian et les “Stuka”
Pour Guderian, le principal problème avec la traversée de la Meuse était de fait devenu l’absence d’un soutien d’artillerie adéquat, et donc tout reposait sur le soutien de la Luftwaffe. Von Kleist lui indiqua alors qu’il avait convenu avec le general der Flieger Hugo Sperrle, commandant la Luftflotte III, d’un bombardement conventionnel, à savoir une attaque en masse concentrée de bombardiers d’une durée de 20 minutes, juste avant le franchissement de la Meuse par l’infanterie prévu pour 16 heures. De son côté, Guderian avait mis au point avec le generalleutnant Bruno Loerzer, commandant du II. Fliegerkorps, une nouvelle procédure, dite de bombardement continu, spécifiquement pour l’attaque de Sedan. Elle prévoyait des attaques par des petits groupes d’unités, sans discontinuer tout au long de la journée. Il y voyait plusieurs avantages : la neutralisation permanente de l’artille
rie ennemie et un effet dévastateur sur le moral des défenseurs. Avec Loerzer, Guderian avait échafaudé un plan d’attaque très précis, sur la base d’une carte très détaillée où figuraient des groupes de cibles et des cibles individuelles. Le plan coordonnait dans l’espace et dans le temps les tirs directs, les tirs d’artillerie et les actions de la Luftwaffe dans une sorte de perfection qui n’avaient jamais été tentée auparavant. Von Kleist ne voulut rien entendre et fit savoir à Sperrle de transmettre ses ordres à Loerzer pour exécution. Guderian rentra furieux à son quartier général, après que son avion eut suivi une trajectoire quelque peu erratique au- dessus de la France, du fait d’un pilote peu expérimenté se retrouvant à survoler un territoire qu’il ne connaissait pas ou peu, juste avant le coucher du soleil.
L’enfer venait de se déchaîner
13 mai à l’aube, face aux nombreuses colonnes allemandes apparues à la lisière des forêts au nord de Sedan, l’artillerie française tira efficacement, gênant leur progression. Élément de la 1re Panzerdivision, le 1er régiment motorisé de fusiliers était commandé par Hermann Balck ; dans ses mémoires – intitu
loin de Bulson, le colonel Chaligne, commandant l’infanterie de la 55e DI, décrivit plus précisément l’action de la Luftwaffe : “Le 13 mai, les bombardements ont un caractère tout différent (de ceux de la veille). La formation de 15 à 20 avions se met en rond à 2 000 m environ au-dessus de sa zone d’objectifs et va y tourner à petite allure pendant 20 à 25 minutes. À tour de rôle, les avions piquent puis, étant remontés, reprennent leur place dans la ronde. Le plus souvent, un appareil attend pour commencer son mouvement que le précédent ait amorcé sa remontée. Mais il arrive aussi qu’il le suive de plus près. Deux ou trois avions piquent à la file, dans le même sillage, chacun bombardant en fin de course ou se contentant de mitrailler. Les appareils attaquent ainsi successivement toutes nos organisations réelles ou seulement apparentes.”
14 heures, les frappes aériennes s’intensifièrent et augmentèrent en férocité pour atteindre leur paroxysme vers 15 heures.
l’après-midi de ce 13 mai, Heinz Guderian se rendit sur la Colline 266, au sud de Givonne, pour observer l’action de la Luftwaffe. À son grand étonnement, il vit les bombardiers en piqué attaquer précisément selon la méthode qu’il avait mise au point avec Loerzer. Dans ses mémoires ( Erinnerung eines soldaten, 1950), il écrit : “Vers 15 h 30, je me rendis, sous le feu des canons
français, à un des observatoires de la 10e Panzer pour apprécier l’efficacité des tirs d’artillerie et l’intervention de la Luftwaffe. La bataille se déclencha vers 16 h 00 en offrant le spectacle d’un feu impressionnant. J’attendais avec une attention particulièrement tendue l’attaque des aviateurs. Elle survint à l’heure dite ; mon étonnement fut alors indescriptible : sous la protection de la chasse, un nombre limité d’escadrilles de bombardement et de “Stuka” attaquèrent exactement comme cela avait été défini lors du Kriegsspiel [littéralement jeu de la guerre] avec Loerzer. Le général von Kleist avaitil encore changé d’avis, ou l’ordre de modifier le plan d’assaut n’était-il pas parvenu à bon port ? Peu importe, les aviateurs agissaient de la façon qui me paraissait la plus avantageuse pour notre attaque. Je respirais.”
peu plus tard, dans la soirée, Guderian allait appeler au téléphone Loerzer pour le remercier du soutien si efficace de la Lutfwaffe, et s’entendre expliquer, sur un ton narquois : “Les ordres de la Luftflotte III, qui bouleversaient tout, sont arrivés, et bien… disons… trop tard. Ils auraient causé de la confusion au sein des groupes aériens, c’est pourquoi je ne les ai pas transmis du tout.”
Carrousel infernal
col. Chaligne poursuivit ainsi sa description : “Trois rondes bombardaient simultanément entre Donchéry et Wadelincourt (largement inclus)… Au-dessus d’elles, trois autres formations de mêmes forces venues successivement de l’Est s’étaient mises en rond à 3 000 ou 4 000 m. Enfin quelques avions, encore dispersés, attaquaient les arrières immédiats, particulièrement la batterie de défense antiaérienne qui changeait constamment de position. Il y eut donc, à un moment, sept formations au-dessus de nous, dont trois attaquaient la position de résistance, trois autres semblant en attente et une dernière évoluant individuellement. En tout il y avait peut-être une centaine d’avions et pas un appareil ami. C’était un peu affolant… Lorsque les trois premières escadres, ayant probablement épuisé leurs munitions, défilèrent vers le nord-est, les trois suivantes descendirent, prirent leur place à 2 000 m et continuèrent dans le même style… sur le front de Donchery, Glaire, Wadelincourt entièrement couverts de fumée, il y eut ainsi durant 30 minutes une permanence de trois avions en piqué. Cela ne représente donc pas
Il est estimé que plus de la moitié des 1 500 avions dévolus au soutien du Panzergroup von Kleist furent engagés sur Sedan, soit au total 300 bombardiers, 200 bombardiers en piqué et 300 chasseurs et destroyers. Loerzer et Richthofen engagèrent plusieurs Sturzkampfgeschwader. Les Ju 87 de Loerzer effectuèrent 180 missions (201 missions individuelles sur 300 pour le seul St. G. 77), ceux de la StG 2 (dépendant du VIII. Fliegerkorps commandé par Wolfram von Richthofen) 90 missions. Les neuf Kampfgruppen (groupes de bombardement) du II Fliegerkorp effectuèrent 900 missions (3 940 sorties), ceux du VIII. Fliegerkorp 360. Le tout sur une ligne de front de seulement 4 km centrée sur Sedan. Durant les 90 minutes qui précédèrent le franchissement de la Meuse, 750 bombardiers et bombardiers en piqué auraient frappé. Un historien rapporte que la percée de Sedan, ce jour-là, ne coûta à la Luftwaffe que six avions, dont trois Ju 87.
Dans son élément naturel en piqué
est l’abréviation du mot allemand Sturzkampfflugzeug, composé de trois mots : Sturz (chute), Kampf (combat) et Flugzeug (avion). Soit en français “avion de combat en piqué”. La procédure de bombardement était la suivante : volant à 4 600 m, le pilote localisait sa cible à travers une petite fenêtre de visée dans le plancher du poste de pilotage, en avant de la base du manche. Après avoir allumé le viseur, ouvert la ventilation du parebrise pour ne pas qu’il s’embue, réduit les gaz et fermé les volets du radiateur pour éviter un choc thermique au moteur par un refroidissement brusque, puis sorti les freins de piqué, il effectuait un demi-tonneau en piqué de façon à retrouver au plus vite la cible dans son viseur. Des ergots rouges apparaissaient à la surface des ailes, indicateurs visuels que le système de sortie de piqué automatique était activé. Le “Stuka”, piquant alors à un angle de 60 à 90°, accélérait jusqu’à atteindre 600 km/h – cela prenait en général 30 secondes. Le pilote avait au préalable prédéterminé l’altitude de largage – généralement 460 m – en calant une aiguille dédiée de l’altimètre à contacteur ( KontaktHohenmesser). Quatre secondes avant que soit atteinte l’altitude de largage, le contacteur de l’altimètre déclenchait un signal sonore qui s’arrêtait au moment où l’altitude