Une lutte de titans
Deuxième partie. En septembre 1969, Nixon relança le SST. Mais l’ambiance n’était plus à l’euphorie du début des années 1960. Le SST tourna au débat de société et finit en bataille rangée dans les couloirs du Congrès.
Deuxième partie. Le gigantesque 2707 ne fait plus rêver au début des années 1970. L’écologie aura raison du supersonique américain.
Supersonique américain, le bûcher des vanités
Début 1968, les Américains avaient dû constater que le Boeing 2707-200 ne pouvait pas convenir comme supersonique civil : trop lourd, pas assez rentable. Les ingénieurs de Boeing retournèrent à leurs tables à dessins. Ils proposèrent rapidement le 2707300, en fait désormais un avion à aile delta – évidemment ce qui ne manqua pas de susciter quelques sourires ironiques après l’élimination deux ans plus tôt du projet de Lockheed sinon similaire en tout cas assez proche. Le programme se basait sur les études du Scat 15 entreprises dans les souffleries de la Nasa.
Les Européens avançaient de leur côté sur Concorde. La CIA informait régulièrement la FAA sur les progrès du supersonique européen. Apparemment les sources étaient moins nombreuses sur le Tupolev 144, mais il fut très tôt évident que les concurrents du
La maquette grandeur nature du Boeing 2707-300 en cours de fabrication à Seattle.
Toute la configuration de l’avion avait désormais changé depuis le 2707-200. L’avion présentait une aile delta avec empennage.
Comme sur Concorde, le nez bascule pour faciliter la vision des pilotes.
SST allaient nettement le précéder. Fin décembre 1967, Français et Britanniques présentaient le prototype de Concorde à Toulouse. Les Européens avaient enregistré 80 options de vente, contre 122 pour le 2707. Sans même attendre la certification de l’avion et la commande ferme d’une compagnie aérienne, la production en série de six Concorde fut lancée. Les Soviétiques frappèrent de leur côté un grand coup en faisant voler le Tu-144 le 31 décembre 1968. La fin 1968 marqua aussi un tournant dans l’histoire du SST avec l’élection en novembre de Richard Nixon. Qu’allait-il décider à propos du SST ?
L’écologie s’invite dans le programme
Les conseillers de Nixon lui recommandaient une certaine prudence. Nixon demanda au Secretary of Transportation (ministre des Transports) John Volpe de mener une nouvelle série d’auditions afin d’établir un rapport sur le programme SST et statuer sur son avenir. Les consultations s’étendirent sur février et mars 1969. Pour la FAA la donne avait changé, puisqu’elle était passée sous l’autorité de l’administration du Department of Transportation (département des Transports). Une fois de plus les experts se montrèrent très divisés. Il faut dire que le climat général avait changé. L’heure n’était plus à la “nouvelle frontière” de Kennedy. Les États-Unis étaient englués dans la guerre du Viêtnam. La fronde contre le SST touchait désormais le grand public. L’un des opposants les plus véhéments fut William Shurcliff, physicien de l’université de Harvard. Il s’intéressa au programme SST et se rangea dans le camp des opposants. Il commença sa campagne contre le projet pour ainsi dire dans sa cuisine, où il multiplia les courriers auprès des administrations, des savants, des journaux. Le 9 mars 1967, il créa la Citizens League Against the Sonic Boom (Ligue des citoyens contre le bang supersonique). Elle compta à la fin de l’année 2000 membres. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, tous ces opposants écrivirent à leurs tours aux sénateurs et aux journaux pour dénoncer les dangers du SST. S’engagea alors à grande échelle une bataille médiatique avec la FAA et les industriels. Chacun s’évertua à décrocher des interviews, des éditoriaux en faveur de son camp. La FAA engagea un certain colonel J. Voles pour s’occuper spécialement de cette campagne. Fred MacMurray, star de la série télé My Three Sons ( Mes trois fils), joua ainsi dans un épisode un ingénieur aéronautique qui travaillait sur le supersonique, histoire de présenter le SST T sous un jour bienveillant. Boeing produisit en 1969 un film You and me- and the SST ( Vous, moi et le SST) à destination du grand public. . En janvier 1969, , Walter Cronkite, , célébrité de la téléé vision qui avait la réputation d’être re “l’homme le plus us digne de confiance ce de l’Amérique”, prérésenta l’émission The 21st Century sur CBS BS depuis la maquette e de l’habitacle du SST.
Les opposants marquaient pourtant des points. Les effets du bang supersonique inquiétaient. La presse locale et nationale multiplia les articles et les éditoriaux suspicieux. La Citizens League Against the Sonic Boom publia SST and Sonic Boom handbook et en vendit 150 000 copies. Bientôt le Sierra Club, puissante association écologiste créée en 1892 et qui comptait 85 000 adhérents s’engagea contre le SST. Ce fut la première fois dans l’histoire que des arguments relatifs à l’environnement et l’écologie s’invi s’invitèrent dans un progr programme aéronautique tique. D’autres associatio ciations rejoignirent le Sie Sierra Club, comme The N National Wildlife Fed Federation (2,2 million lions de membres) ou la Consumer Fe Federat i on of Am America et ses que quelque 37 millions d’a d’adhérents. Dans ce ces conditions, re représentants et sé sénateurs, qui a avaient auparavant toujours soutenu major ritairement le SST, fure furent pris à partie par leurs électeurs. Les opposants trouvèrent leur chantre en la personne de William Proxmire, indéboulonnable sénateur du Wisconsin de 1957 à 1989. Il s’était fait une spécialité de fustiger les dépenses fédérales dans les programmes coûteux qu’il jugeait inutiles. Pour Proxmire, le SST se résumait à “une fioriture, un jouet pour la jet- set”. En 1964, quand fut voté pour la première
fois le budget du SST, les sénateurs contre le supersonique pouvaient se compter à peine sur les doigts des deux mains. Warren Magnuson et Henry Jackson, représentants de l’État de Washington où se trouvaient les usines Boeing, dominaient le Sénat. Cinq ans plus tard, ils étaient en passe d’être minoritaires.
Alors que les Américains se déchiraient sur l’avenir du SST, les Européens marquaient encore un point avec le premier vol de Concorde le 2 mars 1969. De toute évidence le supersonique européen caracolait en tête dans la course au supersonique. Boeing de son côté battait plusieurs fers à la fois en faisant voler le 747 le 9 février. Sa campagne de certification occupa ensuite grandement ses ingénieurs, reléguant quelque peu au second plan le 2707.
“Tricky Dick” relance le SST
Ce fut dans ces conditions que Nixon annonça finalement le 23 septembre 1969 qu’il poursuivait le SST. Il expliqua : “Je veux que les ÉtatsUnis continuent à diriger le monde dans le transport aérien.” Le calendrier du programme établissait désormais un premier vol pour la fin 1972, la certification pour le début 93 m 43 m 134 t 290 t 321 22 t Mach 2,7 4 x General Electric GE4/ J5P A/ B de 31 116 kg de poussée chacun avec postcombustion. de 1978. Les livraisons devaient suivre, au rythme de croisière de cinq appareils par mois. La décision ne manqua pas de provoquer de vives protestations. Les opposants soulignèrent que Nixon avait délibérément écarté tous les arguments contre le programme présenté par les experts. Nixon fut accusé de dissimuler les résultats défavorables des consultations organisées au début de l’année – il est vrai qu’il était déjà affublé du surnom de “Tricky Dick” (comprendre “Richard la crapule”).
Nuages noirs sur le SST
En avril 1970 la direction du programme SST échut à William Magruder. Ce n’était pas un inconnu. Il avait été pilote d’essais pour Douglas, puis avait dirigé le programme SST et les études du “Tristar” pour Lockheed. Il pouvait se targuer d’être un fin connaisseur du supersonique. Ce fut en fait un argument de plus pour les opposants, qui l’estimaient bien évidem
ment juge et partie dans le dossier. Magruder fanfaronna quelque peu en conférence de presse, estimant que les arguments des détracteurs allaient s’effondrer face aux “vérités” annoncés par les scientifiques. Il n’en fut rien. Les opposants prenaient de plus en plus de poids. John Lindsay, le maire de New York, déclara en avril 1970 : “Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher tout SST d’atterrir dans les aéroports de New York tant qu’il n’est pas prouvé que c’est sans danger pour l’environnement et la santé de nos concitoyens”. nuages continuèrent à s ’ a mo n c e l e r quand au cours de l’année 1970 trois sous- traitants majeurs quittèrent le programme. Aerojet, impl iqué dans la fabricat ion d’une section du fuselage se retira en février, suivie par Avco et LTV au mois de mai. Les dirigeants d’Aerojet jugeaient trop minces les profits escomptés lors de la fabrication en grande série. Les difficultés techniques se révélèrent toujours aussi importantes qu’à l’époque du 2707200. Fin janvier 1970, les ingénieurs de Boeing annoncèrent avoir abandonné l’usinage du titane par soudure fourni par Stresskin pour la technique du brasage, une solution jugée plus simple, mais qui allait alourdir quelque peu la structure de l’avion.
Concorde à Mach 2
vote du budget alloué au SST pour l’année 1971 fit l’objet d’une intense bataille au Congrès. Nixon, républicain, devait composer avec un Congrès à majorité démocrate.
Chacun put organiser des auditions, l’objectif étant bien entendu d’apporter suffisamment d’arguments pour faire basculer le vote en sa faveur. Partisans et adversaires se doutaient qu’en cas de refus d’allouer le budget le programme était désormais condamné. Dans un contexte lourd de menace pour le SST, Concorde poursuivait inlassablement sa route : le 4 novembre, il atteignit Mach 2. Il survolait alors allègrement les critiques. Seul le journaliste et homme politique Jacques Servan-Schreiber appelait publiquement à son abandon au profit de l’Airbus A300B. Il avait pourtant souligné la supériorité du SST dans son best-seller de 1967 Le Défi américain. Le 3 décembre 1970, les adversaires du SST marquèrent un point décisif. Par 52 voix contre 42, le Sénat rejetait la demande de fond pour le SST. Nixon parla deux jours plus tard “d’erreur dévastatrice”. Il fallut une difficile conciliation pour que finalement soit adopté le budget, à la condition expresse qu’il fût de nouveau discuté avant fin mars 1971.
La dernière bataille
ne faisait plus de doute pour les partisans du SST et les industriels impliqués dans le programme que le sort du SST allait se jouer au Congrès dans un contexte difficile. Au mois de février 1971 fut lancé à Seattle un National Committee for SST qui diligenta immédiatement une campagne de publicité en faveur du 2707. Afin de répondre aux critiques sur le bruit, General Electric proposa alors de supprimer la postcombustion sur le GE4, de réduire la poussée de 30 à 25 t. General Electric suggérait de modifier le moteur pour lui ajouter une soufflante et diminuer ainsi les émissions sonores. Le GE4/J7A aurait eu un taux de dilution (rapport entre la masse d’air du flux froid et celle du flux chaud sur un double flux) de seulement 0,3 contre 5 pour le JT9D du 747. Les propositions de General Electric furent cependant totalement noyées dans la polémique qui faisait rage au Congrès. De nouveau le Sénat et la Chambre des représentants organisèrent début mars 1971 des auditions pour que chaque camp expose ses arguments. Les pros SST convoquèrent le ban et l’arrière-ban de l’industrie aéronautique et de personnalités connues. Neil Armstrong parla en faveur du supersonique. Kelly Johnson, célébrité de Lockheed, à la tête du bureau d’études où furent conçus A-12/ YF-12 et SR-71, témoigna aux côtés de directeurs de la Nasa et d’universitaires prestigieux. Tous affirmaient le SST techniquement faisable.
Les opposants se montrèrent implacables dans leur réquisitoire contre le SST. Ils firent témoigner James McDonald, membre réputé de l’Institut of Atmos ph e r i c Physics de l’université de l’Arizona. Il souligna que la flotte des SST allait détruire la couche d’ozone en volant à haute altitude, augmentant les cancers de la peau de façon alarmante. Un sénateur le discrédita néanmoins quelque peu en rappelant que McDonald croyait aux “soucoupes volantes” et avait déjà témoigné en ce sens au Congrès en 1968. Le bruit excessif fut un argument de poids, auquel s’ajouta le bang supersonique. L’opacité économique autour du SST fut un des arguments forts des opposants. Plusieurs économistes se succédèrent devant les commissions du Congrès pour souligner les incertitudes du programme. Paul Samuelson, un des cerveaux du Massachusetts Institute of Technology, rien de moins que le prix Nobel d’économie 1970, parla du SST comme une “folie” et appela le gouvernement à prendre la seule décision raisonnable : l’arrêter. Il fut même cité le bon mot de ServanSchreiber, pour qui Concorde s’apparentait à un “Viêtnam industriel”. Un des intervenants devant le Congrès n’était autre qu’Elwood “Pete” Quesada, un des premiers à militer dix ans plus tôt pour le supersonique civil (lire la première partie). Quesada, devenu un des admirateurs de la compagnie aérienne
American Airlines, ne condamna pas le SST, mais il insista sur la gestion déplorable du programme par la “bureaucratie” du gouvernement. Pour lui, le SST devait être uniquement l’affaire du secteur privé, l’intervention du gouvernement étant ici “néfaste”. Il souligna aussi que les critiques d’ordres écologiques étaient “très exagérées”.
Le SST se meurt, le SST est mort !
Le 18 mars, la Chambre des représentants refusa de voter le budget demandé pour le SST par 215 voix contre 204. Proxmire se déclara “enchanté, étourdi”. Les partisans du SST se jetèrent dans un dernier baroud d’honneur en tentant de mobiliser les sénateurs qui s’apprêtaient eux aussi à voter. Par exemple, la campagne se porta sur Hubert Humphrey, représentant du Minnesota, candidat démocrate malheureux lors de l’élection présidentielle de 1968,
qui avait été un soutien du SST. En vain, il vota contre cette fois- ci. Charles Tillinghast, président de la TWA, appela personnellement Stuart Symington, représentant du Missouri, pour le convaincre de voter en faveur du SST. Ce n’était pas suffisant. Les adversaires du supersonique faisaient aussi campagne. Lockheed et McDonnell Douglas lançaient respectivement le “Tristar” et le DC-10 et n’incitèrent pas les sénateurs des États où se trouvaient leurs usines à voter pour le Boeing 2707. S’il avait parcouru les allés du Sénat ce 24 mars 1971, Bossuet aurait pu clamer “le SST se meurt, le SST est mort” (1). Les sénateurs votèrent. Pour le SST : 46 voix, contre : 51 voix. Ce fut le coup de grâce. Le SST était fini.
Proxmire exulta. Nixon déclara dans un communiqué que ce vote était “pénible et décevant”, le qualifiant de “coup sévère” pour le secteur aérospatial américain. Boeing annonça dès le lendemain le probable licenciement de 7 000 employés à Seattle. Le constructeur, regrettant la perte des investissements, annonça cependant : “Nous
(1) Oraison funèbre pour HenrietteAnne d’Angleterre en 1670. pensons que dans un avenir plus ou moins proche, un SST de fabrication américaine apparaîtra comme une nécessité pour la majorité du peuple américain (…) La compagnie Boeing continuera de considérer avec un intérêt sincère et soutenu la réalisation de cet objectif”. Nixon prononça le 25 mars depuis le bureau ovale de la Maison-Blanche un message radiodiffusé aux employés de Boeing de Seattle et de Wichita, dans lequel il regretta vivement la décision “décourageante” du Congrès. Il rappela sa volonté de poursuivre avec le SST l’hégémonie des Américains en général et le rôle de Boeing en particulier dans l’aviation commerciale. Le SST avait coûté 1,2 milliard de dollars aux contribuables Américains (l’équivalent de 10 milliards en 2020). Boeing laissait 54 millions de dollars dans l’aventure, General Electric 25 millions. Neuf compagnies aériennes américaines et la KLM perdaient les 58,5 millions de dollars de leurs participations à la phase prototype. 25 compagnies aériennes qui avaient payé leur rang dans le calendrier des
livraisons furent en revanche remboursées – Pan Am récupéra 3 millions de dollars.
Concorde isolé
L’arrêt du SST ne provoqua pas une explosion de joie à Toulouse, alors que pourtant Concorde se trouvait désormais dans la position appréciable de seul supersonique commercial occidental. Les Européens se savaient désormais seuls pour affronter les difficultés qui s’annon
çaient depuis déjà longtemps, avec en premier lieu les questions du bruit et du bang supersonique. L’interdiction du survol des terres habitées planait (elle fut décrétée en 1973). Henri Zeigler, PDG de la Snias, le comprit fort bien dans son communiqué du 25 mars : “Aujourd’hui comme hier, l’apparition de nouveaux modes de communication soulève ici ou là des vagues de critiques, de protestations appuyées sur des affirmations pseudoscientifiques (…) Il se voulait optimiste néanmoins : “Les vols supersoniques entreront en service sur les grandes liaisons mondiales avant le milieu de la décennie.”. La suite des événements confirma que c’était là pour Concorde une victoire à la Pyrrhus. La fin du SST constitua pour le supersonique civil un revers majeur. Nixon était quelque peu amère lorsqu’il visita pendant 5 minutes Concorde sur le chemin de son subsonique VC-137C Air Force One en quittant le 14 décembre 1971 Les Acores, après sa rencontre avec Pompidou. “Je regrette que les États-Unis n’aient pas fait le supersonique”, dit-il au président français, sans doute assez fier de s’être rendu à cette rencontre à Mach 2. Quant au lièvre soviétique parti le premier, il se lassa bientôt de sa course effrénée en tête de la compétition au supersonique. Après ses essais en vol et une courte exploitation commerciale, le Tu-144 fut arrêté dès 1978.
Le dernier éteindra les lumières…
L’arrêt du SST provoqua immédiatement une première vague de licenciements chez Boeing et ses sous-traitants. North American Rockwell congédia dès le 26 mars 250 employés à Los Angeles. General Electric annonçait 1 500 licenciements. Northrop fit de même. Au total 13 000 postes furent supprimés à travers tous les États-Unis. Ainsi commença une période sombre pour Boeing. Une équipe de 325 personnes fut chargée de classer toute la documentation et ce qui avait été fabriqué dans la perspective d’une éventuelle relance du programme. Plus de 2000 conteneurs furent ainsi remplis. Rien ne se passa cependant ; la proposition de banques japonaises de racheter
le programme échoua rapidement. Boeing s’était lourdement endetté pour le 747 et n’avait pas les moyens de poursuivre le 2707 sur ses fonds propres. Il y eut bien des “larmes de crocodiles” parmi les représentants au Congrès, des regrets de voir l’Amérique renoncer au supersonique, mais le SST fut rapidement oublié. Jim Yongren et Bob McDonald, agents immobiliers quelque peu dépités par l’ambiance alors morose, érigèrent en avril 1971 pour 160 dollars une pancarte sur le bord de la route à la sortie de Seattle qui proclamait : “Will the last person leaving Seattle turn out the lights – la dernière personne qui quittera Seattle est priée d’éteindre les lumières”.
La maquette dans une église
L’épilogue de cette histoire tient dans l’odyssée de la maquette grandeur nature qui trônait à Seattle. Marks Morrison, un millionnaire du Nebraska, l’acheta en 1973 aux enchères pour 31 119 dollars (180 107 dollars en 2020). Elle fut acheminée par train dans le SST Aviation Exhibit Center édifié pour l’occasion à Kissimmee, en Floride. Lorsque le musée fit faillite en 1981, le bâtiment fut transformé en église ; les cérémonies religieuses de l’Assemblée de la nouvelle vie d’Osceola se déroulaient autour de la maquette, beaucoup trop imposante pour être sortie ! Finalement démontée pièce par pièce, elle fut retrouvée peu après dans un parc à ferraille par le pionnier des hélicoptères Stanley Hiller, qui récupéra la partie avant afin de l’exposer dans son musée installé à San Carlos, en Californie, à partir de 1998. Elle fut échangée avec le Museum of Flight en 2013, le 2707 retrouvant Seattle à cette occasion.
Le bûcher des vanités
L’arrêt du SST porta un coup fatal au supersonique commercial civil. Concorde subsista uniquement pour des raisons de prestiges, loin de toutes les considérations de rentabilité qui avaient cours dans le transport aérien. Avec le SST prit fin le seul et unique programme civil commercial financé directement par les contribuables Américains, et les considérations environnementales devenaient incontournables dans l’aviation civile. Le 2707 étaient loin d’être au point en 1971, les difficultés techniques, notamment la maîtrise du titane, auraient probablement obéré ses livraisons. Par ailleurs, le 2707 n’aurait sans aucun doute pas échappé à la crise pétrolière d’octobre 1973. Reste de ce grand programme typique de l’ère Kennedy le symbole d’une grande ambition qui se heurta au marasme de la fin de la guerre du Viêtnam. Les Américains avaient fait fi des considérations économiques et techniques uniquement pour leur prestige menacé par Concorde et le Tu-144. Ce fut une compétition stérile. Selon le titre du roman éponyme de Tom Wolfe, le SST en particulier et le supersonique civil en général furent bien “le bûcher des vanités” des années 1960.
Remerciements à Boeing France.
Cet article est dédié à René Francillon et Pierre Sparacco, disparus trop tôt.