AUX ORIGINES, DU « MISSILEER » AU F-111B
Les origines du F-14 remontent au début des années 1960. Ce fut d’abord le « Missileer », puis le F-111B. Autant de programmes abandonnés qui laissèrent néanmoins en héritage au « Tomcat » missiles, radar et réacteurs.
Au milieu des années 1950, la principale menace qui pesait sur les navires de l’US Navy, outre les sous-marins d’attaque soviétiques, était celle des possibles attaques massives des bombardiers de l’Armée Rouge armés de missiles de croisière. Dans un contexte de guerre froide pouvant à tout moment basculer dans l’Apocalypse, les planificateurs de l’arme aérienne ont très vite commencé à prendre ce problème en compte. Il fallait trouver une solution pour contrer ce danger.
Le Douglas F6D « Missileer »
Le premier projet d’intercepteur à longue portée fut le F6D « Missileer » développé par Douglas. Le projet D- 766, extrapolé du F3D « Skyknight », avait la particularité de privilégier les capacités de l’armement aux performances du vecteur. Le biplace côte à côte devait recevoir des réacteurs TF30P2 dépourvus de post-combustion et donc se contenter d’une vitesse maximale estimée autour de Mach 0.8, ce qui lui offrait une autonomie convenable.
Il devait être équipé d’un système d’arme spécifique bâti autour du missile longue portée XAAM-N-10 Eagle, développé conjointement par Grumman (cellule et propulsion) et Bendix (guidage) pendant que Hugues produisait le radar et le reste du système d’armes embarqué à bord de l’avion.
Le missile Eagle devait mesurer 4,8 mètres de long, voler à Mach 4 en dépit de sa masse de plus de 500 kg et disposer d’une portée supérieure à 200 km. La charge militaire devait être conventionnelle ou nucléaire. Le « Missileer » était prévu pour pouvoir en emporter six, trois sous chaque aile.
Douglas remporta l’appel d’offres en 1959. Néanmoins, le secrétaire d’État à la Défense, Thomas Gate, annula le contrat dès décembre 1960. Début 1961, le développement d’une charge air-air nucléaire fut également stoppé.
En avril 1961, c’est l’ensemble du système d’armes, missile et radar, qui fut annulé.
Le gouvernement américain et les hautes sphères de la Navy s’inquiétaient de la faible polyvalence du concept et de ses performances médiocre. La survivabilité de l’appareil au combat était qualifiée de faible en raison de l’absence de toute arme d’autodéfense ; rien n’était alors prévu pour l’emport de missiles courte-portée et aucun canon n’était prévu en
interne. Le « Missileer » ne pouvait être qu’un intercepteur et n’avait aucune autre capacité. Avec ses performances et sa charge utile, équipé en conséquence, le F6D aurait pu faire, au pire, un bon avion d’attaque au sol, mais Grumman avait déjà développé son A-6 « Intruder »…
Pourtant, le travail ne cessa pas chez Hugues, car les concepts d’armes à longue portée semblaient bien porteurs de débouchés à moyen terme. Après le AN/ASG-1 pour le North
American XF-108 « Rapier » puis le AN/ASG-1 pour le Lockheed YF12A, deux projets avortés, le développement du concept avait désormais pris le nom de AN/AWG-9.
L’idée du missile Eagle n’était pas totalement morte puisque le concept devait très vite apparaître de nouveau sous la désignation d’AIM-54. L’Aigle renaissait de ses cendres… Le nom de baptême fut donc vite trouvé et c’est ainsi que le Phoenix fut baptisé !
Début 1961, la nouvelle administration Kennedy prit ses fonctions. Le nouveau Secrétaire d’Etat à la Défense, Robert McNamara, se vit chargé d’une mission cruciale, rationaliser les dépenses militaires afin de les réduire. Un des axes possibles, afin de diminuer les coûts unitaires de certains matériels était de multiplier les acquisitions communes de matériels entre les différentes branches des forces armées.
De son côté, l’USAF émettait déjà une fiche programme pour anticiper la succession de son bombar
dier nucléaire F-105 « Thunderchief » qui n’avait pas encore commencé à entrer dans la seconde partie de sa carrière comme bombardier tactique capable de résister aussi aux affrontements contre les MiG (voir Le Fana de l’Aviation Hors-Série Classique n°61, le F-105, Tonnerre sur Hanoï, par René J. Francillon et Frédéric Marsaly, 2018).
L’idée était d’obtenir un appareil largement supersonique (Mach 1.2 au niveau de la mer, Mach 2.5 en altitude) et capable de rejoindre l’Europe depuis les USA sans ravitaillement en vol !
Aussi incroyable que cela puisse paraître, pour Robert McNamara, les deux besoins, exprimés par les deux branches militaires, pouvaient aboutir à un appareil commun et le programme TFX est lancé dès le mois d’août 1961.
Le TFX
Dès la mise en route du programme, des voix s’élevèrent du côté de l’US Navy, principalement pour dénoncer l’aspect incohérent du projet. Les inquiétudes portaient sur les paramètres essentiels du concept, notamment sa taille et sa masse. Parce que l’appareil était destiné à être embarqué, l’US Navy réclamait un avion dont la masse n’excédait pas 23 tonnes et dont la taille était compatible avec l’usage des ascenseurs des porte-avions, donc avec une longueur totale d’un peu moins de 18 m. L’USAF n’ayant, elle, aucune contrainte de ce genre, désirait un appareil pouvant atteindre 35 tonnes.
Un autre point d’achoppement était la question du diamètre maximum du cône radar, qui dimensionnait directement la taille de l’antenne et donc impactait ses performances. Les marins voulaient conserver les dimensions du radar prévu pour le « Missileer » soit 1,20 mètre, les aviateurs en voulaient un de moins d’un mètre.
Ces positions antinomiques et peu compatibles entre elles obligèrent le Secrétaire d’État à la Défense à intervenir directement et trancher le débat abruptement. Les dimensions du nez radar seront celles exigées par l’US Air Force et la masse maximale du futur TFX serait de 25 tonnes !
Ce sont ces spécifications qui furent publiées dans l’appel d’offres du 1er octobre 1961.
En retour, différents projets soutenus par les grands constructeurs aéronautiques américains furent présentés. Boeing et North American faisaient cavalier seul, mais Douglas s’était (déjà !) rapproché de McDonnell, Republic présentait un projet conjoint avec Vought, et General Dynamics avait proposé un partenariat à Grumman.
Pour ces derniers, le projet TFX étant porté par le budget de l’USAF, il était apparu « diplomatiquement » logique qu’il soit présenté par un des fournisseurs habituels de l’USAF, Grumman étant bien trop connoté fournisseur de l’US Navy. Le constructeur de Bethpage avait donc proposé ses services à Boeing mais s’était vu opposer une fin de non-recevoir. Chez General Dynamics, l’accueil fut beaucoup plus chaleureux !
L’analyse des propositions rendit rapidement un premier verdict. Le projet Boeing baptisé modèle 818 satisfaisait tout à fait l’Air Force mais, pour des questions d’encombrement, un peu moins l’Us Navy. Il était en passe de remporter la compétition lorsque le 24 novembre 1962, McNamara décida de prendre la main et déclara arbitrairement l’attribution du contrat au projet de General Dynamics et Grumman.
Un des arguments avancés par McNamara était que le projet Boeing ne présentait que 60% de parts communes (soit 40% de la masse) entre les versions USAF et USN alors que le projet General Dynamics proposait un projet compatible à 80% en termes de pièces et 90% en termes de masse ! Pour le Secrétaire d’État, ce dernier projet paraissait donc beaucoup moins risqué. D’autres critères entrèrent en ligne de compte comme un projet affichant des ambitions plus élevées en termes de solidité, de performances. Le TFX pensé par GD et
Grumman semblait surtout plus cohérent, plus raisonnable et plus réaliste.
Cette intervention politique, alors même que McNamara avait annoncé quels critères il considérait essentiels pour ce projet et pour lesquels sa décision était cohérente, fut évidemment très mal accueillie par les états-majors concernés. Sans conséquence initialement, ce ressentiment allait jouer un rôle essentiel quelques années plus tard.
Le partenariat entre General Dynamics et Grumman était très clair. L’avionneur de Bethpage se retrouvait en charge de la construction de la partie avant de tous les F-111 à produire et était maître d’oeuvre de l’assemblage de la version F-111B destinée à la Navy. En outre, Grumman était en charge d’une pièce essentielle, et où la solide réputation des « Iron Works » de Bethpage allait être d’une grande utilité, les trains d’atterrissage.
Le F-111B
Dans un premier temps, l’USAF commanda 18 F-111A et la Navy 5 exemplaires du F-111B, futur intercepteur embarqué. Le développement de l’avion incombait à l’USAF et surtout à son budget. L’US Navy était néanmoins en charge du développement du système d’arme spécifique à sa version et pour lequel Hugues avait été sélectionné dans le cadre du LRAAM, Long Range Air Air Missile, missile air air à longue portée et pour lequel il s’était vu attribuer un contrat dès 1962. Le développement des réacteurs TF30 à post combustion était sous la responsabilité des marins mais le budget restait celui de l’USAF pour cette partie.
Les enjeux étaient importants. Sur le plan technique, il s’agissait aussi d’amener au stade opérationnel le premier appareil disposant d’une voilure à flèche variable.
Le F-111B se présentait comme un imposant biplace côte à côte dont l’équipage se trouvait dans une capsule éjectable. Son armement prévu, jusqu’à six missiles AIM-54, était réparti entre deux en soute et, initialement quatre sous les ailes, ce qui entraînait le développement de rails d’emport pivotant à l’inverse des ailes pour rester en ligne avec la trajectoire de l’avion et ne pas opposer de traînée.
Il se distinguait des versions prévues pour l’USAF par son nez court, permettant de dégager la vue vers le bas pour les appontages et de rendre la taille de l’avion compatible avec celle des ascenseurs des porteavions. Ses ailes plus longues lui permettaient d’augmenter à la fois son